Rembrandt en toute intimité

crlr0xrwcae4pfcC’est l’une des plus jolies et plus attendues expositions de la rentrée que je suis allée voir pour vous, celle consacrée à l’une des plus grandes stars de l’Histoire de l’art : Rembrandt intime au musée Jacquemart-André.

Comme toujours le musée part de ses propres collections pour bâtir autour de ses œuvres un discours. Ici ce sont trois toiles du maître qui ont inspiré le propos et qui racontent le maître.Le Repas des pèlerins d’Emmaüs (1629), le Portrait de la princesse Amalia van Solms (1632), et le Portrait du Docteur Arnold Tholinx (1656) illustrent trois périodes de la vie de Rembrandt ainsi que l’évolution de son style.

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La première oeuvre, Les pèlerins, est peinte en 1629, il a 23 ans mais est déjà un artiste accompli de Leyde qui maîtrise son art et témoigne de utilisation du clair-obscur, dans la lignée caravagesque mais complètement réinterpréter à la sauce hollandaise. La lumière et l’obscurité servent à rendre l’intensité narrative et dramatique et attirent le regard sur la sainteté des personnages. 9-paris-musee-jacquemart-andre-institut-de-france-studio-sebert-photographes
Pour le portrait de la princesse, Rembrandt vient de s’installer à Amsterdam et il devient un peintre célèbre avec des commandes qui affluent. Amalia van Solms, est l’épouse du stathouder de Hollande, l’un des personnages les plus importants du pays et son portrait témoigne du fait que le peintre travaille désormais pour les plus grands. Il réalise aussi bien des portraits officiels, des portraits de commande, des portraits intimes et des portraits imaginaires avec à chaque fois des codes propres, tantôt austère, tantôt plus psychologique ou tantôt dans la magnificence la plus totale.

Mais son modèle le plus fidèle, en dehors de sa famille et notamment son épouse Saskia van Uylenburgh, c’est lui-même tout au long de son existence. Un peu comme un journal intime, on le voit vieillir certes mais surtout il se sert de sa figure comme une base de travail sur la représentation psychologique de ses modèles à laquelle il tenait tant.

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Dans les années 1650-1660, sa renommée porte désormais jusqu’en Italie pourtant les épreuves s’accumulent. Il a déjà perdu sa femme en 1642, puis sa nouvelle compagne Hendrickje Stoffels et son fils Titus ; il doit également vendre sa maison et ses collections pour échapper à la faillite. Son style évolue, il devient plus libre, plus vibrant, presque palpable et le Portrait du docteur Arnold Tholinx correspond à cette évolution..

En dehors de ces trois œuvres vous pourrez apprécier des gravures, des dessins, et d’autres peintures.

Je radote mais j’aime  beaucoup les expositions du musée Jacquemart-André. Elles réunissent à mon goût deux qualités essentielles : elles onts des sujets de choix et ne m’assomment pas, elles sont claires si vous préférez. Encore une fois, le musée est donc fidèle à sa réputation et ce à pourquoi je l’aime. Cette exposition est un petit bijoux avec des œuvres rares et merveilleuses autour d’un artiste aussi célèbre que mystérieux. Vraiment, un délice !


Exposition au musée Jacquemart André jusqu’au 23 janvier 2017

Commissariat

Emmanuel Starcky, Directeur des Domaines et Musées nationaux de Compiègne et de Blérancourt.
Peter Schatborn, Conservateur en chef émérite du Cabinet national des estampes au Rijksmuseum d’Amsterdam.
Pierre Curie, Conservateur du Musée Jacquemart-André.

La chandeleur..ou la présentation au temple

C’est la journée des crêpes. A moi le sucre, le chocolat et les fines crêpes dans mon estomac. Miam.Mais bon, je ne suis pas là pour vous faire part de mon extrême gourmandise mais  pour gratter derrière la façade en sucre et redécouvrir quelle est l’origine de cette fête qui a donné lieu à de nombreuses œuvres.

Si vous regardez votre calendrier, vous constaterez que le 02 février c’est « la présentation ». La présentation de qui ? De quoi ? Et bien du petit Jésus pardi. Toujours lui ! Il est né, les bergers et les mages sont venus le voir et désormais on l’amène au Temple, 40 jours exactement après la nativité.

La présentation au temple XV c., Novgorod Museum

Comme la plupart des scènes de l’Enfance du Christ, il faut se référer à l’évangile de Luc, II, 22-39. Cette fête renvoie à deux traditions juives intimement liées :

-le rachat de l’enfant premier né, consacré à Dieu, par un sacrifice animal, un mois après sa naissance.

-le rite de purification mariale, par le sacrifice de colombes. C’est l’une des plus anciennes fêtes mariales, célébrée comme telle depuis le VIIIème siècle. La femme est considérée comme impure après un accouchement et ne peut entrer au temple que 40jours après, par un sacrifice souvent de colombes (Lévitique).

