A star is dead il y a 500 ans. Leonard au Louvre !

 

Il y a 500 ans disparaissait Leonardo Da Vinci à Amboise. Ce fils illégitime d’un notable florentin, devenu avec le temps l’un des plus grands artistes du fait de son talent et son érudition ne cesse encore aujourd’hui de fasciner et d’attirer les foules. Pour le célébrer comme il se doit, le Louvre qui possède la plus grande collection au monde de ses œuvres (merci François Ier) organise après 10 ans de travail l’exposition de tous les superlatifs. « Grandiose », «  historique », « exceptionnelle », « seul le Louvre pouvait le faire ». N’en jetez plus !
Et il est vrai que cette exposition était sans doute l’une des plus attendues et donc très fréquentées (330.000 réservations fin octobre). Mais qu’en est-il vraiment ?

L’exposition commence par la formation de Leonardo Da Vinci dans l’atelier de Verrocchio, sculpteur, peintre et orfèvre florentin. Chez lui notre Leonardo apprend l’importance de la lumière sur le rendu des formes. Comment les ombres et les clairs façonnent un objet, plus que la ligne. Vers 1478, il va plus loin en élaborant le componimento inculto (« composition inculte »). Un dessin libre, instinctif, en rupture avec la réalité des lignes fixes et en recherche de mouvement. Cette recherche picturale aboutira au fameux sfumato. Une superposition de léger glacis qui finit par gommer les contours et donner un aspect vaporeux à ses œuvres.

L’Étude pour la Madone au chat, British Museum. Source Wikipédia

Puis vient la période milanaise, jusqu’à l’invasion française par Louis XII en 1499. L‘artiste se diversifie et devient scénographe, mais aussi concepteur d’engins militaires. En 1500, il revient à Florence. La cité a subi quelques remous politiques, mais est désormais stable. Le gonfalonier de justice ouvre alors en 1503-1504, une compétition célèbre pour la réalisation de deux fresques sur des batailles florentines. Une sera réalisée par Leonardo, l’autre par Michel-Ange. Leonardo se frotte pour sa part à la bataille d’Anghiari. Malheureusement aucune de ces œuvres n’a survécu. Il ne nous reste que des dessins préparatoires pour avoir une idée de la fougue de cette fresque innovante à la composition déchaînée.

La partie de l’exposition qui est peut-être la plus fascinante est celle consacrée à l’homme de sciences. Grand humaniste de la Renaissance, Leonardo Da Vinci s’intéressait au monde qui l’entoure et ce depuis son enfance, quand son grand-père lui enseignait « Po l’occhio ! » (Ouvre l’œil !). Il étudie l’anatomie, l’optique, l’astronomie, la mécanique, la botanique, la zoologie et j’en passe. Ses feuilles (écrites de droite à gauche), illustrées de dessins techniques sont des merveilles à regarder. C’est dans cette partie que vous verrez dans le fond, l’Homme de Vitruve, prêtée à la dernière minute par l’Italie et qui restera que quelques semaines dans l’exposition du fait de sa grande fragilité.

La Madone Benois (1478) de Léonard de Vinci © The State Hermitage Museum, St Petersburg
La Madone Benois (1478) de Léonard de Vinci © The State Hermitage Museum, St Petersburg

Avec 10 peintures du maître, plus la Joconde en salle des états sur 20 connues et reconnues, on pourrait se dire waouh. Et pourtant, on sort de cette exposition avec un je ne sais quoi de manque. On est clairement sur notre faim. En fait, on a l’impression d’avoir vu beaucoup de dessin, du moins si on a réussi à se frayer un passage jusqu’à ces derniers. Alors oui, un dessin de Léonard c’est toujours merveilleux, c’est vivant, dynamique, et je ne parle pas de ses dessins scientifiques juste extraordinaires. Mais quand même ! De plus, si on regarde bien, dans le fond, une grande partie de l’exposition est consacrée à sa formation et présente donc des œuvres du maître Verrocchio. Se rajoute à cela l’impression de ne pas avoir eu beaucoup d’informations, et c’est peu dire, si on ne paye pas de guides ou d’audioguides. J’ai découvert aujourd’hui qu’il existait un livret sur le site du musée avec toutes les informations sur les tableaux, tout ce qui m’a manqué dans ma visite ! Peut-être que dans la précipitation et perdue dans la cohue j’ai manqué l’info sur place, mais un peu plus de textes sur les tableaux n’aurait pas fait de mal quoi qu’il en soit. Pour résumer, même si l’exposition regorge d’œuvres de premier plan, de dessins sublimes et tout et tout. On en sort un peu déçue et pour en avoir parlé autour de moi. Je ne suis pas la seule à me dire « beaucoup de bruit pas pour rien, mais beaucoup de bruit par rapport au contenu ». En comparaison, l’exposition sur Raphael était davantage complète et à plus d’un titre. Le propos était plus étoffé, la vie de l’artiste mieux expliquée et le corpus de peintures plus imposant.

