A star is dead il y a 500 ans. Leonard au Louvre !

 

Il y a 500 ans disparaissait Leonardo Da Vinci à Amboise. Ce fils illégitime d’un notable florentin, devenu avec le temps l’un des plus grands artistes du fait de son talent et son érudition ne cesse encore aujourd’hui de fasciner et d’attirer les foules. Pour le célébrer comme il se doit, le Louvre qui possède la plus grande collection au monde de ses œuvres (merci François Ier) organise après 10 ans de travail l’exposition de tous les superlatifs. « Grandiose », «  historique », « exceptionnelle », « seul le Louvre pouvait le faire ». N’en jetez plus !
Et il est vrai que cette exposition était sans doute l’une des plus attendues et donc très fréquentées (330.000 réservations fin octobre). Mais qu’en est-il vraiment ?

L’exposition commence par la formation de Leonardo Da Vinci dans l’atelier de Verrocchio, sculpteur, peintre et orfèvre florentin. Chez lui notre Leonardo apprend l’importance de la lumière sur le rendu des formes. Comment les ombres et les clairs façonnent un objet, plus que la ligne. Vers 1478, il va plus loin en élaborant le componimento inculto (« composition inculte »). Un dessin libre, instinctif, en rupture avec la réalité des lignes fixes et en recherche de mouvement. Cette recherche picturale aboutira au fameux sfumato. Une superposition de léger glacis qui finit par gommer les contours et donner un aspect vaporeux à ses œuvres.

L’Étude pour la Madone au chat, British Museum. Source Wikipédia

Puis vient la période milanaise, jusqu’à l’invasion française par Louis XII en 1499. L‘artiste se diversifie et devient scénographe, mais aussi concepteur d’engins militaires. En 1500, il revient à Florence. La cité a subi quelques remous politiques, mais est désormais stable. Le gonfalonier de justice ouvre alors en 1503-1504, une compétition célèbre pour la réalisation de deux fresques sur des batailles florentines. Une sera réalisée par Leonardo, l’autre par Michel-Ange. Leonardo se frotte pour sa part à la bataille d’Anghiari. Malheureusement aucune de ces œuvres n’a survécu. Il ne nous reste que des dessins préparatoires pour avoir une idée de la fougue de cette fresque innovante à la composition déchaînée.

La partie de l’exposition qui est peut-être la plus fascinante est celle consacrée à l’homme de sciences. Grand humaniste de la Renaissance, Leonardo Da Vinci s’intéressait au monde qui l’entoure et ce depuis son enfance, quand son grand-père lui enseignait « Po l’occhio ! » (Ouvre l’œil !). Il étudie l’anatomie, l’optique, l’astronomie, la mécanique, la botanique, la zoologie et j’en passe. Ses feuilles (écrites de droite à gauche), illustrées de dessins techniques sont des merveilles à regarder. C’est dans cette partie que vous verrez dans le fond, l’Homme de Vitruve, prêtée à la dernière minute par l’Italie et qui restera que quelques semaines dans l’exposition du fait de sa grande fragilité.

La Madone Benois (1478) de Léonard de Vinci © The State Hermitage Museum, St Petersburg
La Madone Benois (1478) de Léonard de Vinci © The State Hermitage Museum, St Petersburg

Avec 10 peintures du maître, plus la Joconde en salle des états sur 20 connues et reconnues, on pourrait se dire waouh. Et pourtant, on sort de cette exposition avec un je ne sais quoi de manque. On est clairement sur notre faim. En fait, on a l’impression d’avoir vu beaucoup de dessin, du moins si on a réussi à se frayer un passage jusqu’à ces derniers. Alors oui, un dessin de Léonard c’est toujours merveilleux, c’est vivant, dynamique, et je ne parle pas de ses dessins scientifiques juste extraordinaires. Mais quand même ! De plus, si on regarde bien, dans le fond, une grande partie de l’exposition est consacrée à sa formation et présente donc des œuvres du maître Verrocchio. Se rajoute à cela l’impression de ne pas avoir eu beaucoup d’informations, et c’est peu dire, si on ne paye pas de guides ou d’audioguides. J’ai découvert aujourd’hui qu’il existait un livret sur le site du musée avec toutes les informations sur les tableaux, tout ce qui m’a manqué dans ma visite ! Peut-être que dans la précipitation et perdue dans la cohue j’ai manqué l’info sur place, mais un peu plus de textes sur les tableaux n’aurait pas fait de mal quoi qu’il en soit. Pour résumer, même si l’exposition regorge d’œuvres de premier plan, de dessins sublimes et tout et tout. On en sort un peu déçue et pour en avoir parlé autour de moi. Je ne suis pas la seule à me dire « beaucoup de bruit pas pour rien, mais beaucoup de bruit par rapport au contenu ». En comparaison, l’exposition sur Raphael était davantage complète et à plus d’un titre. Le propos était plus étoffé, la vie de l’artiste mieux expliquée et le corpus de peintures plus imposant.

Tête de femme dite La Scapigliata
Tête de femme dite La Scapigliata / Ministero dei Beni e delle Attività culturali – Complesso Monumentale della PiloEntrer une légende

Après, il est vrai qu’organiser cette exposition a été un parcours semé d’embûches diplomatiques et stratégiques. Quand un musée a un tableau de Léonard, il n’est pas fou, il ne veut pas le prêter et risquer de se priver d’une pièce majeure, privant l’exposition d’autres peintures majeures. Pas de Salavdor mundi non plus. L’oeuvre achetée pour une petite fortune soit disant pour être prêtée au Louvre pour cette exposition a tout simplement….disparu !

Malgré tout cela, je vous conseillerai de la faire cette exposition, car ça reste Léonard de Vinci, qu’on y voit des pièces sublimes, des pages de codex, et l’Homme de Vitruve, tout de même ! Mais n’oubliez pas de réserver sinon vous n’irez pas bien loin, et de choisir un créneau pas trop fréquenté, car être bousculé toutes les 2min gâche un tantinet l’expérience.

 

L'homme de Vitruve, dessiné par Léonard de Vinci
L’homme de Vitruve, dessiné par Léonard de Vinci © Getty / DeAgostini

 

LEONARD DE VINCI
Musée du Louvre
Du 24 octobre 2019 au 24 février 2020

 

Commissaire(s) :

Vincent Delieuvin, conservateur en chef du Patrimoine, département des Peintures, et Louis Frank, conservateur en chef du Patrimoine, département des Arts graphiques, musée du Louvre.

 

Gloire aux portraits des Médicis, au musée Jacquemart-André

Le musée Jacquemart André, à travers cette exposition, nous emmène au cœur de la Renaissance Florentine à la cours des Médicis. Cette riche famille, objet de tous les fantasmes a déjà eu le droit à son exposition au musée Maillol sur son rôle de mécènes des arts, cette fois et avec la même tête d’affiche, le portrait d’d’Eléonore de Tolède par Bronzino, ce sont les portraits qui nous guident, et seulement une partie du clan se dévoile car nous restons principalement au XVIème siècle.

4_-_ghirlandaio_coperta_ritrattoLe choix est judicieux. À travers une quarantaine d’œuvres de Pontormo, Salviati, Bronzino ou Ghirlandaio, nous voyageons au cœur d’une des plus prestigieuses cours d’Europe, nous apprenons au travers de ces visages, un pan de l’histoire de cette famille et à travers elle, de la ville de Florence.

Tout commence avec la fuite de Pierre II, fils de Laurent de Magnifique qui marque une période d’exile allant de 1494 à 1512. C’est le temps de la République Chrétienne et religieuse de Savonarole à qui succède Pier Soderini.

Fra’ Bartolomeo, Portrait de Savonarole, 1498 – 1500, Huile sur bois, 53 x 37,5 cm, Florence, Musée de San Marco © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze
Fra’ Bartolomeo, Portrait de Savonarole, 1498 – 1500, Huile sur bois, 53 x 37,5 cm, Florence, Musée de San Marco
© S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze

C’est une période troublée où le retour aux vertus de la république se manifeste par des portraits graves sans excès de luxe et où les modèles portent des tenues sombres. Celui de Savonarole par Fra Bartolomeo est plus que parlant. Avec son habit de dominicain noir sur fond noir, de profil à l’antique, le réformateur se présente humblement, en symbole moral de la république florentine libérée des Médicis. Bien que condamné à mort pour hérésie et schisme en 1498, il reste une figure importante aux yeux de nombreux florentins. Le joli portrait par Ghirlandaio, la monaca est aussi très doux à observer et particulièrement intéressant pour sa tirella, qui cachait le visage de la dame, aux yeux indiscrets et qu’il fallait enlever.

Giorgio Vasari, Portrait d’Alexandre de Médicis devant la ville de Florence, vers 1534, Huile sur bois, 157 x 114 cm Florence, Galleria degli Uffizi © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze
Giorgio Vasari, Portrait d’Alexandre de Médicis devant la ville de Florence, vers 1534, Huile sur bois, 157 x 114 cm
Florence, Galleria degli Uffizi © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze

Le Médicis reviennent en 1512, Laurent II est soutenu par le pape Jules II et l’armée de la Sainte-Ligue, mais la ville est surtout sous la coupe des deux papes Médicis, Léon X et Clément VII. En 1531, le fils de Laurent, Alexandre le Maure, considéré par certains comme le fils illégitime de Clément VII devient le premier duc de Florence. Peu apprécié des florentins, il est assassiné quelques années plus tard par son cousin Lorenzino. C’est désormais une autre branche de la famille des Médicis qui s’installe, celle des Popolani, incarné par Cosme Ier, futur grand-duc de Toscane, fils du célèbre condottiere, Jean des Bandes Noires.
C’est le temps des portraits héroïques, peint pour réhabiliter les souverains, Alexandre et Cosme se font représenter en chefs puissants et sure d’eux dans leurs armures. Ce dernier fait représenter également son père, par Salviati pour ancrer cette nouvelle branche de la famille.  Toujours pour consolider son pouvoir, Cosme Ier se rapproche de Charles Quint en épousant Eléonore de Tolède, fille du vice-roi espagnol de Naples. Toute la ville, devient le théâtre de sa puissance, il réaménage le palazzo Vecchio et fait construire la galerie des Offices, s’adjoignant les services de Vasari, Baccio Bandinelli et d’Agnolo Bronzino, le peintre du moment, véritable novateur dans ce genre du portrait. Ce dernier réalise celui  d’Éléonore de Tolède, somptueux. Elle porte une robe de satin rouge qui se détache admirablement sur le fond lapis-lazuli et les nombreuses perles du corsage et de la coiffe témoignent du raffinement qu’elle apporta à la cour.

