L’oeuvre du jour : La naissance de Vénus

En cette période de confinement chacun chez soi, je vous propose de partager des œuvres qui vous plaisent (ou pas), qui vous interrogent, nous interpellent tout simplement.

Pour commencer, une des œuvres les plus connues peut-être mais aussi l’une des plus belles et des plus anti-naturelles qui soit.

La naissance de Venus de Sandro Botticelli.
Sandro Botticelli - La nascita di Venere - Google Art Project - edited.jpg

En 1485, Botticelli a 40 ans et est un artiste confirmé. Élève de Fra Fillipo Lippi et de Verrochio, il est l’un de ces artistes humanistes qui font de Florence la capitale des arts. Son talent le fait appelé à Rome par le pape Sixte IV à la décoration de la chapelle Sixtine, mais son travail ne fut pas assez reconnu à son goût et il rentre dans sa cité. A florence, il est sous la protection des Médicis. La naissance de Vénus est d’ailleurs peut-être, une commande de Pierre-François de Médicis, dit le Popolano (1463-1503, Florence), cousin de Laurent le Magnifique.
Le thème du tableau est issu de la mythologie gréco-romaine et relate l’une des versions de la naissance d’Aphrodite. Dans la Théogonie d’Hésiode, Cronos aurait coupé les bourses d’Ouranos (sympa la relation père/fils) qu’il jeta au hasard, une partie se retrouvant dans les flots. De nombreux êtres en naquirent, dont notre déesse :  » Une blanche écume sortait du membre divin. De cette écume, une fille se forma ». C’est pour marquer son origine marine que dès le IVe siècle avt. JC , la coquille devient un attribut d’Aphrodite.

Sur la droite, c’est l’univers aérien et nous pouvons observer Zéphyr, personnification du vent de l’Ouest et la nymphe Chloris qu’il « avait ravit » pour l’épouser. Il souffle pour pousser vers la rive la déesse et sur la gauche, la terre et une des Heures, fille de Zeus et Thémis. Ces trois personnages se retrouvant également dans le Printemps de Botticelli (1477-1482). D’ailleurs en ces premiers jours printaniers vous remarquerez cette atmosphère florale qui règne dans l’oeuvre, car Vénus est aussi une déesse de la vie.
Enfin au centre, le personnage principal Aphrodite-Vénus, dans une composition d’une harmonie parfaite et nue. Le premier nu mythologique d’inspiration antique de la peinture occidentale depuis l’Antiquité justement. Pourtant cette nudité n’est pas vulgaire, bien au contraire, c’est la beauté pure et divine, au-dessus de toute chose terrestre. Une petite révolution qui déplaira quelques années plus tard à un certains Savonarole.

 

Fresco from Pompei, Casa di Venus, 1st century AD. Dug out in 1960. It is supposed that this fresco could be the Roman copy of famous portrait of Campaspe, mistress of Alexander the Great

Le modèle pour commencer, Simonetta Vespucci. Certains l’auront peut-être reconnue car elle l’un des modèles les plus célèbres. On la retrouve chez de nombreux artistes et est présente dans plusieurs oeuvres de Botticelli. Morte à 23 ans en 1476, elle est donc disparue depuis plusieurs années quand le peintre prête ses traits à sa déesse. Certains pensent qu’il en était amoureux. Il demanda d’être enterré à ses pieds à son décès, ce qui fut accordé en 1510. Résultat de recherche d'images pour "simonetta vespucci"

La pose s’inspire de modèles antiques connus de Botticelli, notamment la Vénus anadyomène ou l’Aphrodite de Praxitèle connue par des copies.
Tout comme ses copines, notre Vénus nous offre un beau déhanché; le fameux contrapposto hérité de la sculpture grecque du VIe siècle avt JC. Cette invention apporta plus de légèreté à la sculpture, plus de dynamisme aussi pour mettre davantage en valeur ses corps parfaits.
Le petit problème c’est qu’en y regardant de plus près, notre Vénus a disons, un petit quelque chose qui cloche. Imaginez une ligne verticale qui la coupe en deux et vous verrez qu’il y a un léger problème d’équilibre. Si vous vous ennuyez, essayez de tenir de la même façon. De plus son bras est démesuré et son épaule est bien basse.
Mais vous savez quoi ? C’est dans le fond sans importance. Botticelli nous présente la déesse de la Beauté et de l’Amour et même dans ses déséquilibre elle incarne encore aujourd’hui presque 600 ans après, un idéal de féminin sans pareil.
Il en existe de nombreuses interprétations, trop pour toutes les aborder, par exemple le fait qu’il s’agisse de l’idée néoplatonique de l’amour divin, certains y font également une lecture chrétienne.
Bon courage a tous dans vos confinements respectifs. Laissez vos esprits vagabonder mais vos corps bien au chaud.

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Aphrodite de Cnide, copie romaine d’après Praxitèle, palais Altemps 
Vénus Capitoline, 140-140, musée du Capitole

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette petite vidéo est rigolote :
https://www.arte.tv/fr/videos/086755-001-A/crobar-la-naissance-de-venus-sandro-botticelli/

 

Pour ceux qui aime les études de compositions, de lignes, de nombre d’or ou autre je vous renvoie à l’étude suivante, http://www.art-renaissance.net/Botticelli/Naissance-Venus-Botticelli.pdf.

L’adoration des bergers dans l’art du XVème au XVIIIème pour un joyeux noel

Je vous souhaite à tous un très joyeux noël et pour cette occasion, je vous offre un petit aperçu des plus belles scènes de nativité que j’ai pu trouver.

L’année dernière, nous avions évoqué l’adoration des mages qui marque la fête de l’Epiphanie, cette année, ce sont les bergers que j’ai décidé de mettre mis en avant.

L’adoration des bergers est l’une des scènes les plus représentées dans le cycle de Noël, associée à la représentation de la Nativité. Cette dernière comprend l’annonce faite aux bergers, leur adoration et celle des mages. Elle mêle en une image tout le récit narré dans l’Evangile de Luc,  qui avec celui de Mathieu forment les deux évangiles de l’enfance du Christ.

Perugino
Perugino, 1497-1500, fresque, Collegio del Cambio, Pérouse, Italie

Luc II, 4-18

« Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethlehem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.
Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux.
Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur.
Mais l’ange leur dit: Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie: c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche.
Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu et disant:
Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée!
Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres: Allons jusqu’à Bethlehem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche.
Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers. »

La représentation des bergers fut souvent éclipsée par celle de l’adoration des mages, quand les deux ne furent pas simplement mélangées. Il est frappant de voir que dans une seule œuvre peuvent être réunies l’annonce aux bergers, l’adoration de ces derniers et celle des mages. Les mages étant alors souvent en opposition des bergers, face à face et par la différence de richesse des costumes.

Les mages représentent les peuples non juifs qui se tournent vers Dieu, l’ouverture du Christianisme au monde, ils incarnent aussi une certaines majesté, alors que les bergers avaient autrefois mauvaise réputation, surtout dans l’antiquité, on disait d’eux qu’ils étaient des voleurs et  des brigands. D’où l’accent mis d’avantage sur les rois mages.

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Lorenzo Lotto, 1532-1550, pinacothèque Tosio Martinengo

Pourtant la puissance symbolique des bergers est grande. En effet, ils incarnent le petit peuple, les gens simple à qui Dieu se manifeste avant tout autres. Ils sont les premiers mis au courant par les anges de la naissance du Christ, les premiers à l’apercevoir et à porter le message aux alentours. De plus, faut-il rappeler que le christ est souvent comparé à un agneau mais aussi à un berger, prêt à guider les hommes ? Cette analogie se retrouve beaucoup dans l’Ancien Testament (Genèse, Psaume, Isaïe, Nombres, Ezéchiel…) « Car moi-même je paîtrai mes brebis et les ferai reposer, dit le Seigneur, l’Éternel. »(Ez.34, 15) Leur présence en peinture, en plus d’une image de la Nativité, parlante à tous, notamment aux gens simples, qui se reconnaissent dans ces personnages d’aspect modeste, tout comme eux, marque un lien entre le Nouveau et l’Ancien Testament, et le rôle de Messie à venir. Cette analogie est parfaitement frappante sur le tableau de Lorenzo Lotto (1534) avec l’enfant qui prend dans ses mains l’agneau et l’assistance qui garde un regard sévère.

Le thème se développe dès le Moyen Age et la Renaissance. Au départ, Marie est sur le côté, comme Joseph, en adoration devant son fils qui tient la place centrale. Puis peu à peu, elle prend une place plus importante, notamment suite au Concile de Trente qui impose aux artistes de nouveaux codes esthétiques pour lutter contre la Réforme qui nie la sainteté de la Vierge. L’art doit donc être simple et percutant pour être compris par tous, on retire parfois l’âne et le bœuf, jugés trop anecdotiques, même si ils reviennent très vite, la Vierge doit être facilement identifiable, elle est l’intercesseur entre Dieu et les hommes qui se présentent et les anges encadrent généralement la scène. Ces derniers sont des défenseurs de la foi et l’Eglise tient à leurs présences dans l’art. Ils portent souvent un phylactère où est généralement écrit « Gloria in excelsis Deo », le refrain de la chanson de Noël ;), ils sont parfois musiciens, faisant partie du cortège céleste qui apporte la bonne nouvelle.

Voici donc en quelques mots, ce sujet expliqué. Maintenant, laissons l’art parler :

Je n’ai pas beaucoup trouvé de représentations datant d’avant le XVème siècle, Ce sera donc ce siècle notre point de départ.

372px-Folio_44v_-_The_NativityVoici une belle nativité, sortie tout droit des Très Riches Heure du Duc de Berry (1411-1416, folio 44), correspondant aux Heures de la Vierge. Ici c’est la Sainte Trinité qui s’affiche, Dieu le Père/ la Colombe de l’Esprit Saint et enfin l’Enfant dans une même ligne. Nos bergers sont encore derrières, ils s’approchent sous le chant des anges.

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Filippo Lippi, 1467-69, Spoleto, Duomo / Botticelli, 1470’s, Santa Maria Novella ,Florence

Chez Piero della Francesca (1460-1475), Botticelli (1476-1477) ou Lippi (1466-1469), nous retrouvons une architecture en ruine, mais une architecture simple, ce n’est pas encore la grande ruine antique. Il s’agit plus d’évoquer la modeste étable de la nativité. La composition, surtout chez les deux derniers, est simple, les personnages sont de profils, encadrant l’enfant qui tient la place centrale, avec dans le fond, l’âne et le bœuf qui regardent la scène. Une composition similaire se retrouve chez Pérugino (1497-1500), mais la modeste ruine, laisse sa place à un magnifique portail Renaissance qui attire le regard sur un paysage de quiétude où flottent trois anges comme posés sur un nuage.

Chez Ghirlandaio en 1482-, plus rien de simple mais au contraire un riche programme iconographique. D’imposant éléments d’architecture antique remplacent la modeste étable, les bergers sont richement vêtus sur la droite, une foule arrive au fond, quant au christ il repose sur un sarcophage où est sculpté une couronne épineuse. Encore une fois, c’est une évocation de sa persécution.

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Ghirlandaio, 1482-1485, Florence, église Santa Trinita

On voit donc qu’au XVème siècle, ce thème est récurrent notamment chez les artistes florentins. Les représentations des siècles suivant sont beaucoup plus dynamiques dans leurs compositions. Les personnages sont moins figés, ils évoluent plus librement dans le tableau. Regardons par exemple cette adoration de Giorgione (attribution non certaine) de

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GIORGIONE, 1505-1510, WASHINGTON, National Gallery of Art.

1505-10. Malgré une grande simplicité et un certain dépouillement, l’innovation est tout de même prenante. Le peintre en effet bascule le champ d’attraction vers la droite, devant une grotte. Le paysage prend plus de place que la scène en question et les bergers, seulement deux, se retrouvent au centre du tableau. Tout ceci renforce l’impression de surprendre une scène intime, auquel nous ne sommes pas directement invités. Chez Corrège (1522-1530), cette intimité est rendue par le clair-obscur qui se dégage de l’œuvre. Dans la nuit, l’enfant irradie littéralement de lumière, surtout le visage de sa mère et de manière plus légère sur les protagonistes de la scène.