Tête de femme dite La Scapigliata
Tête de femme dite La Scapigliata / Ministero dei Beni e delle Attività culturali – Complesso Monumentale della PiloEntrer une légende

Après, il est vrai qu’organiser cette exposition a été un parcours semé d’embûches diplomatiques et stratégiques. Quand un musée a un tableau de Léonard, il n’est pas fou, il ne veut pas le prêter et risquer de se priver d’une pièce majeure, privant l’exposition d’autres peintures majeures. Pas de Salavdor mundi non plus. L’oeuvre achetée pour une petite fortune soit disant pour être prêtée au Louvre pour cette exposition a tout simplement….disparu !

Malgré tout cela, je vous conseillerai de la faire cette exposition, car ça reste Léonard de Vinci, qu’on y voit des pièces sublimes, des pages de codex, et l’Homme de Vitruve, tout de même ! Mais n’oubliez pas de réserver sinon vous n’irez pas bien loin, et de choisir un créneau pas trop fréquenté, car être bousculé toutes les 2min gâche un tantinet l’expérience.

 

L'homme de Vitruve, dessiné par Léonard de Vinci
L’homme de Vitruve, dessiné par Léonard de Vinci © Getty / DeAgostini

 

LEONARD DE VINCI
Musée du Louvre
Du 24 octobre 2019 au 24 février 2020

 

Commissaire(s) :

Vincent Delieuvin, conservateur en chef du Patrimoine, département des Peintures, et Louis Frank, conservateur en chef du Patrimoine, département des Arts graphiques, musée du Louvre.

 

La renaissance de la Sainte Anne, l’ultime chef-d’oeuvre de Leonardo Da Vinci

Nous revoilà au Louvre pour une très grande exposition centrée sur l’un de ses chefs-d’ œuvre, La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, de Léonard de Vinci. L’exposition gravite autour d’elle qui exceptionnellement est réunie avec The Burlington House Cartoon. Après la très médiatisée « Leonardo da Vinci: Painter at the Court of Milan » de la National Gallery cet hiver, cette saison culturelle est indéniablement celle du génialissime artiste Florentin qui 500 ans après séduit toujours autant.

Cette exposition a le mérite de l’originalité de par son sujet. Nous ne sommes ni dans la rétrospective, ni dans la thématique. On rentre directement dans une œuvre, dans son histoire, sa conception, sa genèse, et sa postérité. On est jusque dans la tête et le cœur d’un artiste, témoin de ses hésitations, ses reprises et de ses perfectionnements durant une période de presque 20 ans, entre 1500 la date présumée du début de la peinture et 1519, l’année de sa mort, laissant la Vierge à l’enfant avec sainte Anne inachevée.