Agnolo Bronzino, Portrait d’Eléonore de Tolède, 1522, Huile sur bois, 59 x 46 cm, Prague, NárodnÍ Galerie © National Gallery of Prague 2014
Agnolo Bronzino, Portrait d’Eléonore de Tolède, 1522, Huile sur bois, 59 x 46 cm, Prague, NárodnÍ Galerie
© National Gallery of Prague 2014
1IT-120-A1555-10 Cosimo I. de' Medici / Bronzino Cosimo I. Medici, Herzog von Florenz (ab 1537), Grossherzog von Toskana (ab 1569), Florenz 11.6.1519 - Castello bei Florenz 21.4.1574. - Portraet. - Gemaelde, 1555, von Agnolo Bronzino (1503-1572). Oel auf Holz. By courtesy of the Ministero per i Beni e le Attivita Culturali. Turin, Galleria Sabauda. E: Cosimo I de' Medici / Paint.by Bronzino Cosimo I Medici, Duke of Florence (from 1537), Grand Duke of Tuscany (fr.1569), Florence 11.6.1519 - Castello near Florence 21.4.1574. - Portrait. - Painting, 1555, by Agnolo Bronzino (1503-1572). Oil on wood. By courtesy of the Ministero per i Beni e le Attivita Culturali. Turin, Galleria Sabauda.
Cosme Ier par Bronzino Huile sur bois, 82,5 x 62 cm The Alana Collection, Newark, USA. © The Alana Collection, Newark, USA.

Bronzino réalise également une série de 29 portraits sur étain, d’une grande finesse, comme celui du successeur de Cosme Ier, François Ier. Grand amateur d’architecture et de science, il est celui qui ouvre la Tribune des Offices pour y exposer sa splendide collection. C’est l’apogée du portrait, rien n’est trop beau, les matériaux le plus somptueux sont utilisés, tout est d’un grand raffinement, y compris chez les courtisans qui font réaliser des portraits d’eux, à l’image de ceux des princes.

Preuve du fleurissement de tous les arts et de la culture humaniste de l’époque, le portrait florentin est plein de références littéraires ou musicales présentes pour attirer l’attention de l’érudit spectateur. Cette jeune fille peinte par Andrea Del Sarto tient un ouvrage de Pétrarque dont une page est lisible et l’autre non, elle pointe du doigt, avec un regard averti, cette page cachée que celui qui regarde doit connaître.

Andrea del Sarto (Andrea d’Agnolo, dit)  Vers 1528, Huile sur bois, 87 x 69 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Galleria degli Uffizi © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze - Gabinetto Fotografico
Andrea del Sarto (Andrea d’Agnolo, dit)
Vers 1528, Huile sur bois, 87 x 69 cm
Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Galleria degli Uffizi
© S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze – Gabinetto Fotografico

Puis pour finir avec encore plus de grandeur, l’exposition se conclut avec le portrait d’état qui apparaît avec l’arrivée d’Eléonore de Tolède qui ramène avec elle, ce genre bien défini en Espagne. Le portrait témoigne, avec ses codes bien déterminés et ses allégories, le rang du modèle. Ainsi Marie de Médicis, future reine de France, peinte par Santi di Tito  en 1600 apparaît dans tous les fastes d’une princesse italienne, ceux d’une reine et d’une future mère.

Je radote, je radote, mais les expositions de Jacquemart-André sont très souvent des belles réussites, alliant propos clairs, réflexions savantes et œuvres de choix sans assommer le visiteur. Le sujet ici est sublime, les œuvres aussi. J’aime personnellement beaucoup le genre du portrait, car c’est à chaque fois des petites rencontres avec des figures du passée, et là quelles belles rencontres !

Santi di Tito et atelier, Portrait de Marie de Médicis, 1600 env., Huile sur toile. 193,5 x 109 cm, Florence, Galleria Palatina © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze
Santi di Tito et atelier, Portrait de Marie de Médicis, 1600 env., Huile sur toile. 193,5 x 109 cm, Florence, Galleria Palatina
© S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze

Si vous aimez la Renaissance, la peinture, l’Histoire, c’est vraiment une exposition faites pour vous, toute en finesse et beauté.

Commissariat :
Carlo Falciani et Nicolas Sainte-Fare Garnot

Florence à la cour des Médicis
11 septembre-23 janvier
Musée Jacquemart-André

Les Tudors règnent temporairement sur la France au musée du Luxembourg.

Le Printemps est là et avec lui une fleuraison d’expositions bien tentantes. La première à avoir attiré la petite abeille que je suis, celle sur les Tudors au musée du Luxembourg.

Elizabeth_I_in_coronation_robesLa famille des Tudors est l’une de ces grandes familles  qui ont marqué l’Histoire et les arts de leurs temps mais aussi l’imaginaire populaire à l’image des Borgia.
Régnant pendant 3 générations sur  128 années et offrant trois rois et deux reines à l’Angleterre et non des moindre, les Tudors sont certainement les souverains britanniques les plus connus, de par les nombreuses représentations qui en sont faites à travers la littérature, le théâtre, le cinéma et récemment la télévision, avec  Les Tudors où Jonathan Rhys Meyers est peut-être visuellement plus agréable que ne l’était Henri VIII.
Pour témoigner de leur magnificence, le musée du Luxembourg expose  de nombreuses œuvres (surtout des portraits) prêtées par la National Portrait Gallery, le British museum, la Royal Collection ou le Louvre. C’est une plongée dans la Renaissance anglaise ; on découvre ou redécouvre la vie de ces souverains, les liens importants avec la famille des Valois qui règne alors sur la France et aussi l’influence majeure sur les arts.

L’exposition mise en scène par Hubert Le Gall commence par cette vision romantique et théâtrale que l’on peut avoir de la famille, avec notamment deux extraits de films, l’un avec Sarah Bernhardt et l’autre Cate Blanchett avec également la robe de couronnement de cette dernière dans le film Elisabeth réalisé par Shekhar Kapur et sorti en 1998.
Mais très vite on revient aux fondamentaux historiques avec un parcours historique nous présentant les différents membres de cette famille pas comme les autres, à commencer par celui qu’on surnomme le fondateur, Henri VII Tudor.
Ce dernier conquiert le trône en 1485 en terrassant Richard III lors de la  bataille de Bosworth mettant fin à la Guerre des deux roses opposant les York aux Lancastre. Pour garantir l’unité retrouvée, il épouse Elisabeth d’York et comme symbole de cette union, il adopte un nouvel emblème, la rose Tudor mélangeant la rose rouge Lancastre et la rose blanche des York. On retrouve régulièrement cette rose rouge au cœur blanc dans les œuvres de l’époque, comme dans cette sublime chape brodée qu’Henri VIII en grand amateur d’étoffe apportât au camp du drap d’or.
Workshop_of_Hans_Holbein_the_Younger_-_Portrait_of_Henry_VIII_-_Google_Art_ProjectCe roi est presque devenu une figure de légende avec ses 6 épouses dont une répudiée, deux décapitées, une morte en couche et une renvoyée chez elle. Véritable colosse d’1m88  comme le prouve son armure, Henri VIII est l’image même du roi imposant comme pouvait l’être celui avec qui il se mesura toute sa vie, François Ier.  Au-delà de l’image un peu caricaturale de Barbe bleue, Henri VIII fut aussi un homme de la Renaissance, un homme éclairé, instruit, admirateur de musique et de sport et bien que père de l’église anglicane, son rosaire témoigne qu’il fut aussi un fervent catholique, « défenseur de la foi ».

Le portrait d’après Holbein le Jeune qui décorait Withehall aujourd’hui disparu témoigne parfaitement de la détermination d’un roi à prouver sa grandeur et son pouvoir aux yeux du monde.
De face, les jambes légèrement écartées, les poings sur les hanches, Henri VIII fixe le spectateur et sa simple présence dépourvue d’attributs royaux suffit à imposer sa majesté.
L’original du portrait était initialement entouré de son épouse Jane Seymour et de ses parents Henri VII et Elisabeth d’York et avait peut-être été commandé pour célébrer la naissance tant attendu d’un fils, le futur Edouard VI.

Holbein le jeune, le futur Edward VI
Holbein le jeune, le futur Edward VI

Peintre allemand, Holbein le Jeune arrive en Angleterre recommandé par Erasme à Thomas More. Il devient peintre officiel du roi en 1536 et gagne rapidement la confiance du souverain qui lui confie entres autres taches le portrait de son fils, mais aussi la réalisation des portraits de prétendantes dans toute l’Europe, parmi lesquels figure celui d’Anne de Clèves, l’épouse N° 4, qui plut davantage au roi en peinture qu’en vrai. Henri VIII aurait déclaré, preuve de son admiration pour le peintre : «De sept paysans, je pourrais faire sept comtes, mais de sept comtes, je ne pourrais pas faire un Holbein».
Les autres épouses sont bien sûre évoquées : Catherine d’Aragon, répudiée au profit d’Anne Boleyn dont il ne reste aucun portrait de son vivant, elle sera décapitée ; remplacée par Jane Seymour qui meurt des suites de son accouchement ;  Anne de Clèves moins jolie que sur son portrait et surtout trop allemande pour le roi sera renvoyée chez elle ; Catherine Howard sera aussi décapitée ; reste Catherine Parr qui jouera surtout le rôle d’infirmière auprès d’un roi âgé souffrant d’une blessure suppurante à la jambe.

