Fra Angelico et les maîtres de la Lumière

FRA ANGELICO et les maîtres de la lumières

Musée Jacquemart-André.  23septembre 2011-16Janvier 2012

Commissariat : Giovanna Damiani, surintendante des Musées de Venise, et Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André.

Cristina Acidini Luchinat, surintendante des Musées de Florence, d’Antonio Paolucci, directeur des Musées du Vatican, et de Magnolia Scudieri, directrice du Musée San Marco de Florence.

Scénographe : Hubert Le Gall.

Producteur : Culturespace.

Dans le cadre du splendide musée Jacquemart-André s’est ouverte une exposition consacrée à l’un des grands peintres du quattrocento : Guido di Pietro, plus connu sous le nom de Fra Angelico.

25 œuvres de l’artiste sont ainsi présentées pour revisiter son parcours et autant d’œuvres de ses contemporains.

Quand on parle de cet artiste, on imagine tout de suite de belles vierges blondes vêtues de bleu, de saints auréolés d’or ou je ne sais quoi d’autre propre à l’art sacré.

D’abord laïc, Guido di Pietro (v. 1400-1455) est rentré dans l’ordre des Dominicains Observant en 1417. En 1423 il entre au couvent de San Domenico de Fiesole (Toscane) et devient Fra Giovanni di Fiesole. Il est ordonné prêtre en 1427 et en 1450 il est nommé la même année, prieur du couvent San Marco nouvellement bâti et archiprêtre de Florence.  Béatifié en 1982 par Jean Paul II, il est naturellement devenu le saint patron des peintres, lui qui a toujours considéré son art comme un support de médiation et de prédication.

Dans cette expo, l’art sacré est inévitablement présent, car après tout c’est intimement lié à l’artiste mais le sujet est plus grand qu’une simple exposition sur un peintre religieux qui a voué son art à Dieu.

Fra Angelico est un artiste majeure car il est de ces artistes entre deux mondes, deux époques, qui par leurs talents font basculer peu à peu les choses vers plus de modernité. Ici pas de peintures à l’huile dont l’utilisation à Florence se développe un peu plus tard. Nous sommes encore au temps de la tempera. Les pigments sont liés entre eux par du jaune d’œuf, on y ajoute parfois même de l’or ce qui explique cette profusion d’or dans les œuvres de Fra Angelico.

Empreint de l’art médiéval, du gothique international,  il est formé à Florence auprès d’un autre moine, Lorenzo Monaco. Il va malgré tout, réinterpréter les sujets traditionnels et  innover dans la technique, la perspective et la construction des figures humaines, entrant ainsi d’un pas décidé vers la Première Renaissance dont Florence est le cœur artistique. C’est ce passage que l’exposition (découpée en 8 sections)tient à montrer à travers l’œuvre de Fra Angelico et de ses contemporains, les « peintres de la lumière ».

Les débuts de l’expo nous replongent dans la Florence du tout début du XVème siècle. La cité aux lys rouges est alors l’une des plus riches d’Italie forte d’un pouvoir financier et industriel important sous la coupe des Médicis qui vont être de grands mécènes pour leur cité-Etat. Les grands maîtres s’y réunissent, les chantiers sont nombreux, monastères et bibliothèques sont riches. C’est dans ce foyer que naît la Première Renaissance et que Fra Angelico apprend petit à petit son art entouré de multiples influences.

Vierge à l'enfant. Filippo Lippi (1406-1469) 1430-1440, tempera sur panneau de bois, 47,1 x 36 cm © 2011. Photo Scala, Florence

La perspective est l’une des grandes innovations de l’art de ce quattrocento. Filippo Brunelleschi, met en place les bases qui seront reprises par Masaccio et Piero della Francesca autour des années 1420-1430. On rentre désormais dans les tableaux comme on rentre dans une pièce, le spectateur doit se sentir happé. Rien n’est laissé au hasard, par tout un calcul géométrique de construction  et de recherche de ligne de fuite.  Cette recherche on la retrouve chez Uccello, Lippi et bien entendu chez Fra Angelico.

Le martyr des saints Côme et Damien. Vers 1438-1443, tempera sur panneau de bois, 37 x 46 cm

Dans le martyr de saint Côme et saint Damien (1438-43), l’architecture de la ville, le paysage et les personnages eux-mêmes sont placés de telle manière qu’on sent l’œuvre s’étirer en profondeur.

