l’âme d’une collection russe réanimée : la collection Chtchoukine enflamme la fondation Vuitton.

En ce moment les amateurs d’art contemporain sont des petits chanceux. S’ils savent s’armer d’un peu (beaucoup) de patience, ils pourront découvrir à la fondation Louis Vuitton, l’extraordinaire collection de Sergueï  Chtchoukine qui était riche à son apogée de deux cent soixante-quinze œuvres d’artistes célébrissimes aujourd’hui : Monet, Picasso, Malevitch, Gauguin, Cezanne, Maurice Denis…Une collection exceptionnelle !!!!

Ce riche russe, administrateur de manufactures et de banques commence à acquérir dès 1898 à Paris, les grands noms de l’art : Gauguin, Pissarro, Monet, Cézanne. Cette première collection devient rapidement une référence et  est exposée chez lui  au palais Trubetzkoy.
L’année 1905 marque la première révolution russe suite à la guerre russo-japonaise mais également le début d’une succession de drames qui vont toucher Sergueï. Il perd son fils puis sa femme, ce qui le pousse à partir en retraite au monastère Sainte Catherine du Sinaï.

Il commence à cette époque, suite à sa rencontre avec Léo et Gertrude Stein à s’intéresser à Matisse et Picasso pour qui il se prend d’une véritable passion. Passion ambiguë, mêlée de fascination et de rebut. Ainsi avant d’acheter des œuvres à Matisse il lui écrit   « je vais l’accrocher quelques mois et je vous dirai si je m’habitue à elle, alors je confirmerai mon achat ».

D’abord vue d’un mauvais œil en Russie, sa collection finit par s’imposer dans le milieu artistique et dès 1908 il ouvre son palais au public le dimanche et devant le succès, il doit vite passer à trois jours.

La guerre et surtout la révolution de 1917 le pousse à se séparer de sa collection et en 1918 un décret du Conseil des commissaires du peuple, signé Lénine, proclame   «La galerie d’art de Sergueï Ivanovitch Chtchoukine, propriété publique de la République socialiste fédérative de Russie considérant que par sa très grande valeur artistique elle présente en matière d’éducation populaire un intérêt national»

En 1923 la collection Chtchoukine fusionne avec la collection Morozov pour devenir le Musée d’Etat d’art occidental moderne (GNMZI). En 1933 les collections commencent à être éparpillées par des politiques d’échanges avec l’Ermitage et le musée des Beaux-arts Pouchkine, d’autres œuvres furent vendues à l’étranger. Et finalement en en 1948, un décret de Staline proclamait la dissolution du GMNZI et l’éclatement définitif des collections. De son côté Sergueï Chtoukine avait fui la Russie, s’exilant d’abord en Allemagne pui s’installant à Paris où il meurt en 1936.

L’exposition de la fondation Vuitton est exceptionnelle. C’est la première fois qu’elle est à nouveau présentée comme une entité artistique en soit avec sur les murs des photos du palais Trubetzkoy qui rappellent l’accrochage original comme sa salle Gauguin ou encore sa cellule Picasso.

 

130 œuvres sont exposées représentant les mouvements fauves, cubistes, impressionnistes, décoratifs, réalistes et j’en oublie sûrement. Sachez-le, nombreux sont les journalistes à la présenter comme l’exposition de l’année !

Je vais vous donner un petit conseil si vous souhaitez y aller : surtout réservez ! Car même avec vos billets en poche l’attente est longue mais sans, c’est le double.

 

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Jusqu’au 20 février, Fondation Louis Vuitton
http://www.fondationlouisvuitton.fr/expositions/icones-de-l-art-moderne-la-collection-chtchoukine.html

La collection Chtchoukine

 

 

Picasso.Mania. L’expo qui fait parler

affiche_picasso_page_expo_0Art Contemporain toujours, le Grand Palais séduit les foules en ce moment avec Picasso Mania. Quelques années après Picasso et ses maîtres, voici Picasso et ses suiveurs. L’exposition est non pas consacrée à Picasso en personne comme on pourrait le penser mais plutôt à son influence sur l’art du XXème et XIXème siècle et sa présence non négligeable  dans la culture contemporaine. Ainsi autour d’une centaine de ces œuvres, gravitent encore plus d’œuvres d’une variété stylistique très nette.

Intéressant, coloré et pas du tout ennuyeux.

Je ne vais pas vous résumer l’exposition, car elle est tellement variée et un peu folle que ce serait très difficile, mais une chose est sûre, même si vous n’êtes pas particulièrement amateur d’art contemporain, vous devriez quand même trouver des œuvres qui vous parlent.