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Correggio, Notte, 1522-30, Gemäldegalerie Alte Meister de Dresde

Le clair-obscur est aussi ce qui distingue de toute autre, l’adoration peinte par Caravage en 1609 lors de son séjour en Sicile. Ce traitement brut de la lumière donne à la scène une certaine austérité contrebalancée par la douceur des regards et surtout la pose de l’enfant. Il n’irradie pas, il ne regarde pas ceux qui viennent à lui, il est tout entier tourné

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Caravaggio, 1609, Musée régional de Messine, Sicile.

vers sa mère. Caravage représente la simplicité et la rusticité de cette scène, il peint une « nativité pauvre », plus réaliste. Paradoxalement c’est l’œuvre qui lui rapporta le plus d’argents à la commande. Ce clair-obscur, cette sobriété, cette pauvreté est aussi ce qui définit la vision de Georges de La Tour. Les personnages se détachent sur un fond neutre et ils entourent l’enfant, qui éclaire leurs visages par le bas.  Dans le même principe quoi que traités très différemment, admirez ces deux Honthorst de 1622 et le magnifique Guido Reni. A chaque fois, l’enfant est une source de lumière, mais pas une lumière brute, une lumière délicate qui enveloppe ceux qui l’entourent.

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Gerrit Van Honthorst, 1622, Cologne, Wallraf-Richartz Museum / Guido Reni, 1600’s, Certosa di San Martino, Naples
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Poussin, 1633-4, National Gallery, Londres / Frères Le Nain, 1640, National Gallery, Londres

Cette simplicité retrouvée des personnages, bien que cette fois-ci placée dans de somptueux paysages antiques se retrouvent aussi chez Nicolas Poussin (1633-34), et chez les frères Le Nain (1640) dans un style classique indéniable.

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El Greco, 1612-14, Prado, Madrid

Elle ne ressemble à aucune autre et c’est pour cette raison que je ne peux pas ne pas citer l’adoration des bergers peinte par Le Greco (1612-1614). Les personnages ont des poses plus qu’étranges, très étirés, émaciés. Une lumière blanche et crue provenant de l’enfant sculpte les silhouettes et anime la composition. C’est l’extase que cherche à mettre en avant le Greco. On porte un regard particulier à cette œuvre quand on sait que le peintre fit ce tableau spécialement pour sa propre tombe.

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Le Brun, 1689, Louvre, PAris

Dans un esprit très chargé, voici Charles Le brun (1689). Les personnages sont très nombreux, tous regardent l’enfant et la vierge ou essayent de s’en approcher. La joie se reflète sur les visages et les anges sont légion, notamment cet orchestre céleste qui émerge d’une trouée nuageuse. Le peintre reprend la représentation d’un phylactère  comme ses prédécesseurs.

Pour finir, voici un Rembrandt et un Rubens. Le premier dans un style bien à lui, place la scène dans un milieu rural, où la piété s’incarne dans la simplicité des lieux et des personnages, le tout dans une lumière très sombre, alors que le second éclaire sa scène d’une vive lumière venue des cieux qui tombe sur la mère et sur l’enfant en train de téter. Ce n’est pas encore un dieu, juste un bébé et c’est l’espoir qui s’incarne en lui. L’espoir qu’un simple enfant, encore dépendant de sa mère, puisse un jour être le messie.

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Rubens, 1615, Musée des BA de Rouen

Je pense que je vais arrêter là pour ce tour d’horizon. J’espère que croyant ou non, vous aurez apprécié ces magnifiques œuvres de notre patrimoine artistique, des morceaux de bravoures d’artistes de renoms pour célébrer la plus belle fête de l’année.

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Rembrandt (élève), 1640, National Gallery, Londres

Joyeux Noël encore à tous, profitez-en bien, avec ou sans cadeaux, c’est la fêtes ou on retrouve ceux qu’on aime avant tout. A l’année prochaine.

Marie Madeleine, la Vénus chrétienne de l’art

En attendant de découvrir une nouvelle exposition avec vous, j’ai décidé de profiter du calendrier pour évoquer brièvement la plus belle chevelure de l’histoire de l’art, Marie Madeleine, aussi connue sous le nom de  Marie de Magdala.

Georges de La Tour
1630-1635, Musée du Louvre, Paris France,
Figure féminine la plus citée des Evangiles, Marie apparait dans les quatre : Luc, Jean, Marc et Mathieu .Jésus l’a délivrée de ses 7 démons et elle est devenue un disciple assidu.  Elle est présente lors de la crucifixion  et est le premier témoin de la résurrection ce qui fait d’elle, l’apostola apostolorum, l’apôtre des apôtres car elle est chargée d’annoncer aux autres la nouvelle. Un personnage donc majeure de la chrétienté qui tient une grande place dans l’histoire de l’art également.

Marie-Madeleine, bois, vers 1500, Bruxelles, conservée au Musée de Cluny, Paris

Pour le reste, inutile de dire que c’est un personnage sur lequel beaucoup d’encre a coulé et coule encore, comme le Da Vinci Code le prouve.
Je vais donc volontairement exclure tous ces points, notamment la théorie qui fait d’elle l’épouse de Jésus, je vous laisse le soin de regarder  les tonnes de référencement Google si vous êtes intéressé par ce point. Je préfère me concentrer sur quelques représentations de cette belle qui a enflammé les pinceaux et autres outils d’artistes depuis 2000ans, une Venus de la chrétienté.

Dans l’iconographie comme ailleurs on remarque très vite que la personne de Marie Madeleine a été confondue avec d’autres Marie et forme ainsi un syncrétisme de Marie de Béthanie, la sœur de Lazare, d’une pécheresse qui a oint les pieds de Jésus et enfin Marie Madeleine de la résurrection. Sans compter que Marie l’Égyptienne vient parfois s’additionner à cette équation déjà longue. Cette confusion amène à une iconographie assez variée avec des attributs liés à l’une ou l’autre.

Marie-Madeleine en pénitence
Le Greco, 1585-1590, Musée Cau Ferrat, Sitges Espagne
Marie de Magdala est un personnage très apprécié de l’Eglise, surtout avec la Contre Reforme qui en fait une figure de proue. Elle incarne la pénitence, valeur très appréciée dans la pensée chrétienne. Elle est une représentation féminine plus concrète, plus parlante, comparée à la virginale et trop parfaite Vierge Marie ou au contraire à la trop pécheresse Eve.  Marie Madeleine a surpassé ses péchés. Elle incarne la rédemption possible de l’humanité et est de fait une sainte particulièrement vénérée.

Jan van Scorel, Maria Magdalena 1530, Rijksmuseum Amsterdam

Il y a traditionnellement deux manières de représenter la sainte : la beauté parfaite, la richesse et la sensualité d’une part qui renvoient à son ancien statut de prostituée qu’elle a abandonné pour suivre le Christ et qu’on observe chez Weyden ou Scorel. Il y a aussi cet aspect de pénitence qui se montre par une Marie Madeleine souvent nue, habillée de ses seuls cheveux. Ceci est lié à une tradition qui veut qu’elle se soit isolée dans le désert après la mort du Christ. Une tradition du Xème siècle, veut que ce soit dans le massif Sainte Baume en Provence qu’elle se soit rendue, d’où l’importance de la sainte dans cette région (cf.: les-Saintes-Maries-de-la-Mer). Dans les deux cas, quand on regarde Marie Madeleine on remarque tout de suite sa longue chevelure détachée et ondulée qui flottent sur ses épaules et qui l’identifie tout de suite comme telle.

Gregor ERHART, Vers 1515-1520, Louvre, © 2011 Musée du Louvre Thierry Ollivier / Un ange apporte la sainte communion à Marie Madeleine
Lorenzo di Credi, 1510, Musée chrétien, Ertzegom / Donatello, 1453-1459, Museo dell’Opera del Duomo, Florence

On retrouve cette nudité repentante chez Gregor Erhart. La sainte ressemble à une Vénus à s’y méprendre une fois sortie de son contexte, mais elle était à l’origine entourée d’anges qui l’emmenaient selon la tradition chaque jours au ciel pour écouter les chœurs célestes et décorait une église, peut-être Sainte-Marie-Madeleine du couvent des dominicains d’Augsbourg. Quand on compare cette œuvre avec celle de Donatello, on est forcément frappé par la différence qui sépare ces deux œuvres. Cette dernière n’est plus un être idéal mais plutôt une désincarnation. Le visage est  maigre, vieux avec des yeux enfoncés dans leurs orbites. Son corps est sec, marqué par le jeûne et recouvert de cheveux non plus lisses mais hirsutes. C’est une représentation peu commune de cette sainte.

Marie Madeleine, vers 1452, Rogier van der Weyden, (Paris, musée du Louvre)

Alessandro Boncivino
1540-1550, Institut d’Art, Chicago
Sa chevelure est donc l’une de ses caractéristiques principales.  C’est à la fois le repentir et la pénitence mais c’est aussi liée au fait que Marie Madeleine est considérée comme une ancienne prostituée. Depuis le Moyen Age, la coiffure est liée à la vertu. La femme de bonne réputation aura ses cheveux bien peignés et couverts ; détachés, c’est l’inverse.

Ses autres attributs iconographiques sont un vase à nard, un miroir, une tête de mort symbole de la vanité et de la méditation et la couronne d’épines. On peut retrouver notamment ces derniers dans les Marie-Madeleine pénitentes comme dans les trois œuvres de Georges de La Tour où la sainte est plongée dans ses réflexions devant son miroir. Le thème de la vie qui passe et s’achève, de la beauté qui file, des vanités en général est très apprécié au XVIIème siècle.  Ici il est accentué par la bougie ou le miroir qui représentent la consommation, le côté éphémère de la vie et l’illusion. Caravage 50 ans auparavant traite également ce sujet, de manière très caravagesque; plus comme un portrait qu’un tableau de sainte. Elle est là, recroquevillée sur elle-même, à méditer et autour d’elle reposent tous les symboles de sa vie passée, les bijoux en or et ses perles. C’est une humaine que nous montre le peintre. Avec Titien, Reni, Rigaud, Giampetrino, Le Greco ou Vouet, c’est à nouveau avec une grande sensualité qu’on la retrouve, mais une sensualité comme retenue par une expressivité du visage qui incarne le repentir au-delà de la simple apparence corporelle.

le caravage, 1594-96, Galleria Doria Pamphilj

Laissons ces images centrées sur la sainte pour la retrouver au milieu de composition narrative concrète, liée notamment aux évangiles et plus précisément tous les textes liés à la mort du Christ.

Agnolo Bronzino, La Pietà avec Marie-Madeleine, 1529, les Offices, Florence
Cosimo Rosselli (1439-1507), Crucifixion avec la Vierge et saint André, sainte Marie-Madeleine, saint Jean-Baptiste et saint François, New York, CP

On la retrouve au pied de la croix ou après pendant la déposition, sa chevelure servant encore une fois d’élément d’identification par rapport à la vierge Marie également présente. Selon les époques, elle peut être digne ou pleine d’émotion comme chez Bronzino (1529) où le visage exprime la douleur qu’accompagne le geste nerveux de la main posée sur la jambe du Christ, comme si elle voulait retenir sa vie. Chez Rosselli, elle s’agrippe à la

Arnold Böclkin, 1868, Kunstmuseum Basel, Basel, Switzerland

croix.  Le désespoir de la mort passe aussi et superbement par elle dans la Piéta de Botticelli. Elle peut aussi être en retrait comme chez Ogier Van der Weyden (1435) où c’est le décollé plus que la chevelure qui permet de la reconnaître ou encore chez Dürer où elle se prépare à l’embaument, rappel du fait que c’est elle qui va retrouver le tombeau vide, précisément en voulant venir laver le corps. Chez Arnold Böcklin (1876) elle ne peut soutenir la scène et le pathos est à son comble.

Botticelli la déploration du christ, fin des années 1490, ancienne Pinacothèque de Munich

Dans tous ces exemples, c’est toujours et encore une figure humaine que l’on retrouve. Elle souffre et elle le montre et par ses différentes attitudes les spectateurs sont invités ainsi à se reconnaître en elle et en sa douleur.

Rogier van der Weyden. 1435, le Prado, Madrid

Noli me tangere – ne me touche pas, est après la mort du Christ l’autre sujet phare où on retrouve Marie Madeleine.

Bronzino, 1561, Louvre
Titien, vers 1514, National Gallery, Londres

C’est une scène tirée de l’Evangile de saint Jean (chap. XX, 11-18) assez fréquente qui montre la Résurrection du Christ et Marie qui l’aperçoit. Seulement elle ne le reconnait pas tout de suite et quand elle tente de le toucher, le Christ lui demande de ne pas le faire car il n’est pas encore monté auprès de Dieu le Père. Il est à ce moment entre deux mondes, les vivants et les cieux et ne peut être touché en tant que tel.

fra angelico 1450 museo di san marcoo

La plupart des œuvres montrent ainsi une Marie Madeleine sous le choc de la résurrection et suppliante devant un Christ en recul qui pointe souvent le ciel pour montrer ce qui l’attend, que malgré les apparences, il n’est plus vraiment un homme.
Cette scène est peut-être la plus récurrente dans les représentations de Marie Madeleine, voyez Duccio, Giottio, Fra Angelio, Le Corrège, Poussin,, Bronzino, Titien, Véronèse, de La Hyre, Baldung, Memling ou même Maurice Denis.