Master John, portrait Edward VI
Master John, portrait Edward VI

La dernière génération de Tudors se compose des trois enfants survivants d’Henri VIII, Edouard VI, Marie Ière et Elisabeth Ière avec qui la dynastie s’achève en 1603, cédant la place aux Stuarts.
Edouard VI devient roi à 9 ans guidé par son oncle Edward Seymour. Les portraits qui le représentent témoignent d’un jeune souverain parfaitement conscient de l’héritage de son père, peint dans une position similaire. Plus amusant vous verrez aussi le portrait anamorphosé par William Scott.
Ayant pérennisé la Réforme et ne souhaitant pas que sa sœur Mary, la Catholique hérite de son trône, il désigne la jeune Jane Grey, comme successeur.  Mais elle ne restera reine que 9 jours, Mary reprenant la couronne. L’exécution de la jeune femme inspirera au XIXème à Delaroche l’une de ses plus belles toiles, non présentée ici.
Mary fille de Catherine d’Aragon, princesse de 37 ans au fort caractère qui s’opposa notamment à son père sur la Réforme ou la révocation de sa mère, surnommée Bloody Mary va régner guère plus de 5 ans. Son règne sera marqué par une tentative de retour brutal au catholicisme, avec des répressions dans le sang d’où son surnom. Elle fera également un mariage très impopulaire avec Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint. Le portrait d’Antonio Moro la montre comme une femme au regard dure et à l’allure sévère, finalement très proche de l’image qu’elle laissa dans les consciences populaires. Première femme à régner sur l’Angleterre, l’archevêque de Winchester lui rendit hommage en ces mots : « Elle était la fille du roi ; elle était la sœur d’un roi ; elle était l’épouse d’un roi. Elle était une reine, et par le même titre, un roi ».

Maria_Tudor1Sa demi-sœur, fille d’Anne Boleyn va au contraire s’imposer comme la souveraine de l’Âge d’or. Elisabeth devient reine en 1558 et sous sa bonne garde, l’Angleterre va prospérer et devenir la plus grande puissance maritime après sa victoire sur la grande Armada en 1588.
Malgré de nombreuses propositions de mariage (Henri d’Anjou puis François d’Alençon entres autres), la reine resta célibataire, mariée à son peuple, créant la légende de the virgin queen ce qui ne l’empêcha pas d’être proche de certains hommes ici représentés, Robert Dudley et Robert d’Essex.
De nombreux portraits de la souveraine sont exposés : celui du couronnement où elle apparaît de face en majesté et tout d’or vêtue, le portrait Phoenix du nom de son bijoux qui devient son emblème, le portrait de l’armada ou encore le Ditchley Portrait. La reine porte toujours des robes d’une grande richesse, preuves de son statue royal, le visage est quant à lui ferme, déterminé, presque austère mais presque éternellement jeune, comme pour incarner la stabilité du souverain.
La reine fascine encore plus de 450 ans plus tard. D’ailleurs cette fascination se retrouve  dans le théâtre du XIX ème siècle comme en témoigne cette petite salle où sont réunis le décor d’Henri VIII de Camille Saint Saëns ou des gravures et des dessins de costumes par Delacroix pour Amy Robsart de Victor Hugo.

Nicolas Hiliard, Elisabeth, portrait Phoenix
Nicolas Hiliard, Elisabeth, portrait Phoenix

Vous l’aurez compris cette exposition est superbe, on a la chance d’apercevoir en France des portraits magnifiques qui ornent d’habitude les musées londoniens. C’est aussi une manière de voir l’autre facette de cette famille troublante car de notre côté de la Manche, nous nous sommes davantage attardés sur la légende noire, les morts et  les intrigues oubliant l’apport politique, religieux et artistiques que les Tudors ont donnés à l’Angleterre.

bague d'Elisabeth avec le portrait de sa mère et le sien
bague d’Elisabeth avec le portrait de sa mère et le sien

Ce n’est pas une exposition sur l’art Anglais de la Renaissance, mais cela en donne un bel aperçu. C’est surtout une plongée rondement bien menée au cœur d’une famille remarquable.

Enjoy and see you soon !

Jusque 19 juillet 2015

http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/les-tudors

Commissaires: Charlotte Bolland, conservateur en charge du projet de recherche Making Art in Tudor Britain à la NPG, Tarnya Cooper, conservateur en chef à la NPG et Cécile Maisonneuve, docteur en histoire de l’art, conseiller scientifique à la Rmn-GP
Scénographie : Hubert Le Gall

Les Borgia lèvent (un peu) le voile au musée Maillol. Les Borgia et leur temps.

Après les Médicis voici une autre famille incontournable de la Renaissance et oh combien sulfureuse. Les Borgia sont les invités du musée Maillol.

Tiziano Vecellio dit Titien LE PAPE ALEXANDRE VI PRÉSENTE JACOPO PESARO À SAINT PIERRE 1502-1510 Huile sur toile - H.147,8 ; L.188,7 cm Anvers, Musée royal des Beaux-Arts © Lukas-Art in Flanders vzw, photo Hugo Maertens
Tiziano Vecellio dit Titien
LE PAPE ALEXANDRE VI PRÉSENTE JACOPO PESARO
À SAINT PIERRE
1502-1510
Huile sur toile – H.147,8 ; L.188,7 cm
Anvers, Musée royal des Beaux-Arts
© Lukas-Art in Flanders vzw, photo Hugo Maertens

La famille Borja, Borgia en version italianisée est originaire du royaume de Valence en Espagne. C’est au milieu du XVème siècle qu’elle commence sa domination sur Rome avec le premier pape de la famille Calixte III qui va fortement aider la carrière de son neveu Rodrigo devient grâce à ce soutien de haut rang archevêque titulaire de Valence, cardinal puis camerlingue et vice-chancelier de l’Église romaine. En 1492, année au combien importante dans l’histoire du monde, qu’il devient pape sous le nom d’Alexandre VI, succédant à Innocent VIII. Alexandre VI est la figure centrale de la famille Borgia et l’une des figures papales les plus sulfureuses. À une époque où l’Eglise doit notamment faire face à la Réforme qui grandit ou aux attaques du dominicain Girolamo Savonarola qui instaure à Florence une république théocratique, le pape est quant à lui non pas fédérateur mais figure controversée qui reconnaît ses enfants et entretien une liaison suivie avec la belle Giulia Farnèse dont le frère sera à son tour pape sous le nom de Paul III.
Le pape sut aussi être un mécène en commandant notamment la décoration des chambres du Vatican à Pinturicchio.

Lucrèce Borgia par Le Pinturicchio, 1492-1494.
Lucrèce Borgia par Le Pinturicchio, 1492-1494.

Les enfants du pape sont aussi à l’honneur dans l’exposition, notamment la belle Lucrèce qui fut certainement la plus érudite et la figure familiale la plus importante pour le monde des arts et des lettres. Elle serait représentée par Pinturricchio sous les traits de sainte Catherine dans l’une des chambres précitées.  Elle avait la réputation d’être d’une grande beauté mais il n’existe aucun portrait la représentant de manière irréfutable, tout n’est que supposition.

Elle sera surtout un instrument politique dans les mains de son père qui la maria et la démaria au grès des alliances de pouvoir avec Giovanni Sforza, Alfonse d’Aragon et enfin Alfonse d’Este, duc de Ferrare. C’est auprès de ce dernier qu’elle s’épanouira vraiment en devenant la protectrice des arts.

Une véritable aura de mystères va au fil des siècles se tisser autours de Lucrèce. On lui prêtera des relations incestueuses, des mœurs dissolues et mêmes des talents d’empoisonneuse. Elle inspirera ainsi la littérature puis plus tard le théâtre et le cinéma. Citons par exemple Victor Hugo, Mérimée, le film de Christian-Jaque ou encore les dernières séries tv.

Altobello Melone PORTRAIT DE GENTILHOMME (CÉSAR BORGIA?) 1513 Huile sur bois H.58,1 ; L.48,2 cm Bergame, Accademia Carrara di Bergamo © Archivio fotografi co Accademia Carrara
Altobello Melone
PORTRAIT DE GENTILHOMME
(CÉSAR BORGIA?)
1513
Huile sur bois
H.58,1 ; L.48,2 cm
Bergame, Accademia Carrara di Bergamo
© Archivio fotografi co Accademia Carrara

Son frère aussi passionna les artistes. César Borgia qui inspira à Machiavel l’image du prince tyran. Homme d’église, jeune cardinal, il abandonna dès qu’il le put l’habit de religieux pour l’armure du soldat. Militaire et stratège de génie, il sut s’entourer du meilleur pour réaliser des engins de siège et des cartes, Leonardo Da Vinci. Duc de Valentinois grâce à son alliance avec Louis XII, César va participer aux premières guerres d’Italie en étant notamment nommé gonfalonier de l’armée papale. Mais la mort de son père va vite signer son déclin. Le pape Jules II, Giuliano della Rovere est un ennemi de la famille Borgia et va tout faire pour affaiblir César. Après moult péripéties, il meurt à 31 ans dans une embuscade en 1507.

On comprend que cette famille ai fasciné et fascine toujours ceux qui s’en approchent, la vie de ses membres fut riches en rebondissement dramatiques, en proie avec les luttes pour le pouvoir et la gloire, pleine de trahison, de complot et d’amour.

Pourtant je dois l’avouer avoir été un peu déçue par l’exposition. Je m’attendais à une profusion d’œuvres comme celle consacrée aux Médicis, mais à part quelques belles pièces, il y a assez peu de matière. On commence avec des portraits des différents membres de la famille, un bref historique, on peut voir un très beau Titien de début de carrière, prêté par le musée d’Angers ou le portrait présumé de César Borgia par Altobello Melone vers 1510 qui est d’une grande beauté, très moderne dans son exécution avec ce fond orageux brossé sur lequel se détache le visage déterminé au regard fuyant et au poing serré sur l’épée d’un jeune brun.

Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange (Attribué à) PIÉTA Dernière décennie du XVe siècle Terre cuite H.45 ; L.58 cm Collection privée © D.R.
Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange (Attribué à)
PIÉTA
Dernière décennie du XVe siècle
Terre cuite
H.45 ; L.58 cm
Collection privée
© D.R.

Ensuite c’est le contexte historique, religieux et militaire qui est évoqué par des armes, une esquisse de Leonardo da Vinci représentant peut-être César, ou le célèbre portrait par Cranach de Luther et de son épouse et celui d’Erasme par Quentin Metsys.
Au second étage c’est l’influence des Borgia sur les arts de leur époque et des siècles suivants qui est évoqué. Et là je dois bien l’avouer, deux œuvres attribuées à Michelangelo se démarquent très nettement : un très beau Christ en croix taillé dans du bois polychrome et une Piéta en terre cuite, étude présumée de la célèbre Piéta qui est aujourd’hui à Saint-Pierre de Rome. Le premier est très fin, tout délicat avec ses petits muscles bien saillants ; la seconde longtemps considérée comme une sculpture du XVIIème a finalement vieilli de 2 siècles et serait une première version avec un petit cupidon qui soutient le bras gauche du Christ, référence au courant néoplatonicien auquel adhérait Michelangelo.