9843493_origL’art du monde entier est représenté comme preuve de l’’universalité de la figure de Pablo Picasso. L’artiste espagnol a de son vivant transcendé le temps et l’espace pour devenir une icône de ce que doit être un artiste dans notre monde actuel, jusqu’à être une marque en soi et pas seulement une à travers une série de voiture.
Dès les années 60, les artistes du pop art s’emparent de son œuvre, puis en 1971 pour les 90 ans du peintre, le critique autrichien Wieland Schmied commande un portfolio réalisé par 150 artistes pour lui rendre hommage. Depuis on ne compte plus les références riches et diverses : Le cubisme réalisé avec un polaroïd de David Hockney, les Demoiselles d’Avignon vue par Jeff Koons, Sigmar Polke ou Richard Prince, Guernica revisité de manière époustouflante et dérangeante par Adel Abdessemed, les silhouettes de l’œuvre de Picasso qui errent dans les Quatre saisons de Jasper Johns ou la décomposition un peu étrange des corps de George Condo etc.

WP_20151030_002J’ai lu beaucoup de critiques négatives sur l’exposition (Libération, Télérama, Economie Matin, Marianne) qui lui reprochent grosso-modo de s’intéresser surtout à la marque Picasso et à le transformer en objet de consommation (l’affiche où il est torse-nu m’a fait tiquer genre pub pour parfum), d’avoir un parcours sans queue ni tête ou encore de ne pas faire références aux plus grands suiveurs de Picasso qui sont Bacon, De Kooning ou Pollock.

C’est sans doute vrai, mais je confesse une trop faible connaissance dans l’art du XXème siècle pour pouvoir avoir un avis éclairé. Oui parce que je ne suis pas de ceux qui donnent leurs avis sur tout et n’importe quoi et surtout ce qu’ils ne connaissent pas vraiment. Donc je vous dirais juste que oui c’est un peu fouillis dans la succession des thèmes mais j’ai surtout ressenti l’ensemble comme une exposition résolument ancrée dans une pop culture très colorée. Les visiteurs avec leurs Google glasses donnaient d’ailleurs à tout cela un côté un peu rdv de geeks branchouilles mais c’était sympa. Je ne me suis pas ennuyé et j’ai tout compris aux propos donnés, ce qui est déjà bien.

En résumé si vous voulez une exposition pointue consacrée à Picasso et ses suiveurs, passez votre chemin mais si vous avez une dizaine d’euros dans votre poche et que vous voulez voir de l’art contemporain avec un propos sympa autour d’une icône de l’art alors c’est pour vous.

 © Rmn-Grand Palais Photo Didier Plowy /Paris 2015 /ADAGP

© Rmn-Grand Palais Photo Didier Plowy /Paris 2015 /ADAGP

07 Octobre 2015 – 29 Février 2016

Grand Palais, Galeries nationales

Commissaire général : Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’Art moderne – Centre Pompidou
Commissaires : Diana Widmaier-Picasso, historienne de l’art ; Emilie Bouvard, conservatrice au Musée national Picasso-Paris
Scénographie : agence bGc Studio

Matisse, Cézanne, Picasso, L’aventure des Stein.

RMN Grand Palais du 5/10/11 au 16/01/12. San Francisco Museum of Modern Art, et du 1er février au 3 juin 2012 au Metropolitan Museum of Art de New York.
Commissaire : Cécile Debray, conservatrice au musée National d’Art Moderne du centre Pompidou.

Matisse, Cézanne, Picasso, L’aventure des Stein.

C’est une grande et ambitieuse exposition que proposent conjointement la RMN, le San Francisco Museum of Modern Art et le Metropolitan Museum of Art de New York. Plus de deux cent œuvres qui relatent un moment clef de l’histoire de l’art moderne, le début du XXème avec l’éclosion de Picasso, Cézanne et Matisse, du fauvisme et du cubisme. Mais peut-être avant tout, c’est l’histoire d’une fratrie qui nous est racontée, l’histoire d’un goût, de plusieurs goûts même et ses évolutions, l’histoire d’une grande collection en résumé!