Voilà, j’espère vous avoir un peu éclairée sur cette jolie dame qu’on croise très souvent dans l’art. Une figure majeure du christianisme pour lequel elle représente l’humanité en quête de salut mais aussi une figure artistique de premier plan, une image de la beauté qui évolue avec les siècles.

Maurice Denis, 1895-1896, musée du Prieuré de Saint-Germain-en-Laye

On se retrouve très prochainement pour retourner dans une expo, sûrement Tim Burton. 😉

La renaissance de la Sainte Anne, l’ultime chef-d’oeuvre de Leonardo Da Vinci

Nous revoilà au Louvre pour une très grande exposition centrée sur l’un de ses chefs-d’ œuvre, La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, de Léonard de Vinci. L’exposition gravite autour d’elle qui exceptionnellement est réunie avec The Burlington House Cartoon. Après la très médiatisée « Leonardo da Vinci: Painter at the Court of Milan » de la National Gallery cet hiver, cette saison culturelle est indéniablement celle du génialissime artiste Florentin qui 500 ans après séduit toujours autant.

Cette exposition a le mérite de l’originalité de par son sujet. Nous ne sommes ni dans la rétrospective, ni dans la thématique. On rentre directement dans une œuvre, dans son histoire, sa conception, sa genèse, et sa postérité. On est jusque dans la tête et le cœur d’un artiste, témoin de ses hésitations, ses reprises et de ses perfectionnements durant une période de presque 20 ans, entre 1500 la date présumée du début de la peinture et 1519, l’année de sa mort, laissant la Vierge à l’enfant avec sainte Anne inachevée.

12 mai 2011. La restauratrice Cinzia Pasquali au travail © Valérie Coudin

L’occasion qui a mené à cette exposition est la restauration du tableau commencée en 2010 par la restauratrice Cinzia Pasquali assistée de la C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France). Le tableau souffrait de décollement de matière picturale et du vieillissement des couches de vernis qui nécessitaient une intervention. Celle-ci a permit de retrouver une palette de couleurs beaucoup plus vives, des effets de transparence ou des lignes de paysage cachés sous un épais vernis jauni. Les études qui ont précédés cette restauration ont mis en évidence des éléments jusque-là non visibles déterminant dans la compréhension de l’œuvre et sa genèse. Sans rentrer dans les détails, il est important de souligner que cette restauration ne s’est pas faite sans heurts. En effets, Ségolène Bergeon Langle, Jacques Franck et Jean-Pierre Cuzin, des membres de la commission consultative ont dénoncé cette intervention jugée beaucoup trop poussée et non profitable à l’œuvre, lui faisant perdre une partie de son intégrité, notamment dans le modelé des visages. J. Franck a déclaré à l’AFP que « Dans le délicat visage de Sainte  Anne, l’intervention a fait resurgir des  duretés non voulues par Léonard, car il aimait les modelés subtils. Jusque-là le vernis blond atténuait ces défauts visuellement, donnant aux  carnations un aspect enveloppé et moelleux. En effet, les couleurs se  transforment en vieillissant et trahissent les intentions des peintres ». Quant à Ségolène Bergeon Langle et Jean-Pierre Cuzin, ils ont démissionné pour manifester leurs désaccords. Je ne peux personnellement pas me prononcer d’un point de vue technique, mais il faut savoir que cette restauration aurait pu être encore plus poussée car Vincent Pommarède, le directeur du Département des Peintures du Louvre, avoue avoir du freiner du pied constamment les ardeurs de certains autres membres de la commission et considère cette restauration comme prudente.

Etude Vers 1500-1501.© SSPSAE e per il polo museale della città di Venezia e
dei comuni della gronda lagunare, Venise

Mais revenons à notre tableau et cette magnifique exposition. C’est la première fois que tous les documents permettant de retracer sa genèse sont rassemblés (135 œuvres) notamment grâce aux prêts des 22 dessins de la collection royale d’Elisabeth II, ou des manuscrits de la main de Léonard détenus par l’Institut de France. Cela permet d’ouvrir une étude plus complète sur l’œuvre encore pleine de mystères, en plus de célébrer la renaissance de cette peinture.

On ne sait par exemple pas avec certitude qui est le commanditaire du tableau. Deux thèses s’opposent :

–          C’est une commande d’une institution florentine, cité placée sous la protection de sainte Anne comme en témoigne une esquisse de Fra Bartolomeo, Sainte Anne trinitaire avec plusieurs saints, pour la Salle du Grand Conseil du Palazzo Vecchio en 1510-1511.

Anne de Bretagne avec sainte Anne tenant la Vierge à l’Enfant. © RMN

–          C’est le roi Louis XII qui a demandé ce tableau en l’honneur de son épouse, la fameuse Anne de Bretagne, en 1499. Une enluminure d’un anonyme flamand, Anne de Bretagne avec sainte Anne trinitaire, présentée ici, fait pencher pour cette hypothèse.

–          Il se peut également que ce soit une idée de l’artiste en personne, de traiter pour lui-même ce sujet et d’en renouveler les codes.

Le thème iconographique de la sainte Anne Trinitaire (sainte Anne, sa fille Marie et Jésus) se développe dans l’art dès le XIIIe siècle et est très en vogue à la fin du XVe comme en témoignent toutes ces œuvres réunies dans l’introduction. Il est en lien avec la dévotion mariale très présente qui déteint sur la popularité de la mère de la Vierge, notamment avec les débats sur l’immaculée conception. Sainte Anne Trinitaire, c’est une évocation de la famille, mais aussi du sacrifice de l’enfant à venir à travers la présence de l’agneau.

Etude pour la tête de la Vierge. Vers 1507-1510. New York, The Metropolitan
Museum of Art © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN / image of the MMA
Etude pour la tête de sainte Anne. Vers 1502-1503. Windsor Castle,
Royal Library, 12533. The Royal Collection © 2011 Her Majesty Queen Elizabeth II

Léonardo Da Vinci est un inventeur, un innovateur dans tous les sens du terme et de fait, il va vouloir retravailler ce thème pour en faire quelque chose de nouveau à la fois formellement et symboliquement. Nous avons la chance d’admirer de très près (pour peu d’accepter d’être un peu tassé) de nombreux dessins de sa main qui témoignent de ses nombreuses hésitations sur la position des personnages, l’expression des corps ou la présence ou non du petit saint Jean-Baptiste, avec des traits de crayon parfois devenus totalement informes à force d’être revenu dessus, encore et encore.

Trois cartons montrent les compositions finales qu’il a envisagées et le renouvellement par rapport à la tradition iconographique qui voulait des schémas plus figés tout en horizontal ou vertical. Un premier, celui de Londres, considéré comme celui cité par Vasari en 1550 puis celui de 1501, perdu mais décrit par l’un de ses disciples. La diagonale choisie accentue le passage des générations, la Vierge est désormais assise sur les genoux de sainte Anne.La scène est inversée par rapport au Burlington House Cartoon et un agneau prend la place de Jean-Baptiste, maintenu par le Christ. Le troisième carton a été reporté sur le panneau de bois du Louvre  où Sainte Anne devient plus contemplative. Il n’est connu que par des copies anciennes d’atelier ou de suiveurs, ce qui explique que jusqu’à cette découverte on ne comprenait pas les variations entre ces copies et les cartons 1 et 2.

Etude pour le manteau de la Vierge » v.1507-1510. Pierre noire, lavis gris et rehauts de blanc.Paris, musee du Louvre,© RMN / Thierry Le Mage

Le souci du détail et de la perfection de Léonardo Da Vinci l’ont mené à passer presque 20 ans sur ce tableau. Commencé vers 1499-1500, il le reprend en 1506 pour le moderniser, puis à nouveau en 1513 et 1516 quand il arrive en France à la cour de François Ier où il reprend les drapés. Malgré tout, l’année de sa mort, en 1519, le tableau est toujours inachevé comme la restauration a pu le montrer au niveau d’éléments du paysage et des draperies.

Tout le parcours créatif est palpable de par les dessins du maîtres et les dessins d’atelier qui témoignent des variations lancées par Léonard ou par les copies de peintres qui ont vu le tableau à différents niveaux d’exécution ou tout simplement qui ont peint d’après les cartons. Quand enfin au bout de cet ensemble, voici le point de mire de l’exposition, mis en parallèles, le carton de la National Gallery et la peinture du Louvre, comme deux versions d’un même sujet.

Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus bénissant saint Jean Baptiste, dite Carton de Burlington House
Vers 1500, Pierre noire, rehauts de blanc sur un montage de huit feuilles de papier collées sur toile. H. 141,5 ; l. 104,6 cm
The National Gallery, Londres.

Londres, The National Gallery, NG 6337
© The National Gallery, Londres, Dist. RMN / National Gallery Photographic Department


La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne,
Vers 1503-1519, Huile sur bois (peuplier), H.168, 4 cm ; l. 112 cm
Musée du Louvre, Paris.

© RMN, musée du Louvre / René Gabriel Ojéda


Au revers du panneau de bois, le conservateur Sylvain Laveissière a découvert en 2008, des dessins à peine visibles à l’œil nus et chose exceptionnelle, le visiteur est invité à faire le tour du mur et à voir de lui-même au dos du tableau, ces trois dessins : une tête de cheval qui ressemble à celle de La bataille d’Anghiari peinte par Léonard mais disparue ;un crâne, et un enfant tenant un agneau. L’attribution de ces dessins n’est toutefois pas certaine, le premier semble avoir été fait par un gaucher, ce qu’est Léonard mais pas le second. Quant au troisième, il est trop effacé pour se faire une idée précise.

La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne du Louvre est l’ultime chef-d’œuvre de Léonardo Da Vinci, une quête de la perfection et un aboutissement d’années de recherches scientifiques et artistiques. La relation entre les trois personnages est rendue dans un jeu de regards et de postures délicates. Sainte Anne, ne tient plus la Vierge mais la laisse accepter le destin de son fils qui lui échappe pour empoigner l’agneau symbole du sacrifice à venir. L’expression des personnages est pleine de douceur et de tendresse et cette recherche psychologique se retrouve dans d’autres œuvres de Léonard qui sont aussi exposées.

Portrait de Lisa Gherardini del Giocondo, dit Monna Lisa, dit La Joconde, Huile sur bois Vers 1503-1516, Museo Nacional del Prado

La « deuxième Joconde » de Madrid est exceptionnellement présentée, une version d’atelier qui a gardé son coloris vif qui donne une idée de ce que pourrait être la Joconde si une campagne de restauration était décidée pour elle.

Luini, Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, saint Joseph et saint Jean Baptiste enfant. Vers 1530,
© Veneranda Biblioteca Ambrosiana / DeAgostini Picture Library / Scala, Florence

A la mort de Léonardo Da Vinci en France, l’œuvre entre dans les collections royales. François Ier l’achète peut-être à Salai, l’élève et le légataire du maître puis elle en sort un peu mystérieusement, elle n’est plus à Fontainebleau au XVIIe siècle et c’est Richelieu qui la rachète en 1629 pour la léguer à Louis XIII. En 1797, la peinture est choisie pour être présentée dans le salon carré du Louvre, là où sont présentés les joyaux des collections du Museum. Moins connu que la Joconde, ce tableau a une histoire plus mouvementée à tel point que l’attribution à Léonardo Da Vinci n’a pas toujours été acceptée sans conditions. La découverte de nombreux dessins et le renouvellement des études ont permis de mieux comprendre cette œuvre. Cette exposition est une étape de plus dans sa compréhension.

La seconde partie du parcours est consacrée à la réception de cette œuvre, à son influence et son écho que l’on retrouve jusque dans l’art du XXe siècle.

Léonardo da Vinci est à Florence entre 1500 et 1506 et ces 6 années suffisent à la Sainte Anne pour marquer ses contemporains, notamment les plus grands d’entre eux, Raffaello (la belle jardinière, 1507-1508), Di Cosimo et Michelangelo. Ce dernier, plus dans la confrontation retient surtout le non finito qu’il applique à la sculpture comme dans la Vierge à l’Enfant et le petit saint Jean Baptiste, dite Tondo Pitti de 1503-150 (Florence, Museo Nazionale del Bargello). Le non finito, cet état d’inachevé est d’ailleurs à rapprocher volontairement ou non du sfumato de Léonard.