12 mai 2011. La restauratrice Cinzia Pasquali au travail © Valérie Coudin

L’occasion qui a mené à cette exposition est la restauration du tableau commencée en 2010 par la restauratrice Cinzia Pasquali assistée de la C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France). Le tableau souffrait de décollement de matière picturale et du vieillissement des couches de vernis qui nécessitaient une intervention. Celle-ci a permit de retrouver une palette de couleurs beaucoup plus vives, des effets de transparence ou des lignes de paysage cachés sous un épais vernis jauni. Les études qui ont précédés cette restauration ont mis en évidence des éléments jusque-là non visibles déterminant dans la compréhension de l’œuvre et sa genèse. Sans rentrer dans les détails, il est important de souligner que cette restauration ne s’est pas faite sans heurts. En effets, Ségolène Bergeon Langle, Jacques Franck et Jean-Pierre Cuzin, des membres de la commission consultative ont dénoncé cette intervention jugée beaucoup trop poussée et non profitable à l’œuvre, lui faisant perdre une partie de son intégrité, notamment dans le modelé des visages. J. Franck a déclaré à l’AFP que « Dans le délicat visage de Sainte  Anne, l’intervention a fait resurgir des  duretés non voulues par Léonard, car il aimait les modelés subtils. Jusque-là le vernis blond atténuait ces défauts visuellement, donnant aux  carnations un aspect enveloppé et moelleux. En effet, les couleurs se  transforment en vieillissant et trahissent les intentions des peintres ». Quant à Ségolène Bergeon Langle et Jean-Pierre Cuzin, ils ont démissionné pour manifester leurs désaccords. Je ne peux personnellement pas me prononcer d’un point de vue technique, mais il faut savoir que cette restauration aurait pu être encore plus poussée car Vincent Pommarède, le directeur du Département des Peintures du Louvre, avoue avoir du freiner du pied constamment les ardeurs de certains autres membres de la commission et considère cette restauration comme prudente.

Etude Vers 1500-1501.© SSPSAE e per il polo museale della città di Venezia e
dei comuni della gronda lagunare, Venise

Mais revenons à notre tableau et cette magnifique exposition. C’est la première fois que tous les documents permettant de retracer sa genèse sont rassemblés (135 œuvres) notamment grâce aux prêts des 22 dessins de la collection royale d’Elisabeth II, ou des manuscrits de la main de Léonard détenus par l’Institut de France. Cela permet d’ouvrir une étude plus complète sur l’œuvre encore pleine de mystères, en plus de célébrer la renaissance de cette peinture.

On ne sait par exemple pas avec certitude qui est le commanditaire du tableau. Deux thèses s’opposent :

–          C’est une commande d’une institution florentine, cité placée sous la protection de sainte Anne comme en témoigne une esquisse de Fra Bartolomeo, Sainte Anne trinitaire avec plusieurs saints, pour la Salle du Grand Conseil du Palazzo Vecchio en 1510-1511.

Anne de Bretagne avec sainte Anne tenant la Vierge à l’Enfant. © RMN

–          C’est le roi Louis XII qui a demandé ce tableau en l’honneur de son épouse, la fameuse Anne de Bretagne, en 1499. Une enluminure d’un anonyme flamand, Anne de Bretagne avec sainte Anne trinitaire, présentée ici, fait pencher pour cette hypothèse.

–          Il se peut également que ce soit une idée de l’artiste en personne, de traiter pour lui-même ce sujet et d’en renouveler les codes.

Le thème iconographique de la sainte Anne Trinitaire (sainte Anne, sa fille Marie et Jésus) se développe dans l’art dès le XIIIe siècle et est très en vogue à la fin du XVe comme en témoignent toutes ces œuvres réunies dans l’introduction. Il est en lien avec la dévotion mariale très présente qui déteint sur la popularité de la mère de la Vierge, notamment avec les débats sur l’immaculée conception. Sainte Anne Trinitaire, c’est une évocation de la famille, mais aussi du sacrifice de l’enfant à venir à travers la présence de l’agneau.

Etude pour la tête de la Vierge. Vers 1507-1510. New York, The Metropolitan
Museum of Art © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN / image of the MMA
Etude pour la tête de sainte Anne. Vers 1502-1503. Windsor Castle,
Royal Library, 12533. The Royal Collection © 2011 Her Majesty Queen Elizabeth II

Léonardo Da Vinci est un inventeur, un innovateur dans tous les sens du terme et de fait, il va vouloir retravailler ce thème pour en faire quelque chose de nouveau à la fois formellement et symboliquement. Nous avons la chance d’admirer de très près (pour peu d’accepter d’être un peu tassé) de nombreux dessins de sa main qui témoignent de ses nombreuses hésitations sur la position des personnages, l’expression des corps ou la présence ou non du petit saint Jean-Baptiste, avec des traits de crayon parfois devenus totalement informes à force d’être revenu dessus, encore et encore.