Andrea del Verrochio SAINT JÉRÔME Vers 1465 Huile sur papier maroufl é sur bois H.40,5 ; L.27 cm Florence, Palazzo Pitti © Su concessione della SSPSAE e per il Polo Museale della città di Firenze
Andrea del Verrochio
SAINT JÉRÔME
Vers 1465
Huile sur papier maroufl é sur bois
H.40,5 ; L.27 cm
Florence, Palazzo Pitti
© Su concessione della SSPSAE e per il Polo Museale della città di Firenze

Parmi les autres œuvres on peut aussi citer L’Enfant Jésus « aux mains » de Pinturicchio dont la Vierge disparue aujourd’hui représentait la maitresse d’Alexandre VI, Giulia Farnèse ; un saint Jérôme de Verrocchio, un saint Georges de Mantegna, une transfiguration de Giovanni Bellini ou même un Reliquaire des cheveux de Lucrèce Borgia et les costumes de la série de Canal +. Il y a donc de quoi se satisfaire, mais je reste tout de même sur ma faim et j’attends désormais avec impatience une autre famille, anglaise cette fois-ci. Les Tudors se préparent à envahir le musée du Luxembourg J

Les Borgia et leur temps, jusqu’au 15 Février, musée Maillol.
SCÉNOGRAPHE HUBERT LE GALL
COMMISSARIAT
CLAUDIO STRINATI Historien de l’art

Le Pérugin, finesse et raffinement à l’aube de Raphaël

Quelques années après Fra Angelico, le musée Jacquemart-André remet à l’honneur la Renaissance italienne très présente dans ses collections à travers l’œuvre d’un des plus grands noms de cette époque charnière, le passage du XVème au XVIème siècle : Pietro Vannucci mieux connu comme Le Pérugin.
Sans titreLe titre «  Pérugin, maître de Raphael » est clairement destiné à attirer le badaud qui rêve encore de la sublime expo consacrée à Raphaël au musée du Louvre (au hasard, moi). Mais soyons honnête il faut en fait attendre l’avant-dernière et petits salle pour que le lien soit clairement établi entre les deux peintres. Et encore, car sans vous spoiler la fin, la commissaire de l’exposition Vittoria Garibaldi a choisi de ne pas trop se mouiller sur ce débat : Pérugin a-t-il vraiment été le maître de Raphaël ou juste une immense source d’admiration et d’influence ? Elle choisit plus subtilement de montrer des liens évidents entre les deux artistes, des rapprochements stylistiques, dans la finesse des visage, la ligne des figures, le paysage en arrière-plan, les drapés etc.
Sont notamment mis en lumière deux œuvres de Raphaël où les liens avec Le Pérugin sont particulièrement frappant : la prédelle du Retable Oddi et les éléments du Retable de Saint Nicolas de Tolentino, conservés dans 3 musées différents (Pinacoteca Tosio Martinengo, Brescia ; Museo di Capodimonte, Naples ; Musée du Louvre, Paris) et exceptionnellement réunis pour l’exposition.

fano
Mais le plus intéressant ce n’est pas de démontrer de manière irréfutable l’influence du Pérugin sur le jeune Raphaël mais plutôt le dialogue artistique qui naît entre les deux et comment finalement Raphaël finit lui aussi par inspiré son aîné. Et alors que Raphaël restera une référence, rappelons la citation de Vasari « Quand Raphaël mourut, la peinture disparut avec lui. Quand il ferma les yeux, elle devint aveugle », Le Pérugin ne sera plus guère apprécié, ces dernières productions perdant en qualité à force de déléguer à ses deux ateliers. Mais ça, l’exposition ne le dit pas, donc chut !

Voilà pour ce qui est de l’aspect Pérugin/Raphaël. Car il ne faut pas se méprendre c’est Le Pérugin le véritable sujet de cette exposition, c’est son style et son travail qui sont étudiés et c’est son talent qui nous est expliqué.  Moins connu peut-être que des Raphaël, Michel-Ange, Leonardo da Vinci et autre Botticelli, Pérugin n’en demeure pas moins l’un des peintres les plus importants de sa génération, le plus influent de l’Occident en ce changement de siècle selon Vasari.
L’exposition tente de faire comprendre cela, son influence et son rapport avec l’art de son époque.
Le Pérugin n’est pas né à Pérouse comme son nom le laisse supposé. Il est le fils d’une très bonne famille d’une bourgade voisine, Città della Pieve.
Deux artistes vont avoir de l’influence sur lui. Pietro della Francesca connu pour son travail mathématique appliqué à sa peinture, avec le travail de perspective et d’Andrea de Verrocchio dans l’atelier duquel il rencontre Leonardo Da Vinci et Botticelli.
Quand il rentre chez lui, en Ombrie vers 1470, il apporte dans ses bagages toutes les innovations de l’art florentin. Il devient peu à peu un peintre d’importance, jusqu’à être demandé par le plus grand des commanditaires de l’époque, le pape en personne, Sixte IV. Il est appelé à Rome en 1479 pour la chapelle de la conception et va également participer au chantier de la chapelle Sixtine.

Portrait de don Baldassarre d’Angelo 1500 Huile sur bois, 26 x 27 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino - Galleria dell’Accademia © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze
Portrait de don Baldassarre d’Angelo
1500
Huile sur bois, 26 x 27 cm
Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo
Museale Fiorentino – Galleria dell’Accademia
© Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze

Cette période romaine est évoquée de manière plus que détournée. En effet ce sont des portraits peints par Le Pérugin et d’autres peintres du chantier qui servent d’œuvres de référence pour cette partie. Le lien est peut-être étroit mais il est vrai que les portraits exposés sont d’une beauté exceptionnelle. Rares dans le corpus d’œuvres du Pérugin, ces portraits sont d’une grande finesse dans la représentation de la physionomie propre à chaque modèle. Le modelé des chaires, les zones d’ombre, tout contribue à donner vie à ces visages d’hommes comme ceux de don Biagio Milanesi et don Baldassarre d’Angelo.

Sainte Marie Madeleine Vers 1500-1502 Huile sur bois, 47 x 35 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino - Galleria Palatina, Palazzo Pitti © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze
Sainte Marie Madeleine
Vers 1500-1502
Huile sur bois, 47 x 35 cm
Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino – Galleria Palatina, Palazzo Pitti
© Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze

La figure humaine prend ainsi de plus en plus d’importance dans son travail. La peinture du Pérugin se tourne davantage vers le classicisme mais se teinte aussi d’une influence Vénitienne, notamment de Bellini et « Léonardesque » avec des emplois de glacis superposés qui donnent toute leur profondeur aux modelés, les sfumatos qui rendent les paysages plus mystérieux et le travail sur la lumière accentuant l’intimité entre le spectateur et le sujet. L’une des plus belles œuvres de l’exposition est à ce titre la sainte Marie Madeleine du Palazzo Pitti.
Comme chez beaucoup de peintres de son temps, l’art sacré tient une place prépondérante dans son œuvre. Le thème de la Vierge à l’enfant est l’un des thèmes iconographiques les plus traités par l’artiste et de nombreuses variantes de ce sujet largement rependu nous montrent comme Le Pérugin sut innover grâce aux modèles qu’il découvrit dans l’atelier florentin de Verrocchio. Il délaisse les fonds dorés de Carporali au profit de paysages où l’on reconnait tantôt l’influence flamande, tantôt les collines ombriennes. Ces derniers ne sont pas de simples éléments décoratifs. Le peintre instaure un dialogue entre le fond et le premier-plan. C’est une quête d’harmonie entre le monde réel et le monde spirituel qu’il cherche à nous montrer. Il donne également plus d’importance aux expressions des personnages, cherchant à rendre les liens de tendresse qui unissent la mère et l’enfant ; quant à la Vierge, elle est toujours toute en raffinement et délicatesse, prenant parfois les traits de son épouse Chiara Fancelli, comme dans la Madone de la National Gallery of Art à Washington.

Vierge à l’Enfant Vers 1500 Huile sur bois, 70,2 x 50 cm Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection © Courtesy National Gallery of Art, Washington
Vierge à l’Enfant
Vers 1500
Huile sur bois, 70,2 x 50 cm
Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection
© Courtesy National Gallery of Art, Washington

Beaucoup moins caractéristique de son œuvre, Le Pérugin s’adonna pourtant  à la peinture profane pour de grands commanditaires. Ces deux œuvres les plus connues sur ce thème sont ainsi réunies. Le combat de l’amour et de la chasteté commandé par Isabelle d’Este pour son studiolo privé de Mantoue. La toile foisonne de détails et répond à la passion humaniste d’Isabelle. Une cinquantaine de lettres entre la marquise et le peintre furent nécessaires pour arriver à ce résultat qui déplu pourtant à cette-dernière, lui reprochant d’avoir utilisé la tempera et non la peinture à l’huile et préférant le travail de Mantegna qui lui peint le Parnasse et Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu.

Apollon et Daphnis Années 1490 Huile sur bois, 39 x 29 cm Paris, Musée du Louvre - Département des Peintures © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot
Apollon et Daphnis
Années 1490
Huile sur bois, 39 x 29 cm
Paris, Musée du Louvre – Département des Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

L’autre toile représente Apollon et Daphnis ou Apollon et Marsyas commandé (peut-être)  dans les années 1490 par Laurent de Médicis. L’importance du paysage est encore très nette, il se faufile jusqu’au premier plan. Les figures rappellent les antiques qu’a étudiés Le Pérugin à Rome avec leurs lignes parfaitement dessinées et ce déhanchement du bassin récurent dans l’art du peintre ombrien. Longtemps attribuée à Raphaël, cette peinture témoigne encore une fois du lien étroit qui uni l’art des deux artistes. 
Un très agréable moment en somme. Après je vous l’accorde si à la base les Vierge à l’enfant et autres saints ne sont pas votre tasse de thé, il vaudrait mieux passer votre chemin, mais ce serait dommage de se passer de ces magnifiques peintures, pleines de délicatesses et de couleurs douces. Certaines valent vraiment le coup d’œil, puis je radote, je le sais, mais le musée Jacquemart-André, c’est toujours un plaisir.