Atelier de Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant jouant
avec un agneau. Vers 1508-1513. © Photography courtesy the J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Le passage à Milan entre 1508 et 1513 est également source de reproductions fidèles plus que d’influence. L’une d’elle qui ornait l’église milanaise de San Celso (Los Angeles, University of California, Armand Hammer Museum of Art, Willitts J. Hole Collection) est si réussie qu’elle fut un temps attribuée au maître. Cette version d’atelier est la copie la plus célèbre et témoigne de la façon dont Da Vinci envisageait son tableau pendant son séjour à Milan, que ce soit au niveau des pieds ou du paysage. Après la mort du maître en 1519, l’influence de sa peinture reste vive en Lombardie, car son élève Melzi y a rapporté de nombreux dessins dont le carton de la National Gallery qui fut magnifiquement repris par Bernardino Luini (Milan, Veneranda Biblioteca Ambrosiana, Pinacoteca).

O Redon, Hommage à Léonard de Vinci. Vers 1914. Amsterdam, Stedelijk Museum © Stedelijk Museum Amsterdam

La postérité de l’œuvre va bien évidemment marquer les artistes de passage à la cour de France quel que soit leur nationalité. Deux œuvres exécutées pour François Ier en 1518 sont particulièrement porteuses de l’influence de la composition de Léonard : la Sainte Famille de Raphael et surtout la Charité d’Andréa Del Sarto. Les flamands avec Quentin Metsys ne sont pas en reste.

Ce qui est frappant ce sont ces œuvres plus contemporaines qui font également références à La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, sans parler de l’étude psychanalytique de Freud qui y voit une représentation de l’homosexualité de l’artiste, je préfère évoquer le magnifique et très lyrique pastel, Hommage à Léonard de Vinci (Amsterdam, Stedelijk), d’Odilon Redon de 1914 qui reprend la tête de la Vierge. Peut-être moins poétique et moins évident comme rapprochement Max Ernst, avec le Baiser de 1927 (Venise, collection Peggy Guggenheim), est clairement inspiré par la lecture freudienne et il traduit de manière très personnelle la composition de La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne.

 Et voilà, c’est déjà la fin d’une exposition fascinante où on ne sent pas le temps passer. Certainement l’une des plus riches de la saison tout en étant très accessible. Si vous voulez rêver, c’est une jolie ballade au coeur de l’art à faire, sans retenue ni modération.

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Ernst (1891-1976), Le Baiser. © 2011 The Solomon R. Guggenheim Foundation / David Heald © 2012 ADAGP, Paris

Musée du Louvre, hall Napoléon
du 29 Mars 2012 au 25 Juin 2012

Commissaire : Vincent Delieuvin, conservateur au département des Peintures du musée du Louvre

http://www.louvre.fr/expositions/lultime-chef-doeuvre-de-leonard-de-vinci-la-sainte-anne

La chandeleur..ou la présentation au temple

C’est la journée des crêpes. A moi le sucre, le chocolat et les fines crêpes dans mon estomac. Miam.Mais bon, je ne suis pas là pour vous faire part de mon extrême gourmandise mais  pour gratter derrière la façade en sucre et redécouvrir quelle est l’origine de cette fête qui a donné lieu à de nombreuses œuvres.

Si vous regardez votre calendrier, vous constaterez que le 02 février c’est « la présentation ». La présentation de qui ? De quoi ? Et bien du petit Jésus pardi. Toujours lui ! Il est né, les bergers et les mages sont venus le voir et désormais on l’amène au Temple, 40 jours exactement après la nativité.

La présentation au temple XV c., Novgorod Museum

Comme la plupart des scènes de l’Enfance du Christ, il faut se référer à l’évangile de Luc, II, 22-39. Cette fête renvoie à deux traditions juives intimement liées :

-le rachat de l’enfant premier né, consacré à Dieu, par un sacrifice animal, un mois après sa naissance.

-le rite de purification mariale, par le sacrifice de colombes. C’est l’une des plus anciennes fêtes mariales, célébrée comme telle depuis le VIIIème siècle. La femme est considérée comme impure après un accouchement et ne peut entrer au temple que 40jours après, par un sacrifice souvent de colombes (Lévitique).

Si la fête de la présentation, s’appelle aussi la chandeleur, c’est tout simplement qu’à Rome, au VIIème siècle, on faisait des processions de pénitence, pour commémorer le voyage de la sainte famille vers Jérusalem, le tout à la lueur des cierges, la festa candelarum.

Lors de cette visite, Joseph et Marie rencontrent un vieil homme qui vit dans le temple, Siméon, un ancien grand prêtre selon les exégètes,  ayant été  averti qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le christ. Ce dernier annonce également la souffrance prochaine de Marie et chante le Nunc Nimittis (prière reprise dans la liturgie chrétienne). Suite à cela, ils font la connaissance d’une très vieille femme,  la prophétesse, Anne, fille de Phanuel, veuve de 84ans, elle aussi dans l’attente du salut.

Ces deux rencontres ont inspiré les artistes comme nous allons le voir à travers quelques exemples et sont souvent associées aux autres scènes de l’enfance et de la nativité, formant souvent des polyptiques.

Généralement, « la présentation » est un prétexte à montrer une riche architecture. La représentation du temple va ainsi évoluer avec le temps, passant d’une simple coupole sur colonnettes, aux premières ébauches de perspectives et enfin des compositions très complexes.

Ambrogio Lorenzetti, 1342, Offices / Bartolo di Fredi 1388, Louvre

La présentation au temple de Lorenzetti (galerie des Offices) et celle Bartolo di Fredi (musée du Louvre), toutes deux du XIVème siècle sont très proches, bien que celle de Lorenzetti soit plus fouillée et détaillée, notamment dans la composition architecturale qui n’est pas sans rappeler l’architecture de la cathédrale de Sienne, pour laquelle elle a été peinte en 1342. Elle en décorait la chapelle Saint-Crescent. Celle de Bartoli di Fredi a été peinte en 1388 pour l’église Sant’Agostino de San Gimignano.  L’influence byzantine est indéniable dans ces deux œuvres typiques de l’école de Sienne, par la représentation des figures, le choix des couleurs, du fond doré et aussi dans l’iconographie. Les étoiles que l’on aperçoit sur l’étole de la Vierge chez Fredi, en sont un exemple. Elles symbolisent la virginité perpétuelle.
Marie et Joseph sont à gauche de la scène, Marie a déjà confié l’enfant à Siméon. C’est la préfiguration de la séparation annoncée entre la mère et le fils particulièrement frappant chez  Fredi, par ce jeu de regard entre la Vierge et l’enfant, comme si la séparation était déjà douloureuse. Sur la droite de la scène on trouve Siméon et Anne. Cette dernière tenant comme souvent un phylactère où sont inscrits les versets de l’évangile de Luc la concernant.  Sur la peinture de Bartolo di Fredi on voit le prêtre derrière écrire dans un registre. Il y inscrit le nom de Jésus, car la présentation au temple est également le moment de reconnaître officiellement le prénom de l’enfant.

Fabriano Gentille, 1423, Louvre

Allons voir ce qui se passe à Florence. On retrouve chez Fabriano Gentile (musée du Louvre), en 1423, une iconographie très proche, mais cette fois ci, la recherche sur la perspective est évidente et la scène ne se développe plus en hauteur, mais en largeur. Le peintre, représentant du gothique international, a composé ce premier exemple de peinture en perspective pour la prédelle de la chapelle de la famille Strozzi, dans l’église Santa Trinita de Florence.

Perugin, retable de Fano, 1497, Chiesa di Santa Maria Nuova / Raphael, 1502-04, Pinacothèque du Vatican

La composition horizontale se retrouve chez le grand peintre florentin, Raphael (pinacothèque du Vatican). Ce dernier en 1502-04, répondant à une commande de Maddalena degli Oddi, a également peint une présentation au temple, pour le retable Oddi, du couronnement de la Vierge, de la chapelle Oddi de San Francesco al Prato de Pérouse.  La présentation, fait partie, d’une prédelle sur l’enfance du christ, d’où le format. Il s’agit ici d’une œuvre de jeunesse fortement influencée par le retable de Fano de Pérugin (1497, conservé dans la Chiesa di Santa Maria Nuova, à Fano). La composition est clairement divisée en trois parties, structurées par une architecture renaissance avec au centre, de part et d’autre d’un riche autel, la vierge confiant l’enfant au prêtre. Dans les deux cas, les peintres se sont limités à ne représenter que la présentation de l’enfant par ses parents. Il n’y a nulle présence de Siméon ou  d’Anne.

Après Sienne et Florence, je vous propose à nouveau la confrontation de deux œuvres, encore très proches, mais nous sommes cette fois à Venise et la représentation  évolue très nettement.

Mantegna, 1460, Staatliche Museen de Berlin / Bellini, 1460, Fondazione Querini Stampalia

Les présentations au Temple de Mantegna (Staatliche Museen de Berlin) et de Giovanni Bellini (Fondazione Querini Stampalia de Venise) datent toutes deux de 1460 mais c’est Bellini qui s’est inspiré de Mantegna, son beau-frère. Ici pas d’architecture, mais une scène centrée sur les personnages, posés en buste  se découpant sur un fond noir. Ce fond, ôte toute perspective, d’autant plus que Mantegna a peint les auréoles bien rondes, enlevant  toute profondeur, dans la tradition byzantine. Les deux peintres ont également encadré leur peinture d’un cadre en trompe l’œil de marbre mais celui-ci ne délimite pas pour autant l’œuvre. En effet,  la Vierge s’appuie dessus pour porter l’enfant droit et son bras semble ainsi sortir du cadre, seul effet de profondeur. Marie sur la droite, porte l’enfant tout emmailloté et le présente à Siméon, richement vêtu, surtout chez Mantegna, et cela devant le regard sévère et frontal de Joseph, qui bien que représenté au centre, semble éloigné de la scène. Sa présence, de face, alors que tous les personnages autour de lui, tournent la tête dans un sens ou dans l’autre est frappante et attire le regard. La particularité de ces deux œuvres, en dehors de l’innovation picturale, du rendu des individus et de la force du coloris, j’entends, c’est aussi que les personnages représentés sont des portraits de la famille Bellini, grande famille d’artiste s’il en est. Joseph a notamment les traits du patriarche, Jacopo Bellini. Les deux personnages du second plan chez Mantegna sont l’artiste lui-même et son épouse Nicolosia Bellini. Giovanni, lui, en a rajouté deux autres, lui-même et sa mère Anna.

Rembrandt, 1631, Mauritshuis

Pour les œuvres suivantes, je vous propose de quitter l’Italie et de remonter vers la Hollande, chez Rembrandt qui a peint plusieurs présentations au temple,  dont une, très sombre de 1631 (Mauritshuis, La Hague) dont le jeu de clair-obscur absolument admirable donne à la scène une aura de mystère. Cette même impression de mystère se retrouve également dans cette eau forte de 1654 (BNF) ou la lumière des personnages rompt avec les ténèbres du Temple.
Mais pour ce qui est de l’œuvre de Rembrandt, je préfère m’attarder sur deux tableaux dont le thème rappelle la Présentation, mais qui sont traités comme des portraits, ce qui n’est pas si commun : la prophétesse  Anne lisant la Bible de 1631 (Rijksmuseum, Amsterdam) et le Siméon et l’enfant Jésusde 1666-69 (Nationalmuseum, Stockholm).

Rembrandt, Anne la prophétesse, 1361, Rijksmuseum / Siméon et l'enfant Jésus, Nationalmuseum 1666-69,

La prophétesse a les traits d’un être proche de l’artiste, sa propre mère. Ici, pas de beauté idéalisée, la femme est représentée dans toute sa vieillesse, se courbant sous le poids de l’âge et le visage marqué par les années. Elle fait ses 84ans, ce qui jusqu’à présent n’était pas vraiment le cas. Elle est posée sur un siège de bois et étudie attentivement les saintes écritures, symbole de son attente. La lumière vient de derrière elle et éclaire le livre ainsi que sa main, dont le traitement est, il faut l’avouer remarquable, car cette main, rappelle aussi l’âge de la femme.
Le Siméon, lui est la dernière œuvre de  l’artiste, d’où son côté inachevé. Les personnages sortent à nouveau de l’ombre et la vieillesse est encore traitée sans artifice.

Rubens, 1614, cathédrale d'Anvers
S. Vouet, vers 1640, Louvre

Avant de finir, deux petits aperçus de deux œuvres superbes : la présentation au temple de Rubens d’abord, œuvre de jeunesse de 1614 pour un triptyque de la cathédrale d’Anvers. Ici l’architecture reprend toute sa place et le temple devient un lieu majestueux, tout en marbre polychrome, chapiteaux corinthien et voutes à caissons.
Question architecture grandiose, l’œuvre de Vouet (1640-41, musée du Louvre), tient aussi la part belle. Donné par le cardinal de Richelieu à l’église de la Maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine à Paris, ce tableau est un manifeste du talent du peintre influencé par l’Italie. La composition en pyramide joue sur les marches du temple, pour échelonner les niveaux et l’importance des personnages. Le mouvement est partout, jusque dans l’architecture hémisphérique du temple. Les anges en haut apportent également une dynamique verticale et portent dans leurs mains, le nunc dimittis.

