Ha Cézanne ! Rien que son nom évoque le soleil du midi, les couleurs chaudes de la terre, le bleu de la mer et du ciel et la montagne Sainte Victoire vue sous toutes ses coutures. Pour beaucoup, voilà ce qu’est Cézanne, mais l’exposition du Luxembourg tend à nous montrer à travers 79 œuvres venues parfois de bien loin, que comme tout grand artiste, il ne se limite pas à une seule et unique vision de lui-même. Nous découvrons, ici, un Cézanne parisien, éloigné de sa Provence natale, où il nait et meurt (1839-1906). Car si les spécialistes savent que Paris fait partie de la vie et de l’œuvre du peintre, pour tous les autres, c’est une véritable et instructive découverte.
Car oui, Paris est bien plus qu’une simple étape dans son parcours, elle fait partie de lui.
Cézanne monte pour la première fois à la capitale en 1861, il a 21ans. Il vient pour suivre son ami d’enfance, déjà sur place, qui n’est autre qu’Emile Zola. Les deux artistes se sont rencontrés au collège Bourbon en 1852 et leur relation est évoquée dès le début de l’exposition, avec portraits et évocations de la demeure de l’écrivain. L’écrivain aide le peintre, son œuvre l’inspire également. Mais cette amitié se termine en 1886 suite à publication de L’œuvre, 14ème volume des Rougon-Macquart qui raconte la vie d’un peintre maudit dans lequel s’identifie Cézanne.
A partir de ce premier voyage, on estime que le peintre passe autant de temps à Paris que dans le Sud, à travers de nombreux aller-retour, ce qui rend cette exposition tout à fait légitime pour mieux apprécier une grande partie de son œuvre. En effet, sur près de 1000 œuvres, environ 350 ont été réalisées dans le Nord.
Plusieurs aspects sont ici montrés, à commencer par ce dualisme entre modernité et tradition. Cézanne ne désire pas s’abroger de tout héritage, au contraire, il flâne au Louvre régulièrement qui est pour lui « le livre où nous apprenons à lire ». Il y étudie les anciens maîtres, avec une préférence pour les grands coloristes, comme Delacroix, Rubens. Il étudie aussi la sculpture sous tous ses angles. Armé d’un cahier et de crayons, il griffonne, esquisse, copie, comme le prouve sa version de Bethsabée d’après Rembrandt entrée au Louvre en 1869, véritable réinterprétation, où la ligne s’efface derrière la couleur et d’où émerge déjà son travail sur les volumes.
Cézanne fréquente l’Académie de Charles Suisse, quai des Orfèvres où il rencontre Renoir, Pissarro, Monet, Sisley et Guillaumin. C’est l’apprentissage de la modernité dont Paris est capitale. Mais Cézanne, reste un être à part. Il tente d’intégrer en vain les Beaux-Arts et est refusé aux salons. Il participe certes à la première exposition impressionniste, organisée par Nadar, mais il se détache assez vite de ce mouvement. Finalement sa « gloire » personnelle n’arrive qu’assez tard, par l’exposition en son nom, de 1895, organisée par le marchand Ambroise Vollard, évoqué par des portraits dans la fin du parcours. Cézanne a alors 56ans, et le succès ne le quitte plus.
Mais revenons à ses années parisiennes.
Paris n’est pas évoquée à travers ses grands monuments. Nous ne sommes pas face aux cathédrales de Monet, mais plutôt dans une vision personnelle de la ville, un paysage parmi tant d’autres, une vue des toits par ci, la halle aux vins par-là. L’artiste n’a pas d’attache fixe, il la quitte et la retrouve et on lui connait plus d’une vingtaine d’adresses différentes. La rue de l’Ouest, derrière Montparnasse a été son plus long point d’encrage, entre 1877 et 1882, mais encore, dans différents appartements. Les couleurs n’évoquent pas le soleil et le ciel du midi. Ici, elles sont plus froides, plus grises, plus citadines en quelque sorte. Sauf quand il quitte la ville, pour aller en banlieue retrouver les bords de Marne qu’il affecte tant. On retrouve alors, une panoplie de verts et de bleus porteuse d’une certaine idée de la beauté calme selon Cézanne.
La ville c’est aussi la tentation, tentation des corps, de la femme, de sa représentation nue et brute. Manet en 1863 réalise l’Olympia, Cézanne créé la nouvelle Olympia en 1873/74, peut-être à Auvers-sur-Oise chez son ami, le docteur Gachet. Ce dernier est évoqué dans l’exposition, pour les séjours passés chez lui et les échanges artistiques, notamment par l’apprentissage de la gravure.
La femme est presque dénaturée, pour n’être qu’un objet de désir, rendu par la touche et la couleur. L’éternel féminin de 1877, observé de toute part en est un autre exemple. La femme est exposée, nue, lasse, sans effort de paraître, loin des divines nymphes ou déesses. Elle est juste là, posée sous un dais, et 17 hommes, dont Cézanne (chauve au premier plan), témoignant de la société parisienne la contemplent. Les spécialistes rapprochent cette œuvre de l’Atelier de Courbet. Les hommes sont classés selon leurs rangs, social d’un côté, artistique de l’autre et observent cette éternelle figure féminine.
Le peintre n’est pas resté confiné entre les murs d’une ville grandissante. Comme ses amis, il s’éloigne, du côté d’Auvers-sur-Oise où il reste près d’une année en 1872, à Issy-les-Moulineaux, Pontoise où s’est installé Pissarro, dans la région de Fontainebleau ou encore sur les bords de l’Oise et de la Marne. Il découvre dans ses paysages, la peinture en plein air et le chemin de fer lui facilite ses déplacements. Ses toiles ne sont pas de fraiches touches de couleurs impressionnistes. Il préfère jouer sur les volumes, les décomposer, les reconstruire par la couleur, ce qui annonce en certains points le cubisme à venir.
On découvre ses intérieurs, ces motifs de papier peint récurrents derrière une nature morte où derrière sa femme, Hortense Piquet, qu’il épouse en 1886. Hortense, dit-il, pose comme une pomme. Pour lui, en effet, pas de hiérarchie de genre, la nature morte est un motif comme un autre et l’être humain également. Il s’évertue donc de peindre ces motifs, encore et encore.
En conclusion, une exposition sympathique et claire, bien expliquée, des cartels bien faits dans l’ensemble, même si de plus en plus, le fait de ne pas avoir d’audioguide sur les oreilles, devient très clairement un handicap, ce qui est dommage.
Pas trop longue, non plus, donc pas le temps de s’ennuyer, mais peut-être que ceux qui payent plein tarif seront de fait sur leurs faims. Les expositions du Luxembourg n’étant pas les plus charitables pour nos petites bourses.
Personnellement, j’ai été agréablement surprise. J’y allais un peu à reculons, Cézanne est, il est vrai, un artiste atypique, dont la touche dynamique peut laisser hésitant, mais découvrir une autre facette de lui, est plus qu’instructif. Découvrir Paris, sous les pinceaux de l’artiste considéré comme le plus méridional de tous, laisse justement un joli sentiment au sortir de cette exposition, où on redécouvre l’artiste et notre région tout à la fois.
Commissariat général :
Gilles Chazal, directeur du Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.
Commissariat scientifique :
Maryline Assante di Panzillo, conservateur au département des peintures, Petit Palais, Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.
Denis Coutagne, conservateur en chef honoraire du patrimoine ; Président de la société Paul Cézanne.
Liens :
http://www.presse.rmn.fr/phpmyimages/public/image.php?ev_id=337
http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/
http://www.artactu.com/exposition-cezanne-et-paris-musee-du-luxembourg-article001059.html