saint Hubert

Dessin d'un vitrail. Senlis, musée de la vénerie

Travaillant dans un musée de chasse, je suis presque obligée de parler de saint Hubert, saint patron des chasseurs, car non ce n’est pas seulement une marque de beurre. Avec  1 300 000 chasseurs en France, forcément ce saint à quelques adeptes chez nous et les messes de saint Hubert attirent du monde.

Comme beaucoup de saints, si n’est tous, il faut savoir que la légende a largement pris le pas sur l’histoire. De fait, tout est sujet à discussion et pour presque chaque date que je citerai, vous en trouverez surement une autre.

Commençons par le début : sa vie ! Dans les plus anciens textes, notamment  la Vita sancti Huberti Prima qui remonte au milieu du VIII° siècle, , on ne sait rien ni de sa patrie, ni de sa naissance et sa jeunesse.  En résumé, Hubert a vécu entre le VII° et le VIII° siècle, il est connu pour être le disciple de saint Lambert, à qui il succède au siège épiscopal de Tongres-Maastricht. L’acte le plus important de son existence est en 718, la translation des reliques de saint Lambert de Maastricht à Liège, lieu de son martyr. De petite bourgade, la ville va devenir le siège de l’évêché  et peu à peu prendre de l’importance, une partie des mérovingiens et carolingiens sont en effet originaire du bassin liégeois.

Mais revenons à notre Hubert, qui devient donc un évêque méritant qui passe son temps à évangéliser les Ardennes, la Toxandrie et le Brabant. Il meurt en 727,  selon les uns de maladie à Liège, selon d’autres à Tervueren ou encore d’accident de pêche (si ça existe, la preuve !).

râpe à tabac en buis, XVIII° siècle, Musée de la Venerie, Senlis.

Le 3 novembre 743, son fils (ou filleul, les traductions latines sont incertaines) et successeur, Floribert fait élever ses reliques en présence du Maire du Palais Carloman, lors de cette cérémonie, on ouvre son tombeau et le corps était parait-il en excellent état. C’est cette même année qu’il est canonisé.

Rogier van der Weyden, The Exhumation of Saint Hubert, National Gallery

Cette première biographie est donc très modeste, rien d’extraordinaire et de vraiment miraculeux là-dedans.  Au IX° siècle, les choses changent. En 825, On décide de la translation de ses reliques vers l’abbaye d’Ambra (ou Andage), fondée au VII° par le Maire du Palais, Pépin II d’ Héristal. A partir de là, les miracles apparaissent, et ce qui devient l’abbaye de Saint-Hubert gagne en envergure. Elle devient un lieu de pèlerinage important, un centre culturel foisonnant, et est très prospère.

Les pèlerinages qui attirent tant de monde, ont une vertu essentielle : se faire guérir de la rage ou s’en préserver. Car il se raconte, que saint Hubert lui-même avait le pouvoir de soigner cette maladie. Il est un saint thaumaturge.

Vision de saint Hubert, pierre polychrome, XVIème, musée de la vénerie, Senlis

Je vous ai dit que les choses changent à partir du IX°, concrètement, la vie d’Hubert se voit agrémentée de plein de petits détails, dont le nombre ne cessera d’augmenter au fil des siècles, mais j’y reviendrai. L’un de ces changements est l’apparition d’un ange. Ce dernier est venu voir Hubert après la mort de saint Lambert pour lui confier le siège épiscopal et devant son humble refus, il lui donne une étole tissée par la Vierge Marie. C’est avec cette étole, un bandeau de soie et d’or, d’1m de long sur 4.5cm de large et qui existe toujours soit dit en passant, que les moines soignent les malades. C’est ce qu’on appelle la taille. On fait une incision sur le front et on y glisse un fil de l’étole, le tout est recouvert pendant 9jours d’un bandeau noir et le malade doit respecter un certains nombres de règles pendant ce temps pour guérir.

Sur cette pierre polychrome, on voit l’ange apporté l’étole en question.

Voilà donc, la première raison de la célébrité de saint Hubert. Il guérit d’une maladie atroce et mortelle. Et ce rôle de guérisseur reste prépondérant jusqu’au XVIII° siècle. Après, le côté patron des chasseurs l’emportent et quand Pasteur invente le vaccin en 1885, il relègue définitivement son aspect thaumaturge aux oubliettes.

Mais la chasse ? Je vous ai dit qu’il était le saint patron des chasseurs, mais jusqu’à présent pas de scène de chasse. Pas d’apparition divine. Du moins pas encore.

De nos jours, saint Hubert est surtout connu pour cela à travers une légende fort représentée et que tous les chasseurs connaissent : la vision du cerf crucifère.

Bruegel l'ancien, Vision de saint Hubert, Prado, Madrid

Il se raconte, que saint Hubert qui n’était pas encore homme de foi, chassait le cerf dans la forêt des Ardennes un jour de Pâques, de Noël, un vendredi saint ou simplement un dimanche (les versions diffèrent légèrement), pendant que les braves gens priaient. Mais au moment où l’animal était sur le point d’être abattu, il se retourna fièrement, et un Christ en croix apparu entre ses bois pour s’adresser au chasseur par ces mots :  « Hubert, Hubert, jusqu’à quand ta passion dévorante te détournera-t-elle de tes nobles devoirs ? Va trouver Lambert à Maastricht, il te dira quoi faire ? ». A ces mots, Hubert tomba à genoux, se prosterna et abandonna la chasse pour devenir homme de Dieu.