Voilà, j’aurai pu également parler de Giotto, Boullogne, Rigaud, J-F de Troyou tant d’autres mais je vais m’arrêter là, en espérant que ma sélection vous a tout de même bien plu.

Giotto, 1303-06, Eglise de l'Arena à Padoue

Bonne chandeleur, et à nous les crêpes bien chaudes et fumantes pour se réchauffer.

L’épiphanie dans l’art!

Et voilà, c’est aujourd’hui que se finit le cycle de Noël avec l’Epiphanie. Dans beaucoup de pays, c’est célébré le 6 janvier, mais pas chez nous. C’est pas qu’on ne veut pas faire comme tout le monde (quoi que) mais étant donné qu’il ne s’agit pas d’un jour férié en France, le clergé a décidé de placer cette fête le deuxième dimanche qui suit la Nativité, pour que tout le monde puisse en profiter (enfin ceux qui ne travaille pas le dimanche…). Pour cet article, il n’est pas question de galette. Elle est dans mon bidon la galette. Je propose de revenir au sens profond de cette fête et surtout de l’illustrer avec quelques œuvres, car c’est l’un des thèmes les plus féconds de l’art occidental.

Adoration des mages. Arc de Triomphe de Sainte-Marie-Majeure. Vème siècle

Le mot « épiphanie » est un mot grec, Epiphaneia, qui renvoie à l’idée d’apparition divine dans la mythologie gréco-romaine. Christianisé il devient  cette fête que l’on connait aujourd’hui : la présentation de Jésus aux mages.
Avant que  Noël soit fêté à partir du IVème siècle, le 25 décembre et devienne la grande fête de la Nativité, celle-ci se confond avec l’Epiphanie le 06 janvier.
La célébration de l’Epiphanie n’est pas qu’un épisode anecdotique dans la liturgie chrétienne, elle renvoie de manière plus profonde à l’Incarnation, à l’humanité de Dieu qui prend chair à travers son fils et se dévoile au monde par la présentation publique de Jésus aux rois mages qui représentent les païens et en même temps les peuples de la terre. Cette fête est aussi associée au baptême dans le Jourdain (surtout dans l’Eglise orthodoxe) et aux noces de Cana, le premier miracle.

Fra Angelico, couvent San Marco, cellule 39. 1438-1445

La jeunesse de Jésus est peu connue ; sur les 4 évangiles canoniques, seuls 2 la mentionnent: Mathieu et  Luc. Si Luc parle de l’adoration des bergers, autre thème très apprécié des artistes, il ne mentionne pas de mages et vice versa pour Mathieu (chap. II) qui lui oublie les bergers.

Aujourd’hui toutes les crèches sont d’accord pour dire que les mages sont des rois et qu’ils sont trois, pourtant, le texte est moins précis.  Il ne fait que mentionner des ‘mages venus d’Orient’, pas de nombre, pas de dignité royale.
Ces mages suivaient  une étoile annonciatrice de la naissance du roi des juifs. Ils s’arrêtèrent à Jérusalem, chez le roi Hérode, fort intéressé par la nouvelle, et pour cause, il espérait bien grâce aux mages dénicher celui qu’il voyait comme un usurpateur de trône. Selon le prophète Michée (5,2 : « Et toi, Bethléem Ephrata, tu es petite entre les mille de Juda; de toi sortira pour Moi Celui qui dominera sur Israël, et dont l’origine est dès le commencement, dès les jours de l’éternité. »), c’est à Bethleem que devait naître le messie, c’est donc là qu’ils se rendirent, continuant de suivre l’étoile et trouvant l’enfant dans une maison avec sa mère. Ils se prosternèrent et lui offrirent trois présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe  puis s’en retournèrent dans leurs pays, sans repasser par Jérusalem, ayant été averti en songe par un ange.

Saint Apollinaire de Ravenne, VIème siècle

Le nombre de trois est d’abord lié aux présents dont la portée symbolique à fait l’objet de différentes hypothèses. Traditionnellement, l’or, renvoie au pouvoir royal, pour le roi des rois ; l’encens, c’est la fonction sacerdotale du Christ à venir, et de la myrrhe pour la valeur spirituelle. La myrrhe a des fonctions thérapeutiques qui  rappellent  l’humanité de l’enfant destiné à souffrir et son sacrifice à venir, car elle est également  utilisée pour l’embaumement des corps.
Pour saint Bernard, l’or vient soulager la pauvreté de Marie et Joseph, l’encens purifie et parfume l’étable et la myrrhe sert à soigner et revigorer le jeune enfant.

Le nombre trois a aussi une portée plus globale. Il renvoie aux trois fils de Noé qui ont repeuplé la Terre, ce qui rappelle l’universalité des mages qui représentent les différentes nations. Ils sont d’ailleurs associés aux 3 parties du monde connu alors : L’Europe, l’Asie et l’Afrique. D’où la représentation de personnages typés dans certaines œuvres surtout à partir du XVIème siècle: Melchior est le roi des Perses, c’est un vieillard et il offre l’or ; Gaspard, est un jeune hindou, il offre l’encens et Balthasar est un prince arabe, représenté avec un visage noir ( à partir de 1460) et il offre la myrrhe. Leurs noms apparaissent plus tard dans la tradition,  au VIème siècle.

Giotto, Eglise de l'Arena de Padoue, 1303-1306

Leur représentation peut aussi évoquer les différents âges de la vie, on remarque en effet facilement que le mage le plus proche du Christ est souvent le plus âgé des trois. Ce n’est pas anodin, l’enfant Jésus représente lui-même un âge de la vie, le tout début et la prosternation de cet homme, âgé et certainement très sage est une manière de montrer l’humilité de ces mages. C’est aussi le pouvoir qui se soumet à la personne divine aussi humble soit-elle. On a ce même rapport dans l’iconographie même de la scène de l’Adoration : les mages sont toujours richement vêtus, ils portent des tissus richement ouvragés, des bijoux, des ceintures d’or, des couronnes et d’autres objets symboles de prospérité alors qu’en parallèle la crèche et la Saint Famille sont dans un notable dénuement.

N. Poussin, adoration des bergers, 1633, National Gallery

Par ce rapport, il est intéressant de comparer les « Adorations de Bergers » et les « Adorations de Mages » en peinture. Alors que les premières sont souvent des représentations intimes mettant en avant la simplicité des bergers qui sont les premiers prévenus ;  à l’opposé, les « adorations des mages » sont souvent sujettes à des déploiements de luxe et à de longs cortèges où on peut souvent reconnaître des contemporains de l’œuvre. Par ce biais, l’Evangile de Luc rappelle que le Christ vient d’abord pour les plus simples des hommes. Pour autant, les deux scènes ne sont pas incompatibles et peuvent se rejoindre.

Il faut savoir que le thème de « l’adoration des mages » apparait dans l’art dès les premiers temps de l’ère chrétienne et qu’il doit exister facilement des centaines et plus de versions différentes et mon but n’est pas de faire un condensé de thèse sur un sujet si vaste. J’ai juste choisi quelques œuvres sur tout ce qui peut exister, pour montrer à quel point un même thème peut selon l’artiste être vu de manières très variées.

Les Très Riches Heures du Duc de Berry. 1412-1416, terminées entre 1485 et 1489. Folio 52, attribué à Paul de Limbourg, peintre et enlumineur néerlandais.


Nous avons ici, la Vierge et l’enfant Jésus sur la gauche, assis sous un toit de chaume. Ils sont entourés de femmes, dont deux saintes et au-dessus d’eux, dans une alcôve, les anges chantent des cantiques autour de l’étoile dont les rayons descendent sur l’enfant. Les bergers sont retournés dans leurs champs et sur toute la partie droite, s’étend un magnifique cortège. Au premier plan les trois rois qui se sont démis de leurs énormes couronnes et qui s’agenouillent devant l’enfant. Le plus vieux déjà en train d’embrasser les pieds de Jésus, les deux autres derrières. Ce qui est intéressant dans cette représentation, en dehors de l’aspect magnifique et richement coloré des Riches Heures du Duc de Berry, c’est l’accent mis sur l’Orient. En effet, nous pouvons apercevoir plusieurs guépards, un chameau, de nombreux turbans et le magnifique tapis vert sur lequel repose la Vierge, comme si l’artiste malgré des éléments typiquement occidentaux, avait voulu rendre sa représentation, plus réaliste dans sa localisation.

Sandro Botticelli, L’adoration des mages, 1475, galerie des Offices, Florence.
C’est la troisième version de l’adoration des mages de Botticelli. C’est une commande de Giovanni di Zanobi del Lama pour sa chapelle funéraire de Santa Maria Novella. Lama est un courtisan des Médicis, il fait donc appelle à leur protégé, Botticelli. Celui-ci innove totalement dans sa façon de peindre une adoration des mages, car nous ne sommes plus dans la vision linéaire et horizontale traditionnelle. Non, le peintre bascule la scène. Joseph, comme souvent dans son iconographie est endormi et avec Marie et l’enfant ils sont au centre de la composition, légèrement surélevés, ce qui donne un coté triangulaire à la scène. Les mages sont à ses pieds, chacun, selon son âge, à un niveau différent de la composition, et de part et d’autres la foule des observateurs qui regardent dans tous les sens (vers le spectateur, la scène principale ou entres eux), ce qui donne une impression de vie à l’ensemble.
L’autre intérêt de ce tableau, c’est qu’on peut y reconnaître de nombreuses personnes, dont l’artiste lui-même, à droite, avec sa tunique orange. Sans les citer tous, sachez que les trois rois mages ont les traits de Côme de Médicis et de ses fils, Pierre et Jean. Tous les trois morts à la date du tableau. Laurent le Magnifique est facilement identifiable sur le côté gauche avec son épée, et on peut aussi apercevoir le commanditaire sur la droite, les cheveux blancs qui essaye de capter notre regard.

Cette nouvelle composition de la scène va inspirer de nombreux artistes, Ghirlandaio (1485-1488), Leonard de Vinci(1481) ou Filippo Lippi.

L’adoration des mages de F. Lippi, exécutée en 1496 pour le couvent San Donato agli Scopeti, conservée également à la Galerie des Offices est à mettre très clairement en relation avec celle de Botticelli. La composition en est très proche quoi que plus déstructurée et moins rigoureuse, laissant place à plus de mouvement, notamment par l’abondance de personnages qu’on aperçoit dans le fond. Comme chez son prédécesseur, des Médicis sont identifiables : Perfrancesca Médicis (avec le quadrant) et ses fils derrière lui, Giovanni et Lorenzo.

© The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Mantegna en 1495-1500 adopte lui un cadrage très serré.  L’attention est portée sur les personnages eux-mêmes, leurs visages surtout et pour ce faire, le décor est absent au profit d’un fond sombre. Là encore, les mages représentent à la fois les différents âges mais surtout, ils commencent aussi à représenter plus nettement les différentes parties du monde. Balthasar devient un personnage africain (ce qu’il n’est pas en peinture avant 1460) et Gaspard a un petit côté oriental dans sa tenue mais aussi avec un teint plus mat que ceux de la vierge, l’enfant et même Melchior qui semble comme souvent à genoux, étant le plus bas dans la composition.

Un dernier petit italien pour la route, les trois philosophes de Giorgione (1505-1509, Kunsthistorisches Museum). Giorgione est certainement l’un des peintres vénitiens les plus mystérieux. Ces trois hommes rappellent les mages de manière indéniable, les trois âges, les 3 mondes, les savants, (le plus âgé avec sa carte, le plus jeune avec son équerre), tout y est. Pourtant, chose étrange, pas d’enfant Jésus à adorer, ni de Marie, pas d’étoiles, tout juste une grotte qui prend une bonne part de l’espace à gauche qui peut évoquer une crèche. Même si ce n’est pas une adoration à proprement parlé, je ne pouvais pas, ne pas citer cette œuvre, vu son originalité.

Allons en Allemagne pour changer, et regardons la version de Durer (1505, galerie des Offices).

On retrouve l’iconographie des trois âges et un Balthasar africain. Ici pas de portraits de riches dignitaires, mais celui de l’artiste lui-même facilement reconnaissable à ses longs cheveux ondulés, sous les traits de Gaspard.
Presque dans le même coin, mais chez les flamands, je demande la peinture de Bruegel l’ancien de 1564. Pour le coup, le traitement est assez radical, surtout pour ce qui concerne les personnages. Nous ne sommes plus dans la beauté pure, la Vierge insaisissable, les visages plein de respect. On frôle la caricature, avec des mages aux rides bien visibles, aux cheveux épars mais richement et originalement vêtus. Les couleurs vives de leurs tuniques et de celle de la Vierge, rompent avec l’austérité des tons bruns dominants. Une œuvre assez déconcertante mais finalement très moderne, comme souvent chez l’artiste.