Si la fête de la présentation, s’appelle aussi la chandeleur, c’est tout simplement qu’à Rome, au VIIème siècle, on faisait des processions de pénitence, pour commémorer le voyage de la sainte famille vers Jérusalem, le tout à la lueur des cierges, la festa candelarum.

Lors de cette visite, Joseph et Marie rencontrent un vieil homme qui vit dans le temple, Siméon, un ancien grand prêtre selon les exégètes,  ayant été  averti qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le christ. Ce dernier annonce également la souffrance prochaine de Marie et chante le Nunc Nimittis (prière reprise dans la liturgie chrétienne). Suite à cela, ils font la connaissance d’une très vieille femme,  la prophétesse, Anne, fille de Phanuel, veuve de 84ans, elle aussi dans l’attente du salut.

Ces deux rencontres ont inspiré les artistes comme nous allons le voir à travers quelques exemples et sont souvent associées aux autres scènes de l’enfance et de la nativité, formant souvent des polyptiques.

Généralement, « la présentation » est un prétexte à montrer une riche architecture. La représentation du temple va ainsi évoluer avec le temps, passant d’une simple coupole sur colonnettes, aux premières ébauches de perspectives et enfin des compositions très complexes.

Ambrogio Lorenzetti, 1342, Offices / Bartolo di Fredi 1388, Louvre

La présentation au temple de Lorenzetti (galerie des Offices) et celle Bartolo di Fredi (musée du Louvre), toutes deux du XIVème siècle sont très proches, bien que celle de Lorenzetti soit plus fouillée et détaillée, notamment dans la composition architecturale qui n’est pas sans rappeler l’architecture de la cathédrale de Sienne, pour laquelle elle a été peinte en 1342. Elle en décorait la chapelle Saint-Crescent. Celle de Bartoli di Fredi a été peinte en 1388 pour l’église Sant’Agostino de San Gimignano.  L’influence byzantine est indéniable dans ces deux œuvres typiques de l’école de Sienne, par la représentation des figures, le choix des couleurs, du fond doré et aussi dans l’iconographie. Les étoiles que l’on aperçoit sur l’étole de la Vierge chez Fredi, en sont un exemple. Elles symbolisent la virginité perpétuelle.
Marie et Joseph sont à gauche de la scène, Marie a déjà confié l’enfant à Siméon. C’est la préfiguration de la séparation annoncée entre la mère et le fils particulièrement frappant chez  Fredi, par ce jeu de regard entre la Vierge et l’enfant, comme si la séparation était déjà douloureuse. Sur la droite de la scène on trouve Siméon et Anne. Cette dernière tenant comme souvent un phylactère où sont inscrits les versets de l’évangile de Luc la concernant.  Sur la peinture de Bartolo di Fredi on voit le prêtre derrière écrire dans un registre. Il y inscrit le nom de Jésus, car la présentation au temple est également le moment de reconnaître officiellement le prénom de l’enfant.

Fabriano Gentille, 1423, Louvre

Allons voir ce qui se passe à Florence. On retrouve chez Fabriano Gentile (musée du Louvre), en 1423, une iconographie très proche, mais cette fois ci, la recherche sur la perspective est évidente et la scène ne se développe plus en hauteur, mais en largeur. Le peintre, représentant du gothique international, a composé ce premier exemple de peinture en perspective pour la prédelle de la chapelle de la famille Strozzi, dans l’église Santa Trinita de Florence.

Perugin, retable de Fano, 1497, Chiesa di Santa Maria Nuova / Raphael, 1502-04, Pinacothèque du Vatican

La composition horizontale se retrouve chez le grand peintre florentin, Raphael (pinacothèque du Vatican). Ce dernier en 1502-04, répondant à une commande de Maddalena degli Oddi, a également peint une présentation au temple, pour le retable Oddi, du couronnement de la Vierge, de la chapelle Oddi de San Francesco al Prato de Pérouse.  La présentation, fait partie, d’une prédelle sur l’enfance du christ, d’où le format. Il s’agit ici d’une œuvre de jeunesse fortement influencée par le retable de Fano de Pérugin (1497, conservé dans la Chiesa di Santa Maria Nuova, à Fano). La composition est clairement divisée en trois parties, structurées par une architecture renaissance avec au centre, de part et d’autre d’un riche autel, la vierge confiant l’enfant au prêtre. Dans les deux cas, les peintres se sont limités à ne représenter que la présentation de l’enfant par ses parents. Il n’y a nulle présence de Siméon ou  d’Anne.

Après Sienne et Florence, je vous propose à nouveau la confrontation de deux œuvres, encore très proches, mais nous sommes cette fois à Venise et la représentation  évolue très nettement.