Trois cartons montrent les compositions finales qu’il a envisagées et le renouvellement par rapport à la tradition iconographique qui voulait des schémas plus figés tout en horizontal ou vertical. Un premier, celui de Londres, considéré comme celui cité par Vasari en 1550 puis celui de 1501, perdu mais décrit par l’un de ses disciples. La diagonale choisie accentue le passage des générations, la Vierge est désormais assise sur les genoux de sainte Anne.La scène est inversée par rapport au Burlington House Cartoon et un agneau prend la place de Jean-Baptiste, maintenu par le Christ. Le troisième carton a été reporté sur le panneau de bois du Louvre  où Sainte Anne devient plus contemplative. Il n’est connu que par des copies anciennes d’atelier ou de suiveurs, ce qui explique que jusqu’à cette découverte on ne comprenait pas les variations entre ces copies et les cartons 1 et 2.

Etude pour le manteau de la Vierge » v.1507-1510. Pierre noire, lavis gris et rehauts de blanc.Paris, musee du Louvre,© RMN / Thierry Le Mage

Le souci du détail et de la perfection de Léonardo Da Vinci l’ont mené à passer presque 20 ans sur ce tableau. Commencé vers 1499-1500, il le reprend en 1506 pour le moderniser, puis à nouveau en 1513 et 1516 quand il arrive en France à la cour de François Ier où il reprend les drapés. Malgré tout, l’année de sa mort, en 1519, le tableau est toujours inachevé comme la restauration a pu le montrer au niveau d’éléments du paysage et des draperies.

Tout le parcours créatif est palpable de par les dessins du maîtres et les dessins d’atelier qui témoignent des variations lancées par Léonard ou par les copies de peintres qui ont vu le tableau à différents niveaux d’exécution ou tout simplement qui ont peint d’après les cartons. Quand enfin au bout de cet ensemble, voici le point de mire de l’exposition, mis en parallèles, le carton de la National Gallery et la peinture du Louvre, comme deux versions d’un même sujet.

Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus bénissant saint Jean Baptiste, dite Carton de Burlington House
Vers 1500, Pierre noire, rehauts de blanc sur un montage de huit feuilles de papier collées sur toile. H. 141,5 ; l. 104,6 cm
The National Gallery, Londres.

Londres, The National Gallery, NG 6337
© The National Gallery, Londres, Dist. RMN / National Gallery Photographic Department


La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne,
Vers 1503-1519, Huile sur bois (peuplier), H.168, 4 cm ; l. 112 cm
Musée du Louvre, Paris.

© RMN, musée du Louvre / René Gabriel Ojéda


Au revers du panneau de bois, le conservateur Sylvain Laveissière a découvert en 2008, des dessins à peine visibles à l’œil nus et chose exceptionnelle, le visiteur est invité à faire le tour du mur et à voir de lui-même au dos du tableau, ces trois dessins : une tête de cheval qui ressemble à celle de La bataille d’Anghiari peinte par Léonard mais disparue ;un crâne, et un enfant tenant un agneau. L’attribution de ces dessins n’est toutefois pas certaine, le premier semble avoir été fait par un gaucher, ce qu’est Léonard mais pas le second. Quant au troisième, il est trop effacé pour se faire une idée précise.

La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne du Louvre est l’ultime chef-d’œuvre de Léonardo Da Vinci, une quête de la perfection et un aboutissement d’années de recherches scientifiques et artistiques. La relation entre les trois personnages est rendue dans un jeu de regards et de postures délicates. Sainte Anne, ne tient plus la Vierge mais la laisse accepter le destin de son fils qui lui échappe pour empoigner l’agneau symbole du sacrifice à venir. L’expression des personnages est pleine de douceur et de tendresse et cette recherche psychologique se retrouve dans d’autres œuvres de Léonard qui sont aussi exposées.

Portrait de Lisa Gherardini del Giocondo, dit Monna Lisa, dit La Joconde, Huile sur bois Vers 1503-1516, Museo Nacional del Prado

La « deuxième Joconde » de Madrid est exceptionnellement présentée, une version d’atelier qui a gardé son coloris vif qui donne une idée de ce que pourrait être la Joconde si une campagne de restauration était décidée pour elle.