Et pour finir, une œuvre plus proche de nous, qui fera plaisir à une amie, l’Adoration des Mages par Burne-Jones du musée d’Orsay, acquis en 2009 lors de la vente Yves-Saint-Laurent et Pierre Berger.

Histoire de changer de support, ce n’est pas une peinture, mais une tapisserie. Il en existe plusieurs versions, la nôtre date de 1904 et avait été commandée par le banquier Guillaume Maller pour sa propriété de Varengeville-sur-Mer (76). La version initiale est une commande pour la chapelle de l’Exeter College d’Oxford et a été achevée en 1890. On retrouve ici, l’amour pour le Moyen-Age de l’artiste avec des personnages figés, tous debout à l’exception de la Vierge qui de fait, n’a pas sa position traditionnellement dominante. L’enfant est lui aussi, très petit par rapport à l’ensemble et comme apeuré par la scène dans sa position de recroquevillèrent vers sa mère. Le goût de Burne-Jones pour la décoration végétale est aussi indéniable avec cette abondance de fleurs et d’éléments végétaux. Les ailes mêmes de l’ange ont l’air faites de feuilles.

chapiteau, cathédrale d'Autun, XIIeme siècle

Donc voilà pour ce mini tour des représentations de l’adoration des mages, j’aurais bien sûr pu évoquer un nombre incalculable d’autres œuvres, peintures, mosaïques, vitraux, objets d’art et sculptures, et juste pour prouver que la peinture est loin d’être le seul support, voici un magnifique chapiteau polychrome du XIème du chœur de Église Saint-Pierre à Chauvigny (Vienne).

chapiteau de Saint-Pierre de Chauvigny, XIème siècle © Région Poitou-Charentes, Inventaire du patrimoine culturel / R. Jean, 2009.

Bonne galette, n’avalez pas les fèves et n’oubliez pas de me suivre sur Facebook et twister.

Liens :

http://fr.wikipedia.org/wiki/L’Adoration_des_mages
Liste de la plupart des représentations d’adoration de mages. http://elmiradorespagnol.free.fr/3magos/
L’adoration de Bruegel : http://bruegel.pieter.free.fr/mages.htm
http://gybn-histoire.blogspot.com/2010/05/bruegel-ladoration-des-mages.html
L’adoration de Botticelli : http://it.wikipedia.org/wiki/Adorazione_dei_Magi_(Botticelli_Uffizi)
http://catholique-nanterre.cef.fr/faq/fetes_epiphanie_sens.htm#manifestation
Sur le chapiteau de Chauvigny : http://inventaire.poitou-charentes.fr/patroman/themes/notice.php?id=IA86007847

saint Hubert

Dessin d'un vitrail. Senlis, musée de la vénerie

Travaillant dans un musée de chasse, je suis presque obligée de parler de saint Hubert, saint patron des chasseurs, car non ce n’est pas seulement une marque de beurre. Avec  1 300 000 chasseurs en France, forcément ce saint à quelques adeptes chez nous et les messes de saint Hubert attirent du monde.

Comme beaucoup de saints, si n’est tous, il faut savoir que la légende a largement pris le pas sur l’histoire. De fait, tout est sujet à discussion et pour presque chaque date que je citerai, vous en trouverez surement une autre.

Commençons par le début : sa vie ! Dans les plus anciens textes, notamment  la Vita sancti Huberti Prima qui remonte au milieu du VIII° siècle, , on ne sait rien ni de sa patrie, ni de sa naissance et sa jeunesse.  En résumé, Hubert a vécu entre le VII° et le VIII° siècle, il est connu pour être le disciple de saint Lambert, à qui il succède au siège épiscopal de Tongres-Maastricht. L’acte le plus important de son existence est en 718, la translation des reliques de saint Lambert de Maastricht à Liège, lieu de son martyr. De petite bourgade, la ville va devenir le siège de l’évêché  et peu à peu prendre de l’importance, une partie des mérovingiens et carolingiens sont en effet originaire du bassin liégeois.

Mais revenons à notre Hubert, qui devient donc un évêque méritant qui passe son temps à évangéliser les Ardennes, la Toxandrie et le Brabant. Il meurt en 727,  selon les uns de maladie à Liège, selon d’autres à Tervueren ou encore d’accident de pêche (si ça existe, la preuve !).

râpe à tabac en buis, XVIII° siècle, Musée de la Venerie, Senlis.

Le 3 novembre 743, son fils (ou filleul, les traductions latines sont incertaines) et successeur, Floribert fait élever ses reliques en présence du Maire du Palais Carloman, lors de cette cérémonie, on ouvre son tombeau et le corps était parait-il en excellent état. C’est cette même année qu’il est canonisé.

Rogier van der Weyden, The Exhumation of Saint Hubert, National Gallery

Cette première biographie est donc très modeste, rien d’extraordinaire et de vraiment miraculeux là-dedans.  Au IX° siècle, les choses changent. En 825, On décide de la translation de ses reliques vers l’abbaye d’Ambra (ou Andage), fondée au VII° par le Maire du Palais, Pépin II d’ Héristal. A partir de là, les miracles apparaissent, et ce qui devient l’abbaye de Saint-Hubert gagne en envergure. Elle devient un lieu de pèlerinage important, un centre culturel foisonnant, et est très prospère.

Les pèlerinages qui attirent tant de monde, ont une vertu essentielle : se faire guérir de la rage ou s’en préserver. Car il se raconte, que saint Hubert lui-même avait le pouvoir de soigner cette maladie. Il est un saint thaumaturge.

Vision de saint Hubert, pierre polychrome, XVIème, musée de la vénerie, Senlis

Je vous ai dit que les choses changent à partir du IX°, concrètement, la vie d’Hubert se voit agrémentée de plein de petits détails, dont le nombre ne cessera d’augmenter au fil des siècles, mais j’y reviendrai. L’un de ces changements est l’apparition d’un ange. Ce dernier est venu voir Hubert après la mort de saint Lambert pour lui confier le siège épiscopal et devant son humble refus, il lui donne une étole tissée par la Vierge Marie. C’est avec cette étole, un bandeau de soie et d’or, d’1m de long sur 4.5cm de large et qui existe toujours soit dit en passant, que les moines soignent les malades. C’est ce qu’on appelle la taille. On fait une incision sur le front et on y glisse un fil de l’étole, le tout est recouvert pendant 9jours d’un bandeau noir et le malade doit respecter un certains nombres de règles pendant ce temps pour guérir.

Sur cette pierre polychrome, on voit l’ange apporté l’étole en question.

Voilà donc, la première raison de la célébrité de saint Hubert. Il guérit d’une maladie atroce et mortelle. Et ce rôle de guérisseur reste prépondérant jusqu’au XVIII° siècle. Après, le côté patron des chasseurs l’emportent et quand Pasteur invente le vaccin en 1885, il relègue définitivement son aspect thaumaturge aux oubliettes.

Mais la chasse ? Je vous ai dit qu’il était le saint patron des chasseurs, mais jusqu’à présent pas de scène de chasse. Pas d’apparition divine. Du moins pas encore.

De nos jours, saint Hubert est surtout connu pour cela à travers une légende fort représentée et que tous les chasseurs connaissent : la vision du cerf crucifère.

Bruegel l'ancien, Vision de saint Hubert, Prado, Madrid

Il se raconte, que saint Hubert qui n’était pas encore homme de foi, chassait le cerf dans la forêt des Ardennes un jour de Pâques, de Noël, un vendredi saint ou simplement un dimanche (les versions diffèrent légèrement), pendant que les braves gens priaient. Mais au moment où l’animal était sur le point d’être abattu, il se retourna fièrement, et un Christ en croix apparu entre ses bois pour s’adresser au chasseur par ces mots :  « Hubert, Hubert, jusqu’à quand ta passion dévorante te détournera-t-elle de tes nobles devoirs ? Va trouver Lambert à Maastricht, il te dira quoi faire ? ». A ces mots, Hubert tomba à genoux, se prosterna et abandonna la chasse pour devenir homme de Dieu.

Belle histoire, très populaire aussi. Le nombre d’artistes l’ayant représentée est important, sans parler des images d’Epinal et de tous ces petits objets ou cette vision apparait. Il est très facile d’ailleurs de voir pourquoi les artistes se sont plus à la représenter encore et encore. Pour beaucoup d’entre nous, la chasse est une activité lointaine et obscure, mais pendant des siècles, elle a fait partie de la vie quotidienne. C’est une activité sportive, une passion mais aussi un devoir, un prince s’entraine à devenir un militaire par ce biais. Rien d’étonnant alors que tous ses seigneurs se mettent sous la protection de saint Hubert en commandant des œuvres. De plus, pour un artiste, le thème est idéal. Le peintre montre son habilité à représenter un paysage luxuriant, la scène se passant en forêt, c’est sans doute pour ça que les peintres flamands et allemands spécialistes du genre, ont particulièrement excellé dans le genre. En même temps, on reste dans la peinture religieuse, le genre noble par excellence.

Pourtant il y a un petit problème. Cette jolie légende, elle n’est nulle part, du moins pas avant le XV° siècle, ni dans les textes, ni dans les représentations artistiques. Mais alors que s’est-il passé ?

Eh bien, tout simplement, une petite confusion :

Dürer, Vision de saint Eustache, Musée de la vénerie, Senlis

L’apparition d’un cerf crucifère ne sort pas de nulle part. En dehors du fait, que le cerf est apparu à de très nombreux saints, car il est un fort symbole christique, dans la Legenda Aurea de Jacques de Voragine (1228-1298), c’est saint Eustache qui a cette apparition. Il semblerait qu’Hubert et Eustache aient été confondus car célébrés le même jour : le 03 novembre et qu’à partir de cette confusion, la légende de l’apparition soit passée vers saint Hubert.

Ce dernier va être de fait, de plus en plus représenté et sa vie à nouveau s’embellir. Dans ces nouveaux écrits, saint Hubert est né en 665, il  est le fils de Bertrand, duc d’Aquitaine et d’Ugberna. Il est envoyé à la cour de Thierry III, roi des francs et Neustrie, mais il se retire en Austrasie chez le duc Pépin d’Héristal dit le gros, suite à un désaccord avec le Maire du Palais, Ebroïn .

Il épouse, fille de Dagobert, comte de Louvain, qui meurt en couche, lui donnant un fils, Floribert. C’est suite à sa mort qu’il se retire en ermite.

Bague pour prévenir des morsures de bêtes enragées, XVIIIème, Musée de la vénerie, Senlis

Mais si Hubert n’a certainement jamais vu de cerf crucifère, comment s’est-il attiré les faveurs des chasseurs ? Il y a plusieurs pistes.

Déjà en guérissant la rage, il a forcément une grande place dans cet univers, car les chasseurs sont directement exposés, surtout leurs meutes.

De plus, saint Hubert à évangéliser les Ardennes, région où la chasse depuis toujours a  une place importante. Les dieux païens qu’il a remplacés, comme Odin, Arduinne ou Cernunnos sont liés à la chasse. Il est donc probable qu’il est assimilé les cultes offerts à ces divinités.

De plus, dès le XII° siècle, dans les Miraculi Huberti  écrits en 1106 on parle déjà d’offrandes religieuses offertes à l’occasion des débuts de la saison de chasse, en insistant sur le fait que le saint était lui-même amateur de chasse.

La légende du cerf crucifère n’a donc pas créé un saint chasseur, elle n’a fait qu’exacerber cet aspect qui est devenu plus important au fil du temps. Car je vous l’ai dit, ce saint est toujours célébré le 3 Novembre par les messes de saint Hubert organisées les samedis qui précèdent ou qui suivent et qui marquent l’entrée symbolique dans la saison de chasse. Les veneurs y viennent notamment bénir leurs meutes pour les protéger.

Donc voilà, la vie des saints n’est pas toujours aussi facile à déchiffrer qu’on ne le croit et au passage je vous fait profiter de quelques œuvres de mon musée.

Et si ça vous intérresse, je fais une visite spéciale sur ce saint, samedi 05 novembre 2011, au musée de la vénerie de Senlis à 15h, mais il faut téléphoner à l’avance pour être sûre qu’il reste des places (bon normalement il en reste toujours, mais on ne sait jamais).

Référence :

GAIDOZ Henri, La rage et St-Hubert, Paris, Alphonse Picard, Editeur, rue Bonaparte, 1887.

De PREMOREL Adrien, La merveilleuse légende des grands bois d’Ardenne, Liège, Printing Co, 1927

MOUTARD-ULDRY Renée, Saint Hubert patron des chasseurs, Paris, Librairie Henri Lefèbvre, 1942.