Mantegna, 1460, Staatliche Museen de Berlin / Bellini, 1460, Fondazione Querini Stampalia

Les présentations au Temple de Mantegna (Staatliche Museen de Berlin) et de Giovanni Bellini (Fondazione Querini Stampalia de Venise) datent toutes deux de 1460 mais c’est Bellini qui s’est inspiré de Mantegna, son beau-frère. Ici pas d’architecture, mais une scène centrée sur les personnages, posés en buste  se découpant sur un fond noir. Ce fond, ôte toute perspective, d’autant plus que Mantegna a peint les auréoles bien rondes, enlevant  toute profondeur, dans la tradition byzantine. Les deux peintres ont également encadré leur peinture d’un cadre en trompe l’œil de marbre mais celui-ci ne délimite pas pour autant l’œuvre. En effet,  la Vierge s’appuie dessus pour porter l’enfant droit et son bras semble ainsi sortir du cadre, seul effet de profondeur. Marie sur la droite, porte l’enfant tout emmailloté et le présente à Siméon, richement vêtu, surtout chez Mantegna, et cela devant le regard sévère et frontal de Joseph, qui bien que représenté au centre, semble éloigné de la scène. Sa présence, de face, alors que tous les personnages autour de lui, tournent la tête dans un sens ou dans l’autre est frappante et attire le regard. La particularité de ces deux œuvres, en dehors de l’innovation picturale, du rendu des individus et de la force du coloris, j’entends, c’est aussi que les personnages représentés sont des portraits de la famille Bellini, grande famille d’artiste s’il en est. Joseph a notamment les traits du patriarche, Jacopo Bellini. Les deux personnages du second plan chez Mantegna sont l’artiste lui-même et son épouse Nicolosia Bellini. Giovanni, lui, en a rajouté deux autres, lui-même et sa mère Anna.

Rembrandt, 1631, Mauritshuis

Pour les œuvres suivantes, je vous propose de quitter l’Italie et de remonter vers la Hollande, chez Rembrandt qui a peint plusieurs présentations au temple,  dont une, très sombre de 1631 (Mauritshuis, La Hague) dont le jeu de clair-obscur absolument admirable donne à la scène une aura de mystère. Cette même impression de mystère se retrouve également dans cette eau forte de 1654 (BNF) ou la lumière des personnages rompt avec les ténèbres du Temple.
Mais pour ce qui est de l’œuvre de Rembrandt, je préfère m’attarder sur deux tableaux dont le thème rappelle la Présentation, mais qui sont traités comme des portraits, ce qui n’est pas si commun : la prophétesse  Anne lisant la Bible de 1631 (Rijksmuseum, Amsterdam) et le Siméon et l’enfant Jésusde 1666-69 (Nationalmuseum, Stockholm).

Rembrandt, Anne la prophétesse, 1361, Rijksmuseum / Siméon et l'enfant Jésus, Nationalmuseum 1666-69,

La prophétesse a les traits d’un être proche de l’artiste, sa propre mère. Ici, pas de beauté idéalisée, la femme est représentée dans toute sa vieillesse, se courbant sous le poids de l’âge et le visage marqué par les années. Elle fait ses 84ans, ce qui jusqu’à présent n’était pas vraiment le cas. Elle est posée sur un siège de bois et étudie attentivement les saintes écritures, symbole de son attente. La lumière vient de derrière elle et éclaire le livre ainsi que sa main, dont le traitement est, il faut l’avouer remarquable, car cette main, rappelle aussi l’âge de la femme.
Le Siméon, lui est la dernière œuvre de  l’artiste, d’où son côté inachevé. Les personnages sortent à nouveau de l’ombre et la vieillesse est encore traitée sans artifice.

Rubens, 1614, cathédrale d'Anvers
S. Vouet, vers 1640, Louvre

Avant de finir, deux petits aperçus de deux œuvres superbes : la présentation au temple de Rubens d’abord, œuvre de jeunesse de 1614 pour un triptyque de la cathédrale d’Anvers. Ici l’architecture reprend toute sa place et le temple devient un lieu majestueux, tout en marbre polychrome, chapiteaux corinthien et voutes à caissons.
Question architecture grandiose, l’œuvre de Vouet (1640-41, musée du Louvre), tient aussi la part belle. Donné par le cardinal de Richelieu à l’église de la Maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine à Paris, ce tableau est un manifeste du talent du peintre influencé par l’Italie. La composition en pyramide joue sur les marches du temple, pour échelonner les niveaux et l’importance des personnages. Le mouvement est partout, jusque dans l’architecture hémisphérique du temple. Les anges en haut apportent également une dynamique verticale et portent dans leurs mains, le nunc dimittis.

Voilà, j’aurai pu également parler de Giotto, Boullogne, Rigaud, J-F de Troyou tant d’autres mais je vais m’arrêter là, en espérant que ma sélection vous a tout de même bien plu.

Giotto, 1303-06, Eglise de l'Arena à Padoue

Bonne chandeleur, et à nous les crêpes bien chaudes et fumantes pour se réchauffer.