Attention fragile. Murano est à Maillol

Un petit tour dans l’univers fragile du verre cette semaine, grâce à l’exposition consacrée à Murano par le musée Maillol qui après Canaletto met encore une fois Venise à l’honneur à travers cette fois-ci un symbole de la ville : sa manufacture de verre.

Fred Wilson « Iago’s mirror » 2009 H 200,0 cm ; L 130,0 cm ; P 20,0 cm Produced by Berengo Studio and Venice Projects ©Francesco Allegretto
Fred Wilson
« Iago’s mirror »
2009
H 200,0 cm ; L 130,0 cm ; P 20,0 cm
Produced by Berengo Studio and Venice Projects
©Francesco Allegretto

La verrerie fait partie de l’histoire artistique de Venise. Elle évolue avec la ville, grand port commercial, aux carrefours des influences. Héritée des traditions romaines, byzantines  puis musulmanes, l’industrie du verre vénitienne va prendre son indépendance avec la Renaissance, pour devenir une part essentielle de l’art de cette ville posée sur la lagune.

C’est en 1291 que les verriers doivent s’installés sur la petite île de Murano afin d’éviter les incendie dus à leurs fours dans la ville. Depuis lors, cet art n’a cessé de se développer et de s’imposer avec un certain culte du secret propre à sa situation insulaire. La mort peut attendre au tournant tout indiscret tenté de vendre son savoir.

 

Coupe nuptiale en lattimo avec une figure féminine et un joueur de luth 1500 env. H 12,0 cm Prague, National Museum ©National Museum, Prague, Czech Republic
Coupe nuptiale en lattimo
avec une figure féminine et un joueur de luth
1500 env.
H 12,0 cm
Prague, National Museum
©National Museum, Prague, Czech Republic

Regroupé en corporation, l’Arte dei Vetrai, ils créent des chefs-d’œuvre, inventent des nouveaux procédés (le lattimo, verre blanc opaque) reproduisent à merveille  les matières précieuses telles les gemmes avec notamment la maitrise de l’émail. Durant la Renaissance le verre devient un objet luxueux grâce à différentes techniques. On renouvelle le verre filigrané-vetro a filigrana-. « Un ensemble de variétés de verre soufflé transparent dans lequel sont incorporées des fils de verre étiré de couleur blanche ou de diverses couleurs ». On met en place également le verre craquelé, la peinture à froid qui permet de reproduire de véritable miniature sur le verre ou la gravure à la pointe de diamant.

Soucoupe à fleurs gravée à la pointe de diamant XVIIIe siècle H 9,0 cm ; D 33,0 cm Pavie, Musei Civici di Pavia - Castello Visconteo ©Musei Civici di Pavia
Soucoupe à fleurs gravée à la pointe de diamant
XVIIIe siècle
H 9,0 cm ; D 33,0 cm
Pavie, Musei Civici di Pavia – Castello Visconteo
©Musei Civici di Pavia

Certes à certaines époques, on n’échappe pas à un côté un peu « kitch » avec des formes  variées imitant la nature et surtout très colorées. Le XVIIIe siècle est friand de ce genre de production. Mais on ne peut pas s’empêcher de s’émerveiller devant ce petit jardin miniature, ce surtout de table tout de verre qui recréé un ensemble végétale et architectural délicat comme un jardin de poupée de porcelaine.

Le XIXe siècle n’est pas porteur pour le verre de Murano éclipsé par le verre de Bohème qui lui « emprunte » beaucoup.  De plus, la ville connait des vicissitudes historiques majeures, c’est la fin de l’indépendance, rattachée à la France, puis à l’Autriche et enfin à l’Italie.

C’est l’Art nouveau dans un premier temps puis surtout les designers du XXe siècle (Martinuzzi ou Scarpa) qui vont redonner à Murano son prestige avec des œuvres modernes à nouveau dans l’air du temps, aux formes simples et graphiques. Des œuvres largement mises à l’honneur dans cette exposition.

Elle commence d’ailleurs avec originalité, non pas par les débuts, mais par le XXIe siècle. Avant de rentrer dans une chronologie plus conventionnelle, nous sommes invités à admirer des créations très contemporaines, témoins de la vitalité des ateliers de Murano après sept siècles d’existences.  Fred Wilson nous rappelle tout l’art des miroirs vénitiens avec son « lago’s mirror », noir d’encre, tout comme « Orlan » qui y met tout un tas de contenus décontenançant comme de l’eau pollué. Vous verrez des pas qui s’effacent tout seul dans un sable de verre, des pigeons gras de Jan Fabre qui ont déjà décoré le Louvre en 2007 ou cette magnifique composition de Javier Pérez, « la carroña ». Immense lustre rouge sang, brisé par terre avec des corbeaux noirs qui le gardent. C’est particulier, avec tout un sens profond : la fragilité, le cycle de la vie etc. Mais ça reste impressionnant et ce rouge mêlé au noir des corbeaux est vraiment prenant.

Javier Perrez, carroña, 2011Copyright Photo ©Francesco Allegretto
Javier Perrez, carroña, 2011Copyright Photo ©Francesco Allegretto

Enfin à l’étage vous retrouverez un circuit plus classique, avec les subtiles œuvres de la Renaissance, pleine de légèretés, celles un peu plus lourdes du XVIIIe siècle et encore le côté graphique du XXe siècle, comme cette superbe série de vase Véronèse, un classique de la production de Murano, réinterprété par de nombreux artistes, ou encore cette compression de César à base de bouteilles de Coca cola.

Une exposition assez courte, surprenante, où on côtoie tous les styles. Certains s’émerveilleront devant ce gigantesque lustre posé dans une pièce de miroirs, d’autres sur la forme épuré des vases Véronèse. Mais il y en a pour tous les gouts. Et le musée Maillol sait toujours avec goût et clarté -ce qui pour une exposition sur le verre tombe à pic- faire partager ses passions.

Jan Fabre « Shitting doves of peace and flying rats » 2008
Jan Fabre
« Shitting doves of peace and flying rats »
2008