Si on s’acoquinait au musée du Luxembourg en compagnie d’un Fragonard amoureux ?

affiche_fragonardAttention les yeux, nous plongeons dans ce XVIIIème siècle coquin et libertin, loin des madones et autres saints. Place aux jeunes filles en fleur et à leurs amants entreprenants. Vous l’avez peut-être compris je vais vous parler de la délicieuse exposition consacrée à Fragonard qui se tient au musée du Luxembourg : Fragonard amoureux galant et libertin. Rien que ça !

Fragonard est l’un des peintres français les plus appréciés grâce à ses fêtes galantes et à ses œuvres mêlant un érotisme léger, des figures féminines presque éthérées aux allures de poupée et un traitement de la matière très lumineux.

collin-maillard
collin-maillard, vers 1754-1756. Huile sur toile, 116,8 cm x 91,4. Toledo Art Museum.

Bien que peintre touche à tout, son œuvre tourne essentiellement autour de la thématique amoureuse et c’est celle-ci qui est mise en avant ici à travers de nombreux tableaux de grandes valeurs, comme le fameux Verrou.
Le XVIIIème siècle, siècle des Lumières où l’individu est remis au centre des attentions. Ce dernier peut faire ses proches choix et vivre sa vie terrestre comme il l’entend et non comme la morale, l’Eglise ou le Roi le lui dicte. Ainsi les corps se libèrent, le libertinage se repend et le mariage d’amour aussi. C’est dans ce contexte de libéralisation de la pensée, des cœurs et des corps que va pouvoir fleurir l’art de Fragonard fortement inspiré de la littérature de l’époque qui évolue également en ce sens. L’exposition fait d’ailleurs la part belle aux échanges riches et nombreux entre cette dernière et la peinture.
François Boucher avait entamé cette révolution picturale à la fin des années 1730 en s’inspirant du roman d’Honoré d’Urfé, l’Astrée (1607-1628) qui prône l’amour galant. Fragonard, élève de Boucher, prendra la suite de manière plus charnelle encore que son maître pourtant déjà fort réputé pour ses fesses bien en chair, presque tactile. Les figures sont plongées dans un univers pastoral propice aux jeux de l’amour, comme en témoigne Colin-Maillard.

Diane et Endymion, Washington, National Gallery of Art
Diane et Endymion, Washington, National Gallery of Art

De cette veine pastorale, deux courants vont peu à peu se dégager dans l’œuvre de Fragonard au moment de son premier séjour romain et après : le côté roturier dérivant de la littérature « poissarde » qui a pour vocation d’imiter le langage et les mœurs du petit peuple des Halles avec des œuvres tirant leurs sources dans la peinture rustique flamande. L’autre côté, moins grivois est lui davantage inspiré par Rousseau avec un culte de la nature inspiré.

Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Callirhoé, vers 1762, Rmn-Grand Palais / Benoît Touchard / Mathieu Rabeau, Musées d'Angers / photo P. David - See more at: http://museeduluxembourg.fr/collection/fragonard-amoureux-galant-et-libertin#sthash.KfTQS9Fp.dpuf
Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Callirhoé, vers 1762, Rmn-Grand Palais / Benoît Touchard / Mathieu Rabeau, Musées d’Angers / photo P. David – See more at: http://museeduluxembourg.fr/collection/fragonard-amoureux-galant-et-libertin#sthash.KfTQS9Fp.dpuf

La mythologie, comme souvent est aussi une source d’inspiration précieuse pour qui veut peindre des corps dénudés sous couvert de sujets nobles avec les inépuisables amours des dieux. Depuis la Régence, ces thèmes trônent sans complexe dans les demeures de toute la noblesse, à commencer par la chambre à coucher du roi Louis XV à Marly. Avec le succès de Corésus et Callirhoé en 1765, œuvre théâtrale et savante, Fragonard s’impose comme un peintre incontournable et s’ouvre grand les portes de l’Académie. Mais il ne devient pas pour autant, le grand peintre d’Histoire qui aurait pu succéder à Carle Van Loo. Son œuvre reste très diversifiée et il va jusqu’à illustrer des contes libertins qui sont alors très à la mode dans les années 1750-60 comme La Reine de Golconde de Stanislas de Boufflers. Son maître en la matière, duquel il s’inspira énormément fut Pierre-Antoine Baudouin, autre élève de Boucher qui produisit des gouaches nombreuses et érotiques, proches de la littérature pornographique comme  Margot la Ravaudeuse.

Jean-Honoré Fragonard, Les Amants heureux © collection George Ortiz / photo Maurice Aeschimann - S
Jean-Honoré Fragonard, Les Amants heureux © collection George Ortiz / photo Maurice Aeschimann – S

Comme un écho à cette éclosion de romans suspicieux aux yeux de l’autorité, Fragonard s’amuse à peindre des lectrices, considérées