Luini, Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, saint Joseph et saint Jean Baptiste enfant. Vers 1530,
© Veneranda Biblioteca Ambrosiana / DeAgostini Picture Library / Scala, Florence

A la mort de Léonardo Da Vinci en France, l’œuvre entre dans les collections royales. François Ier l’achète peut-être à Salai, l’élève et le légataire du maître puis elle en sort un peu mystérieusement, elle n’est plus à Fontainebleau au XVIIe siècle et c’est Richelieu qui la rachète en 1629 pour la léguer à Louis XIII. En 1797, la peinture est choisie pour être présentée dans le salon carré du Louvre, là où sont présentés les joyaux des collections du Museum. Moins connu que la Joconde, ce tableau a une histoire plus mouvementée à tel point que l’attribution à Léonardo Da Vinci n’a pas toujours été acceptée sans conditions. La découverte de nombreux dessins et le renouvellement des études ont permis de mieux comprendre cette œuvre. Cette exposition est une étape de plus dans sa compréhension.

La seconde partie du parcours est consacrée à la réception de cette œuvre, à son influence et son écho que l’on retrouve jusque dans l’art du XXe siècle.

Léonardo da Vinci est à Florence entre 1500 et 1506 et ces 6 années suffisent à la Sainte Anne pour marquer ses contemporains, notamment les plus grands d’entre eux, Raffaello (la belle jardinière, 1507-1508), Di Cosimo et Michelangelo. Ce dernier, plus dans la confrontation retient surtout le non finito qu’il applique à la sculpture comme dans la Vierge à l’Enfant et le petit saint Jean Baptiste, dite Tondo Pitti de 1503-150 (Florence, Museo Nazionale del Bargello). Le non finito, cet état d’inachevé est d’ailleurs à rapprocher volontairement ou non du sfumato de Léonard.

Atelier de Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant jouant
avec un agneau. Vers 1508-1513. © Photography courtesy the J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Le passage à Milan entre 1508 et 1513 est également source de reproductions fidèles plus que d’influence. L’une d’elle qui ornait l’église milanaise de San Celso (Los Angeles, University of California, Armand Hammer Museum of Art, Willitts J. Hole Collection) est si réussie qu’elle fut un temps attribuée au maître. Cette version d’atelier est la copie la plus célèbre et témoigne de la façon dont Da Vinci envisageait son tableau pendant son séjour à Milan, que ce soit au niveau des pieds ou du paysage. Après la mort du maître en 1519, l’influence de sa peinture reste vive en Lombardie, car son élève Melzi y a rapporté de nombreux dessins dont le carton de la National Gallery qui fut magnifiquement repris par Bernardino Luini (Milan, Veneranda Biblioteca Ambrosiana, Pinacoteca).

O Redon, Hommage à Léonard de Vinci. Vers 1914. Amsterdam, Stedelijk Museum © Stedelijk Museum Amsterdam

La postérité de l’œuvre va bien évidemment marquer les artistes de passage à la cour de France quel que soit leur nationalité. Deux œuvres exécutées pour François Ier en 1518 sont particulièrement porteuses de l’influence de la composition de Léonard : la Sainte Famille de Raphael et surtout la Charité d’Andréa Del Sarto. Les flamands avec Quentin Metsys ne sont pas en reste.

Ce qui est frappant ce sont ces œuvres plus contemporaines qui font également références à La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, sans parler de l’étude psychanalytique de Freud qui y voit une représentation de l’homosexualité de l’artiste, je préfère évoquer le magnifique et très lyrique pastel, Hommage à Léonard de Vinci (Amsterdam, Stedelijk), d’Odilon Redon de 1914 qui reprend la tête de la Vierge. Peut-être moins poétique et moins évident comme rapprochement Max Ernst, avec le Baiser de 1927 (Venise, collection Peggy Guggenheim), est clairement inspiré par la lecture freudienne et il traduit de manière très personnelle la composition de La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne.

 Et voilà, c’est déjà la fin d’une exposition fascinante où on ne sent pas le temps passer. Certainement l’une des plus riches de la saison tout en étant très accessible. Si vous voulez rêver, c’est une jolie ballade au coeur de l’art à faire, sans retenue ni modération.

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Ernst (1891-1976), Le Baiser. © 2011 The Solomon R. Guggenheim Foundation / David Heald © 2012 ADAGP, Paris

Musée du Louvre, hall Napoléon
du 29 Mars 2012 au 25 Juin 2012

Commissaire : Vincent Delieuvin, conservateur au département des Peintures du musée du Louvre

http://www.louvre.fr/expositions/lultime-chef-doeuvre-de-leonard-de-vinci-la-sainte-anne

Bella Principessa. Comme quoi l’intuition paye.