Belle histoire, très populaire aussi. Le nombre d’artistes l’ayant représentée est important, sans parler des images d’Epinal et de tous ces petits objets ou cette vision apparait. Il est très facile d’ailleurs de voir pourquoi les artistes se sont plus à la représenter encore et encore. Pour beaucoup d’entre nous, la chasse est une activité lointaine et obscure, mais pendant des siècles, elle a fait partie de la vie quotidienne. C’est une activité sportive, une passion mais aussi un devoir, un prince s’entraine à devenir un militaire par ce biais. Rien d’étonnant alors que tous ses seigneurs se mettent sous la protection de saint Hubert en commandant des œuvres. De plus, pour un artiste, le thème est idéal. Le peintre montre son habilité à représenter un paysage luxuriant, la scène se passant en forêt, c’est sans doute pour ça que les peintres flamands et allemands spécialistes du genre, ont particulièrement excellé dans le genre. En même temps, on reste dans la peinture religieuse, le genre noble par excellence.

Pourtant il y a un petit problème. Cette jolie légende, elle n’est nulle part, du moins pas avant le XV° siècle, ni dans les textes, ni dans les représentations artistiques. Mais alors que s’est-il passé ?

Eh bien, tout simplement, une petite confusion :

Dürer, Vision de saint Eustache, Musée de la vénerie, Senlis

L’apparition d’un cerf crucifère ne sort pas de nulle part. En dehors du fait, que le cerf est apparu à de très nombreux saints, car il est un fort symbole christique, dans la Legenda Aurea de Jacques de Voragine (1228-1298), c’est saint Eustache qui a cette apparition. Il semblerait qu’Hubert et Eustache aient été confondus car célébrés le même jour : le 03 novembre et qu’à partir de cette confusion, la légende de l’apparition soit passée vers saint Hubert.

Ce dernier va être de fait, de plus en plus représenté et sa vie à nouveau s’embellir. Dans ces nouveaux écrits, saint Hubert est né en 665, il  est le fils de Bertrand, duc d’Aquitaine et d’Ugberna. Il est envoyé à la cour de Thierry III, roi des francs et Neustrie, mais il se retire en Austrasie chez le duc Pépin d’Héristal dit le gros, suite à un désaccord avec le Maire du Palais, Ebroïn .

Il épouse, fille de Dagobert, comte de Louvain, qui meurt en couche, lui donnant un fils, Floribert. C’est suite à sa mort qu’il se retire en ermite.

Bague pour prévenir des morsures de bêtes enragées, XVIIIème, Musée de la vénerie, Senlis

Mais si Hubert n’a certainement jamais vu de cerf crucifère, comment s’est-il attiré les faveurs des chasseurs ? Il y a plusieurs pistes.

Déjà en guérissant la rage, il a forcément une grande place dans cet univers, car les chasseurs sont directement exposés, surtout leurs meutes.

De plus, saint Hubert à évangéliser les Ardennes, région où la chasse depuis toujours a  une place importante. Les dieux païens qu’il a remplacés, comme Odin, Arduinne ou Cernunnos sont liés à la chasse. Il est donc probable qu’il est assimilé les cultes offerts à ces divinités.

De plus, dès le XII° siècle, dans les Miraculi Huberti  écrits en 1106 on parle déjà d’offrandes religieuses offertes à l’occasion des débuts de la saison de chasse, en insistant sur le fait que le saint était lui-même amateur de chasse.

La légende du cerf crucifère n’a donc pas créé un saint chasseur, elle n’a fait qu’exacerber cet aspect qui est devenu plus important au fil du temps. Car je vous l’ai dit, ce saint est toujours célébré le 3 Novembre par les messes de saint Hubert organisées les samedis qui précèdent ou qui suivent et qui marquent l’entrée symbolique dans la saison de chasse. Les veneurs y viennent notamment bénir leurs meutes pour les protéger.

Donc voilà, la vie des saints n’est pas toujours aussi facile à déchiffrer qu’on ne le croit et au passage je vous fait profiter de quelques œuvres de mon musée.

Et si ça vous intérresse, je fais une visite spéciale sur ce saint, samedi 05 novembre 2011, au musée de la vénerie de Senlis à 15h, mais il faut téléphoner à l’avance pour être sûre qu’il reste des places (bon normalement il en reste toujours, mais on ne sait jamais).

Référence :

GAIDOZ Henri, La rage et St-Hubert, Paris, Alphonse Picard, Editeur, rue Bonaparte, 1887.

De PREMOREL Adrien, La merveilleuse légende des grands bois d’Ardenne, Liège, Printing Co, 1927

MOUTARD-ULDRY Renée, Saint Hubert patron des chasseurs, Paris, Librairie Henri Lefèbvre, 1942.

Maurice Denis, la légende de saint Hubert, 1896-1897, Musée Départemental Maurice Denis, le prieuré, Le musée de la chasse et de la Nature, Somologie Editions d’art, 1999.

DE VILLEPIN Patrick, L’ordre de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois, Librairie Edition Guénégaud, 1999.

http://www.facebook.com/pages/Mus%C3%A9e-de-la-V%C3%A9nerie/150034471733133

http://trompes.lce.free.fr/st_hubert.php

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_de_Li%C3%A8ge

ftp://ftp2.tresordeliege.be/tresordeliege/bloc-notes/bloc-notes-23.pdf