Maurice Denis, la légende de saint Hubert, 1896-1897, Musée Départemental Maurice Denis, le prieuré, Le musée de la chasse et de la Nature, Somologie Editions d’art, 1999.

DE VILLEPIN Patrick, L’ordre de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois, Librairie Edition Guénégaud, 1999.

http://www.facebook.com/pages/Mus%C3%A9e-de-la-V%C3%A9nerie/150034471733133

http://trompes.lce.free.fr/st_hubert.php

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_de_Li%C3%A8ge

ftp://ftp2.tresordeliege.be/tresordeliege/bloc-notes/bloc-notes-23.pdf

Salomé

Aujourd’hui c’est la sainte Salomé. La sainte en question, c’est Salomé de Myrophore, mère des apôtres Jacques et Jean. Elle fait partie des femmes ayant trouvé le tombeau vide, le dimanche matin de Pâques.

Pourtant, quand on pense Salomé, ce n’est pas exactement cette brave femme qu’on a en tête.

Salomé Huile sur toile 144 x 103.5 Los Angeles, Californie. The Armand Hammer collection UCLA at the Armand Hammer museum of Art and cultural center, AH 90.48

C’est la Salomé sensuelle et langoureuse qui se mettant à danser la fameuse danse des 7 voiles va envoûter Hérode Antipas pour réclamer la tête de Jean-Baptiste.

C’est un thème plus que récurant dans l’art pictural, de Titien, à Cranach, en passant par Le Caravage, ou Beardsley qu’on peut d’ailleurs parfois confondre avec Judith qui se montre aussi avec une tête dans les mains, mais là c’est une autre histoire.

Le XIX ème siècle notamment à travers la littérature va revisiter le mythe  de cette tentatrice dangereuse et fascinante, notamment avec Heinrich Heine, Flaubert, Mallarmé ou Oscar Wilde.  En, 1912, Maurice Krafft recense 2789 poèmes à sa gloire. Et ne parlons pas des compositeurs ou même des cinéastes, comme récemment  Tsai Ming-liang.

Mais qui est donc cette femme si fascinante qui représente les dangers de la séduction et que l’ Eglise a longtemps utilisé dans ses discours misogynes, comme un écho de l’Eve de l’Ancien Testament, représentante de tous les vices féminins et même liée à Satan.

La Salomé des Evangiles pour commencer : seuls Marc ( 6, 14-29)  et Mathieu (14, 1-12) mentionnent cette scène de danse :

Lucas Cranach, "Salome with the Head of Saint John the Baptist", huile sur bois, 73,5 x 54 cm (Szépmuvészeti Múzeum, Budapest) © Szépmuvészeti Múzeum, Budapest

Marc :

« 14           Et le roi Hérode entendit parler (de Jésus), car son nom était devenu célèbre, et il disait :  » Jean Le Baptiste est ressuscité des morts : voilà pourquoi le pouvoir thaumaturgique agit en lui. « 
15           D’autres disaient :  » C’est Elie;  » et d’autres disaient :  » C’est un prophète, comme l’un des (anciens) prophètes. « 
16           Ce qu’Hérode ayant entendu, il disait :  » Ce Jean, que j’ai fait décapiter, il est ressuscité. « 
17           Car c’était lui, Hérode, qui avait envoyé arrêter Jean, et l’avait fait mettre en prison chargé de chaînes, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe, son frère, qu’il avait épousée.
18           Jean en effet disait à Hérode :  » Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. « 
19           Hérodiade lui gardait rancune et voulait le faire mourir, mais elle ne le pouvait pas,
20           car Hérode craignait Jean, le sachant homme juste et saint, et il le préservait; en l’écoutant il était dans la perplexité, mais il l’écoutait volontiers.
21           Il arriva un jour propice, quand Hérode, pour l’anniversaire de sa naissance, donna un festin à ses grands, aux tribuns et aux principaux de la Galilée.
22           La fille d’Hérodiade elle-même, étant entrée, dansa et plus à Hérode et aux convives. Et le roi dit à la jeune fille :  » Demande-moi ce que tu voudras, et je te le donnerai. « 
23           Et il lui fit serment :  » Quoi que ce soit que tu me demandes, je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume. « 
24           Elle sortit et dit à sa mère :  » Que demanderai-je?  » Celle-ci dit :  » La tête de Jean le Baptiste. « 
25           Rentrant aussitôt avec empressement vers le roi, elle lui fit cette demande :  » Je veux que tu me donnes, à l’instant, sur un plateau, la tête de Jean le Baptiste. « 
« Salomé portant la tête de Jean-Baptiste » Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage (1571-1610) National Gallery, Londres.
26           Le roi, très attristé, ne voulut pas, à raison des serments et des convives, la repousser.
27           Envoyant aussitôt un garde, le roi commanda d’apporter sa tête. Il s’en alla décapiter Jean dans la prison,
28           et il apporta sa tête sur un plateau; il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
29           Ses disciples, l’ayant appris, vinrent prendre son corps et le mirent dans un tombeau. »

Le nom même de Salomé n’est pas évoqué dans cet évangile, ni dans celui de Mathieu, c’est par un historien romain du Ier siècle et d’origine juive qu’on le connaît : Flavius Josephe.  Ce dernier retrace la généalogie de Salomé. Elle est la fille d’Hériodade (petite-fille d’Hérode le Grand, elle a fini sa vie en exil avec son époux dans le sud de la Gaule) et d’Hérode Philippe Ier. Hériodade quitte son mari, alors qu’il était encore vivant, pour épouser le frère de celui-ci, ce qui est contraire à la loi juive.  Salomé, épouse quant-à elle Hérode Philippe II puis Aristobule II, roi de la Petite Arménie.

Titien, Salomé, 1515. Galleria Doria Pamphilj.

Tout repose donc sur le remariage de sa mère. Jean-Baptiste, a dénoncé ce dernier, Hériodade étant en plus la nièce d’Hérode Antipas, ce qui lui a attiré l’antipathie de la reine qui souhaite sa vengeance . Elle va donc utiliser les charmes de sa fille, pour séduire son mari qui ne pouvant rien lui refuser, va faire exécuter le saint malgré un certain respect pour lui. Flavius Josèphe, n’évoque pas cette scène. Il dit juste qu’Hérode se méfiait de l’influence de Jean et qu’il a été exécuté à Macheronte.

Pour ce qui est de la fin de Salomé, elle serait morte vers 72. Une légende tirée de La lettre d’Herode à Pilate, raconte qu’elle serait tombée dans un lac et que l’eau aurait commencé à geler tout autour d’elle, ne laissant dépasser que sa tête, la sectionnant. Sa figure aurait ainsi reposé sur la glace, comme celle de Jean le Baptiste sur le plateau d’argent que l’on croise en peinture.

L'Apparition Aquarelle 106 x 72.2 Signée en bas à gauche en lettres d'or. Musée du Louvre, département des arts graphiques.

Les deux Apparitions de Gustave Moreau montre une Salomé toute en sensualité comme habillée de bijoux. Moreau (1826-1898), représentant du symbolisme empreint de mysticisme a peint plusieurs fois le thème de Salomé. Il faut dire que depuis  le début des années 1870, l’histoire de Salomé en passionne plus d’un. Elle est partout.

L’orient chéri du peintre est très présent, dans le costume sensuelle de la jeune femme et ce décor de palais mystérieux. Salomé représente la femme orientale fantasmée de l’époque.  L’influence vénitienne dans le choix des couleurs est aussi très marquée. Contrairement à la tradition picturale, la tête de Jean le Baptiste ne repose pas sur un plateau, elle semble flottée dans l’air, nimbée d’une vive lumière qui éclaire la scène. La jeune femme tend sa main vers lui, tout en ayant un geste de recul et ne croisant pas le regard droit du saint, comme pour montrer que cette tête est séparée de son corps par sa seule volonté mais que la conséquence de ce geste la répugne ou du moins l’effraye en même temps.

L'Apparition. Huile sur toile 142 x 103. Musée Gustave Moreau, cat. 222.

http://www.mediterranees.net/mythes/salome/divers/huysmans.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Salom%C3%A9_(fille_d%27H%C3%A9rodiade)

http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/salome

http://aart.free.fr/Moreau.htm

Bella Principessa. Comme quoi l’intuition paye.

C’est ce qu’on appelle une jolie plus-value. La paternité de la belle princesse attribuée à Léonard Da Vinci lui a valu une explosion de sa valeur marchande, passant de 21 850$ en 1998 à plus de 150 millions aujourd’hui. Preuve que l’or ou que le franc Suisse comme valeur refuge c’est out et que l’art c’est nettement plus rentable avec un capital multiplié tout de même par 6900.

Bella Principessa, Leonard de Vinci (?), 1496

Son histoire est un véritable polar avec tous ses ingrédients  : enfant illégitime, jolie fille mystérieuse, argent et paternité douteuse…

L’oeuvre en elle-même est un dessin à « trois crayons »-craie blanche, noire et rouge- à la plume et au lavis sur un vélin tendu sur une planche de chêne de 33cm sur 24cm.

 

Cette jolie et pale princesse rousse aux yeux clairs se nommait Bianca Sforza. Elle était la fille illégitime de Bernardina de Carradis et du duc de Milan, Ludovico Sforza, dit le More. Elle fut mariée à seulement 13ans à Galeazzo Sanseverino, un fidèle commandant de son père. Malheureusement pour elle, sa vie fut vite écourtée car elle disparu peu de temps après des suites d’une maladie abdominale. Ainsi s’acheva sa vie terrestre, mais grâce à ce dessin, plus de 500ans plus tard, nous parlons toujours d’elle.

Bella Principessa, détail

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ici,  l’histoire du dessin en tant qu’objet est tout aussi intéressante que celui du jeune modèle.

Quand elle fut mise en vente par Christie’s N-Y en 1998, les experts virent en elle une œuvre allemande du XIXème siècle, un simple pastiche dont l’appellation était alors « Jeune fille de profil en robe de la Renaissance ». Ce fut Kate Ganz, propriétaire de la Gallery Ganz à New-York, spécialisée dans la Renaissance italienne qui l’acquit et l’exposa. La plupart des visiteurs de cette galerie ne voyait en elle qu’une simple œuvre de moins d’un siècle d’âge, mais un homme eu une conviction tout autre. En l’aperçevant il se mit à rêver de Ghirlandaio et même de De Vinci sans trop y croire. C’est homme, un marchand canadien qui vit en France, Peter Silverman eut pourtant assez d’espoir pour l’acheter en 2007 pour le compte d’un riche anonyme suisse. Il fut encouragé dans ce sens par Martin Kemp, reconnu comme l’un des plus grands experts de Leonard De Vinci et professeur au Trinity College d’Oxford. Ce dernier avait également l’intuition que l’œuvre était de la main de Leonard De Vinci. A force de l’étudier, minutieusement, attentivement, l’intuition se mua peu à peu en certitude, notamment par rapport à la manière dont les ombres sont travaillées semble-t-il avec une main gauche. Or, Leonard de Vinci était gaucher.

C’est Kemp qui suggéra l’identité de la princesse comme étant Bianca dont le mari et le père étaient mécène du peintre, le seul peintre gaucher de cette cour. Dès lors les investigations commencèrent (voir le lien en anglais du Newyorker pour plus de détails) afin de percer le mystère et de pourquoi pas? Identifié le 13eme portrait de Leonard!

Le vélin fut envoyé à l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich (ETHZ) pour une analyse au carbone 14 qui révéla une datation approximative entre 1440 et 1650. On se rapprochait du maître qui vécut entre 1452 et 1519 mais la prudence était toujours de mise car des copieurs utilisant de vieux papiers et de vieilles toiles ont déjà trompés plus d’un expert. Les études et les analyses continuèrent et en 2009, Kemp se tourna vers Peter Paul Biro, un expert en art légiste qui s’était spécialisé dans la recherche des empreintes d’artistes sur les toiles. Pour voir plus de détails de l’œuvre, Ils firent faire des analyses basées sur la photométrie multispectrale (déjà utilisée sur la Joconde en 2004) au laboratoire parisien Lumière Technology, mené par P. Cotte et J. Pénicaut.

Bandeau multispectral réalisé par le laboratoire Lumière Technology, Paris.

Grace à un spectromètre très précis, les scientifiques ont recomposé le spectre de réflexion diffue, c’est-à-dire tous les éléments composant la couche picturale et c’est là qu’une empreinte de paume est apparue. Il arrivait souvent à Leonard de Vinci d’utiliser ses mains quand il peignait et l’on trouve parfois ses empreintes sur ses œuvres. Biro a d’ailleurs comparé cette empreinte à celle retrouvée sur Le St Jérôme du Vatican et y à retrouver de fortes similitudes. Les preuves commencèrent vraiment à converger vers le peintre florentin malgré des réserves persistantes de la part de quelques historiens d’art.