C’est ce qu’on appelle une jolie plus-value. La paternité de la belle princesse attribuée à Léonard Da Vinci lui a valu une explosion de sa valeur marchande, passant de 21 850$ en 1998 à plus de 150 millions aujourd’hui. Preuve que l’or ou que le franc Suisse comme valeur refuge c’est out et que l’art c’est nettement plus rentable avec un capital multiplié tout de même par 6900.

Bella Principessa, Leonard de Vinci (?), 1496

Son histoire est un véritable polar avec tous ses ingrédients  : enfant illégitime, jolie fille mystérieuse, argent et paternité douteuse…

L’oeuvre en elle-même est un dessin à « trois crayons »-craie blanche, noire et rouge- à la plume et au lavis sur un vélin tendu sur une planche de chêne de 33cm sur 24cm.

 

Cette jolie et pale princesse rousse aux yeux clairs se nommait Bianca Sforza. Elle était la fille illégitime de Bernardina de Carradis et du duc de Milan, Ludovico Sforza, dit le More. Elle fut mariée à seulement 13ans à Galeazzo Sanseverino, un fidèle commandant de son père. Malheureusement pour elle, sa vie fut vite écourtée car elle disparu peu de temps après des suites d’une maladie abdominale. Ainsi s’acheva sa vie terrestre, mais grâce à ce dessin, plus de 500ans plus tard, nous parlons toujours d’elle.

Bella Principessa, détail

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ici,  l’histoire du dessin en tant qu’objet est tout aussi intéressante que celui du jeune modèle.

Quand elle fut mise en vente par Christie’s N-Y en 1998, les experts virent en elle une œuvre allemande du XIXème siècle, un simple pastiche dont l’appellation était alors « Jeune fille de profil en robe de la Renaissance ». Ce fut Kate Ganz, propriétaire de la Gallery Ganz à New-York, spécialisée dans la Renaissance italienne qui l’acquit et l’exposa. La plupart des visiteurs de cette galerie ne voyait en elle qu’une simple œuvre de moins d’un siècle d’âge, mais un homme eu une conviction tout autre. En l’aperçevant il se mit à rêver de Ghirlandaio et même de De Vinci sans trop y croire. C’est homme, un marchand canadien qui vit en France, Peter Silverman eut pourtant assez d’espoir pour l’acheter en 2007 pour le compte d’un riche anonyme suisse. Il fut encouragé dans ce sens par Martin Kemp, reconnu comme l’un des plus grands experts de Leonard De Vinci et professeur au Trinity College d’Oxford. Ce dernier avait également l’intuition que l’œuvre était de la main de Leonard De Vinci. A force de l’étudier, minutieusement, attentivement, l’intuition se mua peu à peu en certitude, notamment par rapport à la manière dont les ombres sont travaillées semble-t-il avec une main gauche. Or, Leonard de Vinci était gaucher.

C’est Kemp qui suggéra l’identité de la princesse comme étant Bianca dont le mari et le père étaient mécène du peintre, le seul peintre gaucher de cette cour. Dès lors les investigations commencèrent (voir le lien en anglais du Newyorker pour plus de détails) afin de percer le mystère et de pourquoi pas? Identifié le 13eme portrait de Leonard!

Le vélin fut envoyé à l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich (ETHZ) pour une analyse au carbone 14 qui révéla une datation approximative entre 1440 et 1650. On se rapprochait du maître qui vécut entre 1452 et 1519 mais la prudence était toujours de mise car des copieurs utilisant de vieux papiers et de vieilles toiles ont déjà trompés plus d’un expert. Les études et les analyses continuèrent et en 2009, Kemp se tourna vers Peter Paul Biro, un expert en art légiste qui s’était spécialisé dans la recherche des empreintes d’artistes sur les toiles. Pour voir plus de détails de l’œuvre, Ils firent faire des analyses basées sur la photométrie multispectrale (déjà utilisée sur la Joconde en 2004) au laboratoire parisien Lumière Technology, mené par P. Cotte et J. Pénicaut.

Bandeau multispectral réalisé par le laboratoire Lumière Technology, Paris.