Raphaël, Raffaello Sanzio, dit (1483-1520) et Evangelista da Pian di Meleto (vers 1460-1549) Buste d’ange (retable de saint Nicolas de Tolentino) 1500-1501 Huile sur bois, transférée sur toile 31 x 26,5 cm Brescia, Pinacoteca Tosio Martinengo © Pinacoteca Tosio Martinengo – Brescia
Raphaël, Raffaello Sanzio, dit (1483-1520)
et Evangelista da Pian di Meleto (vers 1460-1549)
Buste d’ange 
1500-1501
HsB, transférée sur toile
© Pinacoteca Tosio Martinengo – Brescia

Pérugin, maître de Raphaël
12 septembre 2014-19 janvier 2015
http://expo-leperugin.com/fr/home-perugin-fr

Et si on rêvait? La Renaissance et le Rêve au musée du Luxembourg

Encore un peu de Renaissance cette semaine, mais une Renaissance onirique et mystérieuse entre les murs du musée du Luxembourg. Cette fois-ci, point de genèse de la Renaissance, ni-même un focus sur un lieu en particulier ou une période chronologique déterminée. Nous irons à Florence avec Ghirlandaio et Michel-Ange, à Venise avec Véronèse, à Bologne avec Carracci, mais aussi en France avec Léonard Limosin, en Espagne avec Le Gréco, dans les Pays-Bas de Jérôme Bosch et dans la Bavière de Dürer. Il y a du beau monde près du Sénat en ce moment !958-renaissance

Le titre en lui-même est très intriguant et prometteur et l’exposition qui se cache derrière est plus complexe qu’elle n’y parait et offre de belles rencontres artistiques.

Mais qu’est-ce donc qu’un rêve ? Aujourd’hui nous sommes armés de tout un bagage scientifique, biologique, et psychologique pour en comprendre le sens  et la raison. Mais au XVème et XVIème siècles ? Le rêve est perçu comme un lieu où l’imagination fleurie, où l’âme rencontre le divin mais aussi le démon. Le rêve c’est cet état où l’esprit se libère du corps et voyage, découvre et rencontre des puissances supérieures. Alors bien évidemment la mythologie et la religion auront une place essentielle dans sa représentation, avec tous ces rêves bibliques qui ont inspiré les saints et les prophètes.

le rêve d'Albrecht Dürer
le rêve d’Albrecht Dürer

L’artiste ne représente pas son propre rêve, à l’exception de Dürer dans une aquarelle du 8 juin 1525, retranscrivant un cauchemar. Mais comment pourrait-il ? Pour peindre il faut être conscient de son geste, le murir et l’exécuter, or dans le rêve, on ne peut faire ni l’un, ni l’autre. De plus, tous ceux qui se rappellent de leurs rêves savent très bien qu’ils sont souvent indescriptibles, flous, alors comment le représenter de manière concrète ? Autant de questions que se sont posés tous ces artistes.

Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, d’après Michel-Ange Allégorie de la Nuit vers 1553-1555 huile sur bois ; 135 x 196 cm Rome, Galleria Colonna © Galleria Colonna, Rome
Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, d’après Michel-Ange
Allégorie de la Nuit, vers 1553-1555
huile sur bois ; 135 x 196 cm
Rome, Galleria Colonna
© Galleria Colonna, Rome

Le parcours est conçu comme un rêve en soit. Il ne reprend pas une chronologie historique mais celle d’un rêve avec les différentes thématiques qui vont avec.
On commence ainsi avec la nuit qui tombe et la représentation de cette dernière qui durant la Renaissance tourne surtout autour d’un même modèle, la nuit de Michel-Ange, une sculpture exécutée pour le tombeau de Julien de Médicis. Et c’est seulement quand cette nuit tombe que l’endormi peut éventuellement rêver et commencer à voir autre chose, c’est la vacatio animae-la vacance de l’âme, référence à Platon. Nous découvrons ainsi toutes ces belles endormies qui laissent leur raison filer. La belle Vénus de Courrège est dans un état d’abandon que seul apporte le sommeil et semble ici proche de l’extase amoureuse. Et ce rêve laisse le dormeur dans un monde hors de toute portée, insituable.

Véronèse La Vision de sainte Hélène vers 1570-1575 huile sur toile ; 197,5 x 115,6 cm Londres, The National Gallery © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department
Véronèse
La Vision de sainte Hélène vers 1570-1575
huile sur toile ; 197,5 x 115,6 cm
Londres, The National Gallery
© The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department

On arrive ainsi à toute la signification religieuse et mystique du rêve. L’âme du rêveur peut voir la volonté de Dieu. « Je dors mais mon cœur veille » (Cantique des Cantiques). Le rêve lui-même peut être d’inspiration divine comme celui de Jacob qui voit une échelle montant au Ciel et empruntée par les anges ; mais aussi celui de sainte Catherine ou sainte Hélène qui entrevoient leurs destins. Dans ces représentations, le réel et le songe se confondent parfois tout comme le rêve et la vision. Le Greco va plus loin dans son Songe de Philippe II présenté pour la première fois en France, il lie à la fois la « prophétie » historique  et temporelle du roi Philippe II remportant la victoire sur les Trucs à la bataille de Lépante à une vision divine de l’Apocalypse avec ce Léviathan qui dévore les damnés.

Domínikos Theotokópulos, dit Le Greco Le Rêve de Philippe II vers 1579 huile sur toile ; 140 x 110 cm Madrid, Patrimonio Nacional et Real Monasterio de El Escorial © 2013. Photo Scala, Florence
Domínikos Theotokópulos, dit Le Greco
Le Rêve de Philippe II, vers 1579
huile sur toile ; 140 x 110 cm
Madrid, Patrimonio Nacional et Real Monasterio de El Escorial
© 2013. Photo Scala, Florence

Tableau très troublant comme souvent avec le Greco mais qui est encore loin de l’effet produit par les œuvres suivantes, car si le rêve peut ouvrir les portes du ciel, il peut ouvrir des portes beaucoup plus cauchemardesques. Nous voici donc dans des visions terrifiantes et angoissantes où les peintres des Ecoles du Nord se surpassent en imagination. La nature devient menaçante et de drôles de créatures apparaissent. Jérôme Bosch et son école sont particulièrement marquants avec la tentation de saint Antoine,  la vision de l’au-delà et la vision de Tondal, inspiré d’un récit médiéval de Marcus de Cashel. Tondal fait le rêve des supplices infligés aux pécheurs et y gagne sa propre rédemption. L’imagination déployée ici par le peintre défie toute logique raisonnable et est finalement assez proche de la conception d’un rêve sans queue ni tête.

École de Hieronymus Bosch La Vision de Tondal 1520-1530 huile sur bois ; 54 x 72 cm Madrid, Fundación Lázaro Galdiano © Museo Lázaro Galdiano. Madrid
École de Hieronymus Bosch
La Vision de Tondal, 1520-1530
huile sur bois ; 54 x 72 cm
Madrid, Fundación Lázaro Galdiano
© Museo Lázaro Galdiano. Madrid
Jacopo_Zucchi_-_Amor_and_Psyche
Jacopo Zucchi
Amour et Psyché, 1589
huile sur toile ; 173 x 130 cm
Rome, Galleria Borghese
© 2013. Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali

Enfin après s’être demandé si la vie ne serait pas finalement un rêve -question philosophie récurrente dans l’histoire des hommes-autour d’un dessin de Michel-Ange, l’Allégorie de la vie humaine qui a particulièrement influencé son époque, l’heure du réveil approche. L’Aurore « rose et safran » comme disait Homère ouvre la voie au Soleil et le rêve s’estompe. Point final de l’exposition, un magnifique tableau de Zucchi, Amour et Psyché, aux teintes chaudes, qui rappelle que le réveil peut-être brutal avec Eros brulé par Psyché qui voulait le contempler.
Il est finalement temps de se réveiller et de retourner à la réalité, mais le rêve vu par la Renaissance laisse un doux écho. Décidemment j’adore les expositions du Luxembourg.

Lorenzo Lotto Le Songe de la jeune fille ou Allégorie de la Chasteté vers 1505 huile sur bois ; 42,9 x 33,7 cm Washington, National Gallery of Art Samuel H. Kress Collection © Courtesy National Gallery of Art, Washington
Lorenzo Lotto
Le Songe de la jeune fille ou Allégorie de la Chasteté
vers 1505
huile sur bois ; 42,9 x 33,7 cm
Washington, National Gallery of Art
Samuel H. Kress Collection
© Courtesy National Gallery of Art, Washington

La Renaissance et le Rêve
Bosch, Véronèse, Le Greco…
9 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Musée du Luxembourg

Commissariat :
Alessandro Cecchi, directeur de la Galleria Palatina et du Jardin de Boboli au Palazzo Pitti, Florence Yves Hersant, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris Chiara Rabbi-Bernard, historienne de l’art

Le Printemps resiste à l’hiver au Louvre : le printemps de la Renaissance-La sculpture et les arts à Florence, 1400-1460

Alors qu’ici-bas l’automne devient peu à peu hiver, le Louvre nous offre un printemps artistique, le printemps de la Renaissance.WP_000682

Après avoir honoré Raphaël, il semblait logique pour le plus grand musée de France, qui possède l’une des plus belles collections du quattrocento d’élargir son propos et de nous raconter l’histoire d’un miracle artistique, ou comment dans une ville, Florence, tous les facteurs ont convergé pour faire émerger une nouvelle forme d’expression.
C’est une très belle exposition, bien ficelée et qui a l’originalité de choisir la sculpture comme art principal, le premier qui rompt peu à peu avec le gothique ce qui donne une nouvelle vision de la Renaissance connue de tous, et ce sont des sculpteurs comme Donatello surtout mais aussi Ghiberti, Nanni di Banco, Luca della Robbia, Nanni di Bartolo, Michelozzo, Agostino di Duccio, Desiderio da Settignano ou Mino da Fiesole qui sont à l’honneur.

Le propos débute avec ceux qui ont mené à ce renouveau artistique dès les XIIIème et XIVème sicèles avant même qu’on ne parle de Renaissance avec la redécouverte de l’Antiquité et de ces œuvres qui vont profondément influencer les artistes comme les Pisano à l’image du Cratère des talents de Pise qui trône au milieu de la première salle. De nombreuses autres œuvres antiques jalonnent subtilement le parcours pour toujours renvoyer à cette influence très net et ainsi offrir à voir le rapport entre l’original et sa réappropriation par les artistes du XVème siècle et d’après. Une idée simple mais judicieuse qui nous permet de mieux appréhender le propos.