Fra Angelico est loin d’être un peintre isolé. Comme le dit la 4ème salle, il est « un peintre à suivre ». Son succès est tel qu’il doit s’entourer d’autres artistes comme Zanobi Strozzi ou Benozzo Gozzoli  qui vont contribuer à diffuser son art.

Sa renommée remonte au Vatican et en 1445, le pape Eugène IV le fait venir à Rome pour décorer la chapelle du Saint-Sacrement à Saint-Pierre qui a été détruite sous Paul III (1534-1549).

Entre 1447 et 1449,  il exécute, cette fois pour Nicolas V, les fresques de la chapelle Nicoline représentant le martyr des saints Etienne et Laurent.

En tant que peintre du sacré qui voyait son art comme un médium à la contemplation et à la réflexion spirituelle, ses thèmes de prédilections sont des vierges d’humilité et des christs que l’on retrouve peints plusieurs fois, pour montrer les différentes variations qu’il apporte à son œuvre et dont l’apothéose se trouve être le couronnement de la Vierge (1434-35) d’une  grande rigueur spatiale.

Le couronnement de la Vierge. Vers 1434-1435, tempera sur panneau de bois, 114 x 113 cm © 2010. Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali

L’intimité qui lie l’œuvre à celui qui la regarde est essentielle dans ce genre de sujet. La peinture est là pour éveiller les sentiments religieux et appeler à la prière en rendant le modèle plus proche de nous. Les vierges sont très humaines et très tendres tout en gardant souvent un regard absent, comme si le divin n’était pas totalement à notre portée. L’avantage de ce genre d’exposition c’est qu’on peut vraiment être face à face avec l’œuvre et ressentir les émotions que le peintre veut faire passer.

Vers 1450, tempera sur panneau de bois, 99,5 x 66,8 cm © 2011. Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali

Mais la méditation n’empêche pas l’innovation esthétique. On est plus dans la figure figée d’une icône. Le visage est expressif et un véritable décor se construit autour de la figure. On aperçoit des éléments architecturaux ci-et-là laissant entrer la perspective. La lumière elle-même est finement utilisée, placée par touches pour créer des effets de profondeur ou de relief démontrant le savoir-faire de l’artiste.

La dernière section de l’expo est quant à elle dédiée aux chefs-d’œuvre de Fra Angelico.

Dans cette petite salle, la lumière vient des œuvres elles-mêmes, pleines de couleurs chatoyantes, de bleu, de jaune et d’or bien sûr.

L’un de ces chefs-d’œuvre est l’armoire des ex-voto d’argent exécuté pour Pierre Ier de Médicis, fils de Côme en 1450-1452 pour l’oratoire familial du couvent de la Basilique della Santissima Annunziata. C’est d’ailleurs cette œuvre précisément qui lui donna son surnom « angélico », l’angélique,  que l’on retrouve dans un commentaire écrit par un moine en 1468.

l'armoire des ex voto d'argent. 1450-1452, tempera sur panneau de bois, 38,5 x 37,5 cm (chacun) Su concessione del Ministero per i Beni e le Attività culturali - S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della Città di Firenze Gabinetto Fotografico

Pour ceux qui rêvent de voir les fresques de San Marco, l’église Saint-Germain-des-Près expose non pas les originaux mais des reproductions photographiques, sinon à la fin de l’expo un petit film est diffusé retraçant leur histoire. Le mieux étant sûrement de se déplacer. Je n’y suis jamais allée, mais Florence doit certainement valoir le détour.

Un dernier petit mot pour la muséographie. Plutôt réussie dans l’ensemble, du point de vue scénographie. Vous pouvez voir des photos des salles sur le site de l’expo si vous voulez. Par contre j’y suis allée un mardi, c’est à dire un jour pas trop chargé. Je n’ose imaginer un samedi dans ces petites salles. Cela doit être l’enfer. De même, si vous avez des sous, prenez un audio-guide, ou un guide tout court, parce que j’ai voulu faire ma radine et par conséquent, une grande partie des oeuvres m’a totalement échappée.  Hormis les petits descriptifs sur les murs de chaque section, rien! Les cartels étaient réduits au stricts minimums ce qui est dommage surtout quand il s’agit de scènes narratives pas forcément à la portée de tous.

http://www.expofraangelico.com/