Grace à un spectromètre très précis, les scientifiques ont recomposé le spectre de réflexion diffue, c’est-à-dire tous les éléments composant la couche picturale et c’est là qu’une empreinte de paume est apparue. Il arrivait souvent à Leonard de Vinci d’utiliser ses mains quand il peignait et l’on trouve parfois ses empreintes sur ses œuvres. Biro a d’ailleurs comparé cette empreinte à celle retrouvée sur Le St Jérôme du Vatican et y à retrouver de fortes similitudes. Les preuves commencèrent vraiment à converger vers le peintre florentin malgré des réserves persistantes de la part de quelques historiens d’art.

Saint Jérome, Leonard de Vinci, Vatican, Rome.

C’est alors qu’ une nouvelle trouvaille est venue (de manière définitive ?) confirmer un peu plus ce qui pourrait être une découverte majeure pour l’histoire de l’art, car aucune œuvre de De Vinci n’a été retrouvée depuis 100ans. Cette découverte, c’est tout simplement la provenance de l’œuvre et c’est l’historien David Wright qui en 2011 leur apporta une piste très sérieuse. Après que Kemp et Cotte émirent l’hypothèse que le portrait venait d’un livre à cause de trois minuscules trous sur sa marge, il leur indiqua de quel livre il pouvait venir.

D. Wright est un spécialiste des Sforziades écrits par Giovanni Simonetta, des livres imprimés sur du vélin pour la famille Sforza racontant la vie de Francesco Sforza qui a établi la dynastie des duc de Milan. Il en existe aujourd’hui quatre exemplaires : un à la Bibliothèque Nationale de Paris, un à la British Librairy, un aux Offices de Florence et celui qui nous intéresse, à la Bibliothèque Nationale de Varsovie.

Celui-ci aurait été fait à l’occasion du mariage de Bianca en 1496 selon Kemp. Arrivé dans les collections de François Ier, il l’aurait offert au roi de Pologne en 1518 pour son mariage avec Bona Sforza. Il manque aujourd’hui un feuillet dans cet exemplaire, feuillet qui aurait été enlevé  pour l’encadrer au XVIIIème lors d’une restauration. Les études poussées du laboratoire Lumière Technology prouvèrent une forte similitude entre le codex et le vélin dans leurs caractéristiques physiques (composition, dimension etc.). De plus, Martin Kemp et Pascal Cotte montrèrent la parfaite correspondance entre les trous de reliure du portrait et ceux du codex. Autant dire que beaucoup d’élément convergent dans le sens de Leonard de Vinci et rendent cette œuvre absolument extraordinaire.

C’est une découverte majeure pour l’histoire de l’art et l’acheteur suisse peut remercier Silverman de lui avoir acheté cette petite princesse qui a tout d’une reine désormais. Il lui aurait promis du caviar jusqu’à la fin de sa vie.

Une personne dans cette affaire pourtant ne semble pas ravie du tout et on la comprend, l’ancienne propriétaire de l’œuvre. Jeanne Marchig, présidente d’une association de défense des animaux britannique a en effet porté plainte contre Christie’s New-York pour négligence, ces derniers ayant estimés l’œuvre entre 12 000et 16 000$ en 1998…………Celle-ci en valant désormais probablement plus de 150 millions, on peut comprendre que la couleuvre passe mal. C’est un peu comme avoir un ticket de loto gagnant et le perdre….en pire !

la fameuse empreinte

Liens :

http://www.miwim.fr/blog/une-peinture-de-leonard-de-vinci-decouverte-grace-a-ses-empreintes-digitales-6542

http://www.nola.com/arts/index.ssf/2009/10/new_leonardo_da_vinci_paiting.html

http://www.lepost.fr/article/2011/09/30/2602388_plus-mysterieux-que-le-sourire-de-la-joconde-la-bella-principessa.html

http://www.connaissancedesarts.com/peinture-sculpture/actus/breves/la-belle-princesse-pourrait-etre-un-leonard-de-vinci-91851.php 

http://www.artclair.com/site/archives/docs_article/89636/l-attribution-de—la-belle-princesse—a-leonard-de-vinci-certes-confirmee-mais-toujours-contestee.php

http://www.newyorker.com/reporting/2010/07/12/100712fa_fact_grann

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2009/10/15/001-dessin-da-vinci.shtml

http://www.lumiere-technology.com/discoveries3.html http://www.lumieretechnology.com/news/Etude_Sforziada_Pascal_Cotte_v15.pdf

Martin Kemp, « Leonardo», Oxford University Press, October 6th 2011.