Lorenzo Ghiberti   Le Sacrifice d'Isaac, 1401,Florence, musée national du Bargello, inv. 203 Bronzi © Lorenzo Mennonna, courtesy of Italian Ministry for Cultural Heritage and Activities
Lorenzo Ghiberti
Le Sacrifice d’Isaac, 1401,Florence, musée national
du Bargello, inv. 203 Bronzi © Lorenzo
Mennonna, courtesy of Italian Ministry for
Cultural Heritage and Activities

On arrive ensuite à Florence et ses dômes qui surplombent la ville, le foyer créatif par excellence avec deux sculpteurs qui ensemble créent ce qui est considérée comme la première œuvre de la Renaissance, le sacrifice d’Abraham pour les portes de bronze du battistero di San Giovanni de Florence. Lorenzo Ghiberti et Filippo Brunelleschi, concourent en 1401 pour la décoration de la porte nord avec des influences de la statuaires greco-romaine, le fameux tireur d’épines(Spinario) et le torse du centaure. Ghiberti remporte le concours et devient avec Donatello le grand initiateur de ce nouveau langage.
Mais revenons brièvement sur Florence qui a vu émerger entre ses murs cette Renaissance. La ville vit une apogée commerciale, la république se place en héritière de Rome et les chantiers religieux et civiques fleurissent dans la capitale de Toscane, donnant aux artistes un terrain d’expérimentation sans précédents avec des appuis puissants. Les mécènes sont mis l’honneur à la toute fin de l’exposition par une série de bustes-portraits, empreint de solennité et de réalisme romain, notamment le puissant Côme de Médicis.

Donatello, Saint Louis de Toulouse, 1422-1425,Florence, musée de l’Oeuvre de S a n ta Cr o c e© Studio Antonio Quattrone, Florence, by permission of Fondo Edifici di Culto, Ministero dell’Interno – Dipartimento per le Libertà civili e l’Immigrazione – Direzione Centrale per l’Amministrazione del FEC-Ghiberti , Saint Matthieu, 1419-1422, bronze, argent et traces de dorure. Florence, église et musée d’Orsanmichele © Lorenzo Mennonna, courtesy of Italian Ministry for Cultural Heritage and Activitie
Donatello, Saint Louis de Toulouse,1422-1425,Florence,musée de l’Oeuvre de Santa Croce© Studio Antonio Quattrone, Florence, by permission of Fondo Edifici di Culto, Ministero dell’Interno– Dipartimento per le Libertà civili e l’Immigrazione –Direzione Centrale per l’Amministrazione del FEC-Ghiberti , Saint Matthieu, 1419-1422, Florence, église et musée d’Orsanmichele © Lorenzo Mennonna, courtesy of Italian Ministry for Cultural Heritage and Activitie

De superbes statues monumentales ornent les monuments de la ville, deux géants sont confrontés l’un à l’autre, le délicat et raffiné Saint Louis de Toulouse par Donatello pour la basilique Santa Croce (1422-1425) et la puissance du saint Mathieu de Ghiberti pour la chapelle Orsanmichele (1421-1422). Ce dernier dégage une intensité dans le regard vraiment émouvante. Il est tellement grand (2m70) qu’on a du mal à le regarder dans les yeux, mais quand on capte ce regard, il est difficile de s’en détacher. Une superbe rencontre qui me rappelle pourquoi j’aime tant l’art. Ghiberti a mis de la vie dans le bronze.

Donatello, “Spiritelli” (de la “cantoria” de la cathédrale),1439, Paris, Institut de France, Musée Jacquemart-André, inv. MJAP-S 1773-1 et 2 © musée du Louvre/Philippe Fuzeau
Donatello, “Spiritelli” (de la “cantoria” de la cathédrale),1439, Paris, Institut de France, Musée Jacquemart-André, inv. MJAP-S 1773-1 et 2 © musée du Louvre/Philippe Fuzeau

L’influence romaine se dévoile également à travers ces petits putti, les spiretelli venus des sarcophages antiques et qui rentrent peu à peu dans l’iconographie chrétienne en tant que petits anges et qui symbolisent visuellement ce nouveau langage de la Renaissance. Ceux de Donatello exécutés pour la “cantoria” de la cathédrale sont d’ailleurs les têtes d’affiche de l’exposition avec leurs ailes d’une ciselure si fine qu’on croirait voir de vrais plumes. L’art équestre bénéficie aussi d’un nouveau souffle. Le célèbre Marc-Aurèle du Capitole inspire à Donatello, toujours lui deux œuvres majeures le Gattamelata de Padoue (1447-50) et le Protomé Carafa (1455) pour Alphonse V d’Aragon, roi de Naples. A noter que la statuaire équestre ne fleurit pas dans Florence mais hors de la ville, car elle rappelle un art jugé trop aristocratique pour une cité fière de son organisation républicaine.
La peinture fait enfin son apparition dans l’exposition, mais une peinture fortement inspirée de la sculpture. Avec des corps très modelés et des mises en perspectives révolutionnaires. Et en parlant de perspective, on parle souvent de Massaccio ou de Pierro de la Francesca, mais c’est encore Donatello qui la fait entrer dans la sculpture d’abord avec le Prédelle du saint Georges (1415-1417).

Donatello Saint Georges et le dragon, vers 1417, marbre. Florence, musée national du Bargello, inv. 517 Sculture © Lorenzo Mennonna, courtesy of Italian Ministry for Cultural Heritage and Activities
Donatello Saint Georges et le dragon, vers 1417, marbre. Florence, musée national du
Bargello, inv. 517 Sculture © Lorenzo Mennonna, courtesy of Italian Ministry
for Cultural Heritage and Activities

La Renaissance est désormais bien installée et va pouvoir se diffuser avec succès, dépasser les frontières des commandes officielles et rentrer dans les demeures privées, comme toutes ses Vierge à l’enfant en terre cuite émaillée, mise au point par Luca della Robbia dans les années 1430 et qui forment comme une allée d’honneur.
Et c’est ainsi que naquit l’une des périodes les plus riches et inspirées de l’Histoire de l’Art, l’une des plus appréciées aussi.
Pour aller plus loin, le Louvre propose de découvrir la version française de la Renaissance, plus tardif, avec Jean Cousin, père et fils qui dominent la production française du XVIème siècle. Un magnifique ensemble de dessins ainsi qu’une peinture, Eva Prima Pandora, récemment restaurée et pleine de mystères sont exposés dans les salles Mollien. Cette dernière tient aussi son inspiration dans la sculpture, celle de Cellini cette-fois ci…c’est l’école de Fontainebleau.

ousin le Père, Eva Prima Pandora, Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
Cousin le Père, Eva Prima Pandora, Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado


Le printemps est décidément une bien jolie saison quand il se déploie au Louvre. J’avais plus qu’adoré l’exposition sur Raphaël, celle-ci tient également de belles promesses.

Le printemps de la Renaissance
La sculpture et les arts à Florence, 1400-1460
du 26 Septembre 2013 au 6 Janvier 2014
Commissaire : Marc Bormand, conservateur en chef au département des Sculptures du musée du Louvre et Beatrice Paolozzi Strozzi, directrice du musée national du Bargello.

Les dernières années de Raphael exposées au Louvre

Pour bien commencer 2013 que je vous souhaite très riche, voici une belle exposition consacrée aux dernières années du prodigieux Raffaello Santi, mieux connu sous le nom de Raphaël.

Raphaël (dit), Sanzio Raffaello (1483-1520)Tête de jeune homme, de profil vers la droite(C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - @Michèle Bellot
Raphaël (dit), Sanzio Raffaello (1483-1520)
 étude pour la chambre d’Héliodore
(C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – @Michèle Bellot

Avec Léonard de Vinci et Michel Ange, ils forment la géniale triade artistique de la Renaissance italienne. Pour certains il pourrait se trouver dans l’ombre des deux autres, mais il n’en est rien, au contraire. Raphaël est un artiste plus que complet, il met en place des projets décoratifs impressionnants, ses peintures sont toutes des chefs-d’œuvre, il est aussi architecte, archéologue, il recense les antiquités de Rome et est dans l’histoire, le seul peintre à avoir le privilège d’être inhumé au Panthéon.

Voici donc, grâce au Louvre, en collaboration avec Le Prado, l’occasion de découvrir ou redécouvrir ce génie qu’est Raphaël et son évolution stylistique durant les sept dernières années de sa vie.

Raphaël (?) et atelier, Saint Jean Baptiste dans ledésert, vers 1517-1518. Huile sur toile. H. 163 ; l. 147cm. Florence, Galleria degli Uffizi, SoprintendenzaSpeciale per il Polo Museale Fiorentino, inv. 1890,n.o1446 © 2012 Photo Scala, Florence
Raphaël (?) et atelier, Saint Jean Baptiste dans le désert, vers 1517-1518. Florence, Galleria degli Uffizi, Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino
 © 2012 Photo Scala, Florence

Né à Urbino en 1483, il est le fils du peintre et poète officiel de la cour du duc d’Urbino, Giovanni Santi, qui meurt lorsqu’il n’a que 9ans. Il forme son art en parti chez le Pérugin à Pérouse et il rencontre et étudie les deux grands maîtres de son temps, que sont Michel Ange et Leonard de Vinci à Florence. En s’inspirant de leurs arts respectifs, Raphaël façonne le sien. Son art est puissant tant au point de vue dessin que dans l’utilisation des couleurs, ce qui le démarque de la plupart des artistes de son temps qui privilégiaient soit l’un soit l’autre. Tout chez lui est dominé par un souci constant d’équilibre et d’harmonie dans la forme et dans la composition.

L’exposition ne retrace pas toute sa carrière, elle se concentre sur l’apogée de cette dernière, sa période romaine. Raphaël arrive dans la Città Eterna., appelé par le pape Jules II en 1508. A cette époque, Rome est indéniablement la capitale artistique de l’Italie et peut-être même du monde occidental. Cela est le fait d’importants chantiers que sont la reconstruction de la Basilique Saint-Pierre décidée en 1505 par Jules II et la construction et la décoration du palais apostolique.