de gauche à droite Léo, Gertrude, Allan, Theresa Ehrman, Sarah et Michael Stein

Les Stein, sont d’origine américaine, issus de la bourgeoisie juive. C’est une famille nombreuse, dont seuls 4 nous intéressent : Michael l’aîné et son épouse Sarah, Léon et la cadette Gertrude. Ils se sont installés à Paris dans les premières années du XXème et leurs goûts conjugués ont constitué une magnifique collection que l’exposition tente de reconstituer pour notre plus grand plaisir.
Ils sont notamment les premiers acheteurs de Picasso et Matisse. De plus, ils ne sont pas de simples collectionneurs passifs qui accumulent pour accumuler. Ils sont portés par de véritables élans presque sentimentaux non dénués de raisonnements. Léo est une encyclopédie vivante, son savoir en histoire de l’art est grand et ses achats le prouvent, comme cet ensemble de nus allongés (le Grand nu allongé au coussin jaune de Félix Vallotton, le Nu bleu : souvenir de Biskra, de Matisse ou La sieste de Bonnard) qui rappelle une œuvre chère à Léo : la Vénus d’Urbino dont il possède une photographie.

Les Stein sont aussi des médiateurs qui invitent chez eux tous les samedis à 18 h rue de Madame chez Michael et Sarah et à 21h, rue de Fleurus chez Gertrude et Stein, tous ceux qui veulent voir cette collection, discuter, rencontrer. C’est lors de ces rendez-vous du samedi que Picasso va rencontrer Matisse, faisant naître une émulation entre les deux artistes. On peut aussi y croiser Man Ray, Picabia, Apollinaire, Marcel Duchamp, Marie Laurencin et tant d’autres.

nu bleu: souvenir de Biskra. H. Matisse

La scénographie est bien organisée. La commissaire de l’exposition a choisi de diviser le tout en trois chapitres, liés aux différents membres de la fratrie : Léo ; Michael et Sarah puis Gertrude.
Non seulement ce choix offre une vision claire et chronologique avec la présentation des membres du clan Stein et à travers les petites « boites », des points plus précis sont mentionnés, comme des instants de vie de l’époque, avec des photos de leurs intérieurs, de la famille, des catalogues de salons, leurs écrits etc.
Mais surtout on visualise d’autant mieux leurs goûts respectifs qui s’affichent sur ces grands murs blancs. Par exemple, même sans lire les panneaux, en ressortant on comprend tout de suite que Léo bien qu’admirateur de l’art très contemporain se tourne vers un « classicisme moderne », avec des tableaux de Renoir ou Cézanne; Michael et Sarah sont définitivement pro Matisse et Gertrude est plus poussée encore vers le modernisme en constante évolution, notamment par son soutien au début du cubisme.

Mais revenons jeter un œil sur ces Stein en suivant les chapitres de l’expo.
Léo, le premier, arrive à Paris en 1903 où il s’installe rue Fleurus, après un long voyage autour du monde, notamment en Italie où aux côtés de l’historien d’art Bernard Berenson, il forme son regard artistique et découvre la Renaissance italienne. Il rêve d’être artiste, il va les collectionner. Il achète sa première œuvre la même année chez Ambroise Vollard, un Cézanne, La conduite sur l’eau, dont il admire à la fois la forme et la couleur. Il rencontre également Picasso, intéressé par ses périodes bleu et rose. Mais ses plus beaux achats, les plus audacieux certainement, se déroulent en 1905, 1906 et 1907. En 1905 c’est le fameux Salon

femme au chapeau, © Succession H. Matisse. Photo Moma, San Francisco, 2011

d’automne, celui qui voit naître le fauvisme, « la cage aux fauves » et là il achète pour 500 Frs, le tableau qui attise toutes les remarques par ses libertés de composition et de création folle encore surprenantes de nos jours, la femme au chapeau  de Matisse. Au passage c’est la première fois que le musée de San Francisco accepte que son chef-d’œuvre se déplace, ce qui rend sa présence exceptionnelle. En 1906 il achète le Bonheur de Vivre, autre chef-d’œuvre de Matisse qui n’est pas présent ici, seuls des esquisses préparatoires l’évoquent et enfin en 1907, le nu bleu, souvenir de Biskra qui choqua la Société des Artistes Indépendants.
Par la suite, il va redevenir un peu plus « classique », à travers son amour de Renoir. Quand il se sépare de sa sœur en 1913, il emporte avec lui à Florence 16 Renoir, 2 Cézanne mais aussi le Bonheur de Vivre et le Nu Bleu. Il finit ses jours à Florence, où il meurt en 1947.