Saint Jérome, Leonard de Vinci, Vatican, Rome.

C’est alors qu’ une nouvelle trouvaille est venue (de manière définitive ?) confirmer un peu plus ce qui pourrait être une découverte majeure pour l’histoire de l’art, car aucune œuvre de De Vinci n’a été retrouvée depuis 100ans. Cette découverte, c’est tout simplement la provenance de l’œuvre et c’est l’historien David Wright qui en 2011 leur apporta une piste très sérieuse. Après que Kemp et Cotte émirent l’hypothèse que le portrait venait d’un livre à cause de trois minuscules trous sur sa marge, il leur indiqua de quel livre il pouvait venir.

D. Wright est un spécialiste des Sforziades écrits par Giovanni Simonetta, des livres imprimés sur du vélin pour la famille Sforza racontant la vie de Francesco Sforza qui a établi la dynastie des duc de Milan. Il en existe aujourd’hui quatre exemplaires : un à la Bibliothèque Nationale de Paris, un à la British Librairy, un aux Offices de Florence et celui qui nous intéresse, à la Bibliothèque Nationale de Varsovie.

Celui-ci aurait été fait à l’occasion du mariage de Bianca en 1496 selon Kemp. Arrivé dans les collections de François Ier, il l’aurait offert au roi de Pologne en 1518 pour son mariage avec Bona Sforza. Il manque aujourd’hui un feuillet dans cet exemplaire, feuillet qui aurait été enlevé  pour l’encadrer au XVIIIème lors d’une restauration. Les études poussées du laboratoire Lumière Technology prouvèrent une forte similitude entre le codex et le vélin dans leurs caractéristiques physiques (composition, dimension etc.). De plus, Martin Kemp et Pascal Cotte montrèrent la parfaite correspondance entre les trous de reliure du portrait et ceux du codex. Autant dire que beaucoup d’élément convergent dans le sens de Leonard de Vinci et rendent cette œuvre absolument extraordinaire.

C’est une découverte majeure pour l’histoire de l’art et l’acheteur suisse peut remercier Silverman de lui avoir acheté cette petite princesse qui a tout d’une reine désormais. Il lui aurait promis du caviar jusqu’à la fin de sa vie.

Une personne dans cette affaire pourtant ne semble pas ravie du tout et on la comprend, l’ancienne propriétaire de l’œuvre. Jeanne Marchig, présidente d’une association de défense des animaux britannique a en effet porté plainte contre Christie’s New-York pour négligence, ces derniers ayant estimés l’œuvre entre 12 000et 16 000$ en 1998…………Celle-ci en valant désormais probablement plus de 150 millions, on peut comprendre que la couleuvre passe mal. C’est un peu comme avoir un ticket de loto gagnant et le perdre….en pire !

la fameuse empreinte

Liens :

http://www.miwim.fr/blog/une-peinture-de-leonard-de-vinci-decouverte-grace-a-ses-empreintes-digitales-6542

http://www.nola.com/arts/index.ssf/2009/10/new_leonardo_da_vinci_paiting.html

http://www.lepost.fr/article/2011/09/30/2602388_plus-mysterieux-que-le-sourire-de-la-joconde-la-bella-principessa.html

http://www.connaissancedesarts.com/peinture-sculpture/actus/breves/la-belle-princesse-pourrait-etre-un-leonard-de-vinci-91851.php 

http://www.artclair.com/site/archives/docs_article/89636/l-attribution-de—la-belle-princesse—a-leonard-de-vinci-certes-confirmee-mais-toujours-contestee.php

http://www.newyorker.com/reporting/2010/07/12/100712fa_fact_grann

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2009/10/15/001-dessin-da-vinci.shtml

http://www.lumiere-technology.com/discoveries3.html http://www.lumieretechnology.com/news/Etude_Sforziada_Pascal_Cotte_v15.pdf

Martin Kemp, « Leonardo», Oxford University Press, October 6th 2011.

st Michel : Delacroix, Michel terrassant le dragon

Aujourd’hui nous nous fêtons les Michel, j’ai donc décidé de jeter un coup d’œil sur Saint Michel. Vous savez  cet archange en cuirasse qui terrasse le dragon ? Entre celui du mont st Michel ou celui de la place st Michel, le choix iconographique est vaste. J’ai préféré choisir une œuvre plus colorée : le St Michel de Delacroix exécuté pour l’église St Sulpice de Paris.

 

E. Delacroix, Michel terrassant le Dragon, 1849-61. St-Sulpice, Paris.

Eugène Delacroix (1798-1863) est aujourd’hui l’un de nos peintres les plus connus et les salles rouges du Louvre en témoignent quotidiennement.  Mais au regard de sa vie et de son œuvre, il n’y a rien d’étonnant à cela. Célèbre de son vivant, il est avec quelque chose comme 800 tableaux et peintures murales et 600 dessins, le peintre emblématique du XIX ème siècle, quelque part entre classicisme et modernité féroce.

Delacroix qu’on soupçonne (plus que fortement) d’être le fils naturel de Talleyrand est du moins officiellement le fils de Charles Delacroix, secrétaire de Turgot, conventionnel devenu ministre des Affaires extérieures sous le Directoire puis ambassadeur et enfin préfet des Bouches-du-Rhône et de Gironde.

Le jeune Eugène commence en 1816 dans l’atelier de Guérin et très tôt il se montre hostile à l’académisme de son maître qu’il considère d’un ancien temps.  Ses premières œuvres reflètent l’influence de l’Italie de la Renaissance et du XVIIème mais dès 1822 c’est de Géricault qu’il se rapproche avec la présentation de la Barque de Dante au salon. Sa participation y devient régulière et deux ans plus tard en 1824, Le massacre de Scio fait de lui le chef de file incontesté des Romantiques.

Une dizaine d’années plus tard, après un voyage au Maroc, en Algérie et en Espagne où il accompagne le comte de Mornay, chargé de mission auprès du Sultan du Maroc, il ramène dans ses valises tout un monde de couleurs et d’Orient fantasmé : l’Orientalisme est en marche et encore une fois, c’est lui, Eugène Delacroix, le fer de lance de ce mouvement.

Il devient l’artiste que l’on s’arrache, passant tous les régimes pour lesquels il exécute de  grands ensembles décoratifs : la Salon du Roi au Palais Bourbon (1833-38) ; la bibliothèque du Sénat (1840-46) ; la Galerie d’Apollon au Louvre (1850-51) ; le Salon de la Paix de l’Hôtel de Ville de Paris, aujourd’hui détruit (1851-54) ; la Comédie Française (1852-53).

1855 est également une année importante dans sa carrière : c’est l’année où la France organise pour la première fois une exposition universelle à Paris.  A cet occasion Delacroix est invité à présenter une rétrospective de son  œuvre en compagnie d’un autre peintre non moins célèbre et souvent présenté comme l’anthithèse de Delacroix : Jean-Auguste Ingres.

Elu à l’Institut de France en 1857, il est également l’un  des membres fondateurs de la Société des Beaux-Arts.

Il meurt à 65ans en 1863 des suites d’une Tuberculose et est inhumé au Père Lachaise.

Bien que se réclamant souvent athée, l’œuvre religieuse de Delacroix est l’une des plus poignantes de son temps. Il décore ainsi plusieurs édifices religieux et se voit confié en 1849 le décor de la Chapelle des Saints-Anges de l’Eglise st-Sulpice, l’une des plus grandes églises parisiennes.

Les plans actuels de l’église datent du XVIIème siècle. Le chœur a été achevé et béni en 1673 mais l’ensemble de l’édifice  ne fut achevé qu’en 1870. Seulement des travaux de restaurations furent vite nécessaire à cause des obus prussiens de 1871.

La chapelle des Saints-Anges est la première chapelle latérale droite de la nef. Il avait aussi, en 1847 reçu une autre commande pour le transept mais le projet fut abandonné.

Du fait d’un état de santé mauvais et d’autres commandes en cours, les retards s’accumulent et  Delacroix ne commence pas le gros-œuvre avant 1854. Il ne vient que de temps en temps jusqu’en 1858 avant de se mettre avec acharnement au travail jusqu’en 1861, année où la chapelle est présentée au public.

Il réalise pour cette chapelle trois de ces dernières œuvres dont le thème est la lutte, le combat entre l’homme et les créatures divines.

–          Le plafond, qui est une huile sur toile marouflée représente Saint Michel Terrassant le Dragon, épisode tiré de l’Apocalypse.

–          sur les murs, deux peintures à l’encaustique (et non des fresques) (715 x 485cm) : La lutte de Jacob avec l’Ange (Genèse) et Héliodore chassé du Temple (Livre des Maccabées).

Heliodore chassé du Temple / Lutte de Jacob avec l'ange (1849-61), st-Sulpice, Paris

Saint Michel terrassant le dragon.

Delacroix illustre ici le chapitre XII de l’Apocalypse selon st Jean.  Satan se rebelle dans les cieux et y amène le Mal. Il est alors chassé par les anges et la guerre céleste menée par Michel continue sur la terre.

Apocalypse XII, 7-9

« Et il y eut guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui. »

Les archanges ne sont pas hiérarchiquement les plus hauts placés, mais seuls eux ont la possibilité d’agir au nom de Dieu sans avoir besoin de sa permission.

Michel est le plus célèbre d’entre eux. « Michel » étymologiquement signifie « Qui est semblable à Dieu ».  Il apparait dans l’Ancien et le Nouveau Testament, ainsi que dans le Coran. Il est d’ailleurs le seul archange que la Bible désigne comme tel (Jude, 9 : « Or, l’archange Michel, lorsqu’il contestait avec le diable et lui disputait le corps de Moïse, n’osa pas porter contre lui un jugement injurieux, mais il dit: Que le Seigneur te réprime! »). Il est présenté comme chef des armées célestes, d’où sa représentation en tenue militaire la plupart du temps. Dans l’Apocalypse il est aussi le bras de Jésus qui l’aide à juger les âmes lors du Jugement Dernier.

On est dans un paysage bien ouvert, n’oublions pas que nous sommes sur un plafond. Crevant les cieux, tout nimbé de lumière d’or manifestant sans doute la puissance divine qui l’accompagne, Michel s’abat sur le démon avec sa lance et le précipite sur la terre.

Il est le centre de l’œuvre.  Son corps et sa lance en sont  le pilier vertical et ses ailes déployées majestueusement apportent un équilibre horizontal à la manière d’une croix. Le ciel derrière lui occupe les ¾ de la toile et les couleurs de ce dernier  rappelant la luminosité d’un orage, se reflètent dans les ailes de Michel, entre gris et or.

Les couleurs ici manifestent le talent de coloriste de Delacroix. Elles se répondent entre-elles. Les nuances chaudes du rouge, de l’orange ou du jaune répondent à la froideur du bleu et du gris.

La partie inférieure représente la terre. Une terre hostile et rocailleuse dont s’élèvent de sombres montagnes en colères et des volcans d’où jaillissent la lave et la fumée qui obscurcissent les cieux.

Ce sol est jonché de corps sans vie, dont certains semblent disloqués par leur chute. Des anges déchus.  Au centre, sur un rocher plus haut que les autres et poussé à terre par le pied de Michel : Satan. Il tient toujours sa fourche fermement mais il a perdu son bouclier tombé à côté du serpent. Son corps devenu monstrueux est comme plié de toute part sous le poids de l’archange dans une posture très nerveuse. Pourtant Michel au-dessus n’est pas dans l’effort. Il le maintien  simplement avec son talon. La bataille est finie. Satan est vaincu.

Esquisse pour Michel

L’accueil reçut par cet ensemble décoratif fut tout de même un peu froid. Pour l’inauguration aucun membre du gouvernement ne se présenta.  Les critiques lui reprochèrent un excès d’académisme, ce qui est un comble pour cet artiste qui se voulait novateur. Mais Baudelaire et Gauthier admirèrent le travail de leur ami et d’autres peintres vinrent voir son travail et lui assurer qu’ « il n’était pas encore mort ».

 

Liens :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Delacroix

http://fr.wikisource.org/wiki/Peintures_murales_d%E2%80%99Eug%C3%A8ne_Delacroix_%C3%A0_Saint-Sulpice

http://www.musee-delacroix.fr

http://www.creteil.iufm.fr/fileadmin/documents/siteFFO/Service/Productions/Delacroix-la_Chapelle_des_Saints-Anges.pdf

http://www.peintre-analyse.com/delacroix.htm

http://www.correspondance-delacroix.fr

http://www.creteil.iufm.fr/fileadmin/documents/siteFFO/Service/Productions/T_Gautier_sur_Delacroix.pdf