La Madone au poisson, 1513-1514, Prado
La Madone au poisson, 1513-1514, Prado

Raphaël réalise ainsi la décoration des « stanze » que Jules II dédia à ses appartements privés (1503-1513), ce qu’on appelle en français« les chambres de Raphaël » : la salle des signatures tout d’abord qui impressionne tellement le pape qu’il lui confie les autres, la salle d’Héliodore, la salle de l’incendie du Bourg et la salle de Constantin, effaçant même le travail de ses prédécesseurs. Le nouveau pape Léon X, bien qu’un Médicis, apporte également tout son soutien au peintre, il devient son plus grand mécène et quand 1514, meurt Bramante,  l’architecte de la basilique et soutien de Raphaël, il lui confie le chantier en qualité d’architecte.

Sainte Marguerite, 1518, musée du louvre, photo C2RMF
Sainte Marguerite, 1518, musée du louvre, photo C2RMF

L’intérêt de cette exposition est aussi de mettre en lumière l’atelier du peintre. Pour répondre aux commandes croissantes, Raphaël s’est entouré de nombreux collaborateurs. Vasari en dénombre une cinquantaine mais ils étaient peut-être plus car aux funérailles du maître en 1520, une centaine de peintres portaient des torches sur le cortège funéraire. Pourtant malgré le nombre imposant de disciples, l’unité a toujours régné, les individualités s’effaçaient devant le collectif et c’est là, la force de Raphaël. Un maître talentueux, affectueux et sujet d’admiration, qui donnaient les lignes directrices et faisait régner l’harmonie entre les différents intervenants qu’ils savaient encourager pour qu’ils donnent le meilleur. Seuls des yeux très experts savent parfaitement déceler les interventions extérieures à celles de Raphaël dans ses productions. C’est fascinant en ce sens de lire dans le catalogue d’exposition comment les historiens de l’art réussissent sur une œuvre donnée à dire quelle partie est de la main de Raphaël et quelle partie ne l’est pas, par manque de rigueur, de douceur ou autre. Plusieurs exemples peuvent être donnés, même si elle n’est

Madonna dell Impanata, 1513/14 - palais Pitti
Madonna dell Impanata, 1513/14 – palais Pitti

pas exposée, je peux vous citer la Madone de l’impannata dont la facture montre l’intervention d’au moins deux artistes. Raphaël aurait fait l’enfant et les de têtes de saints, mais un autre peintre aurait fait la tête de la vierge, ses vêtements et les draperies de sainte Elisabeth. Toujours sur ce même tableau, il semblerait que le petit saint Jean Baptiste soit également trop maladroitement exécuté pour être de la main de Raphael. Comme autres exemples exposés cette fois-ci, citons La Sainte Margueritte, apparemment été exécutée par Giulo Romano sur un motif de Raphael ou la Vierge au Poisson dont les draperies et les têtes à gauche seraient de Penni.

Ces deux derniers collaborateurs, Giovan Francisco Penni et Giulio Romano, se démarquent suffisamment pour que leurs noms soient connus. La place qui leur est donnée pousse les limites chronologiques de l’exposition jusqu’en 1524-25, après la mort du maître pour appréhender la survie de son atelier et surtout la carrière personnelle de ses deux prestigieux élèves.

Romano et Penni (?), V.1517, la visitation, © Museo nacional del Prado, Madrid
Romano et Penni (?), V.1517, la visitation, © Museo nacional del Prado, Madrid

Les deux ont collaboré à l’exécution de nombreuses œuvres, notamment la Visitation de 1517 commandée par Giovanni Battista Branconio dell’Aquila, un ami de Raphaël. Romano connu pour ses formes dures et denses qui vont donner naissance au maniérisme aurait fait les têtes et peut-être les corps et les draperies, un peu maladroits dans l’exécution (bras trop long, étole qui ne repose pas normalement sur l’épaule, ventre étrangement arrondi), quant à Penni, considéré par Vasari comme un très bon paysagiste, il aurait exécuté le fond où on reconnait sa douceur.

Commençons par Penni, le plus âgé des deux. Malheureusement celui-ci étant mort assez tôt, en 1528, son style personnel caractérisé par une douceur des formes, une homogénéité de l’éclairage et un manque d’attention aux contours, n’ pas eu le temps de s’épanouir et est très difficile à identifier avec certitude. C’est surtout dans son rôle de dessinateur qu’on reconnaît sa main. Il rejoint Raphaël avant son installation à Rome et c’est à lui que le maître confi l’exécution des modelli entre 1511 et 1520, toujours aux pinceaux et aux lavis. Il met au propre les motifs de Raphaël. Vasari le surnomme « il fattore », le recopieur. Il a également certainement joué le rôle d’administrateur et de contrôleur artistique de l’atelier. Une originalité de Penni c’est son intérêt pour la tapisserie, qu’il va développer après la mort de Raphaël.

Giulo Romano est né pour sa part à Rome en 1492 ou en 1499. Si la deuxième date est la bonne, cela voudrait dire qu’il rentre dans l’atelier de Raphaël à seulement 16/17ans et qu’il n’a que 21ans quand il hérite de cet atelier en 1520, ce qui fait de lui un jeune prodige.

Giulio Romano, peut-être avec l’intervention de Raphaël, Portrait de Doña Isabel de Requesens y Enríquezde Cardona-Anglesola, 1518.  musée du Louvre © RMN (Musée duLouvre) / Hervé Lewandowski
Giulio Romano, peut-être avec l’intervention de Raphaël, Portrait de Doña Isabel de Requesens y Enríquez
de Cardona-Anglesola, 1518. musée du Louvre © RMN (Musée du
Louvre) / Hervé Lewandowski

Très tôt d’ailleurs, il va se démarquer de ses congénères, de par sa forte personnalité, son talent et son inventivité. Il gagne ainsi la confiance du maître qui lui confie l’exploitation des cartons où il apporte sa vitalité, c’est lui qui réalise les études de figure et il n’hésite pas à lui confier l’exécutions d’importantes commandes comme le portrait de Doña Isabel de Requesens dont on est certain qu’il est de lui grâce à des documents écrits de la main de Raphael.

Cette relation de confiances presque filiale mais aussi d’émulations respectives se retrouve dans le fameux autoportrait avec Giulio Romano, l’une des dernières œuvres de Raphael. Romano semble montrer quelque chose à Raphaël qui tempère son ardeur en posant la main sur son épaule.

A la mort de son mentor, Romano vole vite de ses propres ailes, il concrétise les dernières commandes de Raphaël, comme la transfiguration, la chapelle de La Madeleine à la Trinité des Monts, la loggia de la Villa Stati Mattei ou les chantiers de décorations du Vatican avec Gian Francesco Penni, mais ils finissent par se séparer en 1524, suite à une brouille. Puis en 1527, il s’installe à Mantoue sous la protection de la famille Gonzague. Une exposition d’art graphique lui est consacrée dans le pavillon Mollien, ce qui permet de mieux apprécier son talent de dessinateur.

Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, 1519-1520.Paris, musée du Louvre,  photo RMN (Musée du Louvre) / Gérard Blot
Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, 1519-1520.
Paris, musée du Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Gérard Blot

Cette exposition est une plongée dans un art absolument fascinant. On découvre les grands projets décoratifs que sont « les chambres de Raphael » essentiellement représentées par ses dessins, des tapisseries également, de nombreuses études et un grand nombre de toiles. A Rome, la peinture de chevalet n’est pourtant pas sa principale activité, elle arrive derrière les projets architecturaux et de décorations. On retrouve quelques rares grands formats dont les cadeaux diplomatiques (aujourd’hui au Louvre), envoyés par le pape en 1518  à François Ier pour sceller l’union de Laurent de Médicis et Madeleine de la Tour d’Auvergne. Parmi ses dons, le somptueux et le plus important, Saint Michel souvent délaissé dans la Grande Galerie mais qui retrouve ici toute sa force, bien qu’il est certainement perdu une partie de sa splendeur.  En effet, Raphaël l’a exécuté très rapidement, Vasari pense qu’il est entièrement de sa main, mais par manque de temps, il n’a pas peu bien le préparer, ce qui fait qu’en 1540, il doit déjà être restauré par Le Primatice. La radiographie montre d’ailleurs que les défauts actuels et maladresse d’exécution ne sont certainement pas d’origine.

Saint Michel terrassant le démon, dit Le Grand Saint Michel, Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Thierry OllivierSainte Cécile et quatre saints, vers 1515-1516., Pinacothèque Nationale de Bologne, © 2012 Photo Scala, Florence – courtesy of the
Ministero Beni e Att. Culturali
Saint Michel terrassant le démon, dit Le Grand Saint Michel, Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Thierry Ollivier
Sainte Cécile et quatre saints, vers 1515-1516., Pinacothèque Nationale de Bologne, © 2012 Photo Scala, Florence – courtesy of the
Ministero Beni e Att. Culturali

On reste également en admiration devant l’extase de Sainte Cécile, exposée juste à côté et qui est l’un des rares grands tableaux du dernier tiers de sa carrière, commandé par Elena dall’Olio pour la chapelle de San Giovanni in Monte à Bologne. On découvre y avec joie, l’influence qu’a pu avoir Leonard de Vinci, de séjour à Rome en  1513-1516 dans le choix des coloris et plus loin à travers les différents saint Jean-Baptiste, fortement inspirés de celui du florentin, dans la pose notamment. A partir de cette date, la peinture de Raphael devient également plus sombre et utilise volontiers le sfumato.

La peinture religieuse domine très clairement sa production et le seul genre profane qu’il aborde en matière de peinture de chevalet c’est le portait, qui clôt l’exposition. Et là il faut distinguer deux types de portraits, à savoir les officiels, souvent innovants (Jules II) où le travail de composition formelle est très poussé et les portraits privés, où c’est cette fois ci l’exécution qui tire au génie tant il guide son pinceau avec ses sentiments d’amour et d’amitié. Les deux plus beaux à ce titre sont celui de Bindo Altoviti  dont les cheveux sont peints un à un et surtout cette sublime jeune femme, la Donna velata, probablement Margherita Luti, sa maitresse plus connue sous le surnom de  Fornarina, pleine de douceur et de beauté.

Bindo Altoviti, vers 1516-1518, Washington, National Gallery of art, ©Image courtesy of the National Gallery of Art
La Donna Velata, vers
1512-1518. palazzo pitti, © 2012
Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att.
Culturali
Bindo Altoviti, vers 1516-1518, Washington, National Gallery of art, ©
Image courtesy of the National Gallery of Art
La Donna Velata, vers
1512-1518. palazzo pitti, © 2012
Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att.
Culturali

Un très bel épilogue pour une exposition qui passe très vite, trop vite même.