Portrait de Sarah Stein, Matisse, 1916

Michael est l’ainé de la famille. C’est aussi lui le garant de la bourse fraternelle. Il a hérité de l’entreprise familiale de Tramway et l’a fait fructifier à San Francisco, mais en 1904 il quitte les Etats-Unis avec sa femme Sarah et son fils Allan pour s’installer près de Léo et Gertrude, rue Madame. Ils emmènent avec eux leur mobilier de San Francisco qui témoigne d’un goût pour le moins éclectique : des collections japonaises et chinoises, des meubles néo-renaissances, un tapis persan etc.
Ce qui caractérise ce côté de la famille, c’est avant tout la grande et profonde amitié qui va se lier entre Sarah Stein et Matisse, un lien qui reste solide après leur retour aux Etats-Unis en 1935 et jusqu’à la mort de Sarah

femme au kimono, MAtisse, 1906© Succession H. Matisse. Photo The Courtauld Gallery, London, 2011

en 1953. Sarah admire Matisse jusqu’à l’obsession, elle achète à tout va, et rachète également à sa belle-sœur la femme au chapeau. Elle pousse même l’artiste à créer son Académie, pour qu’il mêle dans ses enseignements sa théorie à la pratique. Elle est elle-même une élève assidue et grâce à ses notes, nous avons une idée de cet enseignement qui repose beaucoup sur des principes classiques, comme l’étude du nu.
En 1928, ils quittent Paris, ils s’installent à Garches et se font construire une villa par Le Corbusier. Toujours cette quête de la modernité. Mais le fascisme montant en Europe, ils décident de rentrer aux Etats-Unis en 1935.

portrait de G. Stein, Picasso, 1906© Succession Picasso 2011

Enfin, Gertrude Stein, la personnalité la plus connue de la fratrie. Elle rejoint son frère avec qui elle entretient une relation fusionnelle en 1903. Elle le suit dans ses choix, et l’écoute. Par son entremise, elle rencontre Picasso qui va devenir un grand ami. Ce dernier fait un portrait d’elle en 1906, un portrait prophétique dont Picasso dit « vous verrez, elle finira par lui ressembler ». Peu à peu, ses choix vont l’éloigner de son frère. Elle croit dans le cubisme contrairement à ce dernier et accompagne Picasso dans l’évolution de son art. Des différents artistiques mais surtout personnels la froissent avec Léo qui la quitte en 1913. Désormais, elle vit avec la femme de sa vie, Alice B. Toklas, dont elle écrit l’ « autobiographie ». Car Gertrude n’est pas qu’une collectionneuse, amie de nombreux artistes qui la portraiturent, faisant d’elle une légende (Picasso, Picabia, Man Ray, Davidson), elle est surtout écrivain. Et dans son art à elle, elle est aussi  innovante, certains parlent d’écriture cubique, notamment dans ce qu’elle considère être sa plus grande œuvre, le roman de 1000 pages Making of Americans. La côte des artistes comme Picasso et Matisse ayant explosé, elle apporte son soutien désormais aux post-cubistes (Braque) et aux néo-humanistes (Pavel Tchelitchew, Eugène Berman). Elle s’enthousiasme également pour Francis Picabia et son rapport à la photographie. Gertrude est une grande dame de l’art qui a su s’imposer par son goût talentueux. Elle est une figure majeure qui avec ses frères a su soutenir la production artistique vers toujours plus de modernité et de réflexions sur la forme.

Man Ray, Gertrude dans l'atelier de Davidson

C’est donc  une exposition très intéressante. Bien plus qu’une simple rétrospective de peintures. Je me répète surement, mais c’est ici une vision qui est exposée, la vision des Stein et leurs goûts cumulés qui ont donnés jour à l’une des plus grandes aventures artistiques du début du XXème siècle.

Bien sûre pour les claustrophobes, à éviter. Inutile de préciser qu’une exposition qui met « Picasso » dans son titre est sûre d’attirer les foules et la folie des audio-guides a de quoi rendre fou le plus calme des individus qui lui n’en a pas. Cet amas de gens agglutinés devant un tableau en train d’écouter religieusement la voix préformatée de l’engin. Que c’est impersonnel parfois. Et que c’est compliqué de devoir slalomer entre eux pour s’approcher. Mais bon, au moins on se cultive en développant son agilité et quand l’expo vaut le coup, on pardonne.

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Liens

http://www.rmn.fr/presentation-de-l-exposition-2507 http://www.journaldespeintres.fr/article.php3?id_article=304
YOUSSI Y., « Le ravissement des Stein », Télérama, N° 3221, 5 octobre 2011.