CIMA : maître de la Renaissance vénitienne

Je suis désolée du retard car l’exposition que nous allons découvrir aujourd’hui se termine à la fin de la semaine, mais je ne l’ai vue qu’hier et je ne pouvais pas ne pas en parler ici tant la qualité des œuvres montrées m’a touchée.

Nous voici donc au musée du Luxembourg pour découvrir l’un des grands peintres de la Renaissance vénitienne : Cima da Conegliano (1459-1517). Certes son nom est moins connu du grand public qu’un Giovanni Bellini, d’un Giorgione ou d’un Titien mais Cima est pourtant l’un des maîtres de Venise entre la fin du XVe et le début XVI e siècle et cette exposition tend à lui redonner cette place. Une trentaine d’œuvres font ainsi revivre le talent de Cima. Elles sont parfaitement mises en valeur par une scénographie sobre et un éclairage qui met d’avantage en lumière ces tableaux.

Jacopo de’ Barbari (1475 – av. 1516), Vue perspective de la ville de Venise, gravure sur bois imprimée en six feuilles, 139 x 282 cm (l’ensemble). Paris, BNF, département des Estampes et de la Photographie

Venise durant le XVe et les XVIe siècles est une république toute puissante qui domine le  commerce et la marine du fait de sa puissante flotte et de son emplacement stratégique géographique. « La cité la plus glorieuse que j’aie jamais vue » disait l’ambassadeur Philipe de Commynes en 1495. L’exposition débute ainsi par le prêt exceptionnel de la BNF du plan de la cité exécuté par Jacopo de’ Barbari vers 1500. Il s’agit d’un plan xylographié de 3m de long témoignant de cette toute puissance vénitienne face aux autres cités italiques, à travers la représentation de la flotte et des dieux du commerce et de la mer : Mercure et Neptune. A travers cette majestueuse carte et les images des dieux, Venise se situe dans la tradition de Rome dont la Républicaine vénitienne se veut l’héritière.

L’art vénitien est aussi en pleine effervescence, en train de se définir comme une synthèse entre les formes flamandes et germaniques, dans la minutie des paysages et de la végétation et l’utilisation de la peinture à l’huile entres autres que maitrise parfaitement Cima et celles plus propres à l’Italie et Venise comme la perspective, le faste et l’ordonnance majestueuse.

Le Lion de saint Marc entre saint Jean-Baptiste, saint Jean l’Évangéliste, sainte Marie-Madeleine et saint Jérôme-1506-1508, Gallerie dell’Accademia (photo galleria dell accademia)

C’est dans ce contexte d’une cité des doges ultra puissante que l’art de Cima et des autres va s’épanouir avec des commandes importantes émanant de riches particuliers et surtout des scuole très importantes dans la société vénitienne. Une scuola  est une institution républicaine et laïque en lien avec les corporations de métiers et d’art placée sous le patronage d’un saint. Bien que non vénitien, l’artiste devient l’un de ses plus fameux représentants et en retour il témoigne toute la fierté de la cité des doges à travers cette majestueuse toile : Le Lion de saint Marc entre saint Jean-Baptiste, saint Jean, sainte Marie-Madeleine (Galleria dell Accademia) destinée à un tribunal.

Cima n’est pas né à Venise, il a grandi à Conegliano une petite ville de la Vénétie située aux pieds du massif des Dolomites et contrairement à beaucoup d’artistes de cette époque, il ne vient pas non plus d’une grande dynastie de peintres à l’image des deux plus importantes de cette époque : les Bellini et les Vivarini. Cima est né dans une famille aisée, son père travaillant dans le textile, d’où son nom, Cima-Cimatore, la tonte. Mais son souci de perfection dans le domaine du sacré lui vaut la reconnaissance de tous jusqu’au Doge de Venise et même au-delà des murs de la cité, comme à Parme où il a également travaillé. Comment a-t-il réussi ? Nul ne le sait vraiment, il s’agit surtout d’hypothèse. Il a peut-être été élève de Giovanni Bellini, ou du moins il a fortement été inspiré par ce dernier, ce qui est évident à la vue de la proximité stylistique des deux artistes.

Le Sommeil d’Endymion,Parme, Galleria Nazionale© Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN – Grand Palais / Georges Tatge

Cima est avant tout porté sur la peinture religieuse, c’est un peintre de retable mais en plein courant humaniste dont il est un représentant, certaines de ses peintures prennent pour sujet la mythologie païenne à l’image du Duel entre Thésée et le Minotaure (Pinacoteca di Brera)   ou du Sommeil d’Endymion (Parme, Galleria Nazionale).

Vierge à l’Enfant,Florence, Galleria degli Uffizi © Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN– Grand Palais / Daniela Camilli

L’exposition débute par des petits formats, déjà très prisé par Bellini, un Saint Jérôme et deux Vierge à l’enfant. Bien qu’encore maladroit c’est une impression de tendresse qui émane de cette œuvre de jeunesse par le simple geste du fils tenant le doigt de sa mère. Cima est certainement l’un des peintres qui sait le mieux rendre le corps et le visage des enfants, qui ressemblent à des enfants et qui sont plein de douceur. Puis c’est une succession de vierges, de saints,  de Christ toujours représentés avec une grâce propre à l’artiste. Après si vous n’aimez pas la peinture religieuse, évidement, ça risque d’être difficile pour vous.

Le style de Cima est vite identifiable et n’évolue presque pas. C’est un style raffiné où la recherche du détail est précieuse, à travers des riches drapés ornés de décors somptueux, notamment sur les manteaux de l’évêque saint Magne (L’Incrédulité de saint Thomas et l’évêque Saint Magne– Galleria dell’Accademia) et de saint Nicolas de Bari (L’Archange Raphaël et Tobie entre saint Jacques le Majeur et saint Nicolas de Bari– Galleria dell’Academia). C’est juste somptueux. Nous ne sommes pas encore dans le règne prédominant de la couleur sur le dessin dont Titien, Véronèse et Tintoret seront les maîtres quelques décennies plus tard. Cima tient à la minutie du dessin et cela se ressent très vite, dans les lignes des visages très structurées mais toujours très doux car il maîtrise aussi parfaitement le rendu de la  couleur. Elle est vive et lumineuse, elle transcende les différents sujets et fait se détacher d’autant plus les personnages très sculpturaux à l’image du Saint Sébastien (musée des BA de Strasbourg) sur un paysage toujours très caractéristique. Il peut superposer plusieurs couches de glacis pour créer un effet d’une extrême profondeur notamment pour les tons rouges et bleus qui s’opposent à des carnations souvent pâles.

L’Incrédulité de saint Thomas et l’évêque saint Magne 1504-05, Galleria dell’Accademia
© Soprintendenza speciale per il Polo Museale di Venezia, Galleria dell’Accademia

Mais revenons justement sur ce paysage si caractéristique de cette époque. Il est vaste et s’étend derrière les personnages pour les ancrer dans le réel car c’est sa Vénétie natale qu’il prend pour modèle et qu’il sublime toute en poésie.  Les tons sont étudiés pour se fondre dans l’ensemble. En 1674, Marco Boschini disait que la nature avait pris Cima pour frère tellement il essaye d’en être le plus proche possible. Dans cette nature, la trace l’homme se manifeste à travers de remarquables représentations d’architecture, soit en encadrement du premier plan, soit en arrière-plan. Il place le sacré en plein air, au lieu de l’enfermer dans un décor strict et sévère. Il lui apporte toute la lumière d’un grand ciel bleu. Regardez notamment la beauté dans la représentation de ce temple païen dans Vierge à l’Enfant avec saint Michel archange et saint André apôtre (Galleria Nazionale – Parmes) au milieu duquel se place les personnages. C’est aussi tout l’humanisme de cette époque qui transparait à travers une redécouverte de plus en plus précise de l’Antiquité.

Vierge à l’Enfant entre saint Michel archange et saint André l’apôtre
Vers 1496-1498, Parme, Galleria Nazionale, © Archives Alinari, Florence, Dist. Réunion des musées nationaux – Grand Palais / Georges Tatge

La fin de l’exposition montre bien le dialogue artistique dans lequel se situe Cima, dialogue entres les époques et les artistes. On peut citer Dürer dont le rapprochement se fait à travers deux œuvres : le christ à la couronne d’épines (national gallery) et la Vierge allaitant (Rijksmuseum).


Le Christ couronné d’épines, v.1505 Londres, The National Gallery
© The National Gallery, Londres. Dist. Service presse Réunion des musées nationaux – Grand Palais /
Vierge allaitant l’Enfant dans un paysage, Vers 1514-1517, Amsterdam, Rijksmuseum

Le premier est dans sa composition à rapprocher des gravures du peintre allemand et témoigne d’une intense expressivité accentué par ce cadrage serré. Observez le teint cireux, ses lèvres violacées et surtout son regard perdu cerclé de sang.

La vierge allaitant qui est peut-être son ultime œuvre, reprend aussi une pose présente dans une gravure de Dürer, la madone près de l’arbre et évoque l’art de Giorgione et Titien qui suivront.

C’est donc une très belle exposition, courte, certes, mais au musée du Luxembourg c’est souvent le cas (et oui le prix d’entrée n’est pas proportionnel au nombre de chef-d’œuvres). De plus, les explications sont très complètes et les tableaux majeurs sont complétés par des cartels plus fournis. Du coup malgré l’absence d’audioguide (oui je résiste) tout reste fluide et compréhensible.

L’Archange Raphaël et Tobie entre saint Jacques le Majeur et saint Nicolas de Bari, 1514-15, Venise, Galleria dell’Academia, © Soprintendenza special per il Polo Museale di Venezia, Galleria dell’Academia

Si vous êtes en vacances dans le coin et que vous ne l’avez pas vu et si en plus vous aimez la Renaissance, ce serait un crime de la manquer. Bon peut-être pas un crime, mais dommage…

Cima da Conegliano, Maître de la Renaissance vénitienne, Musée du Luxembourg. Jusqu’au 15 juillet 2012

COMMISSARIAT GENERAL :

Giovanni C. F Villa, professeur en histoire de l’art à l’Université de Bergame, spécialiste de la peinture vénitienne de la Renaissance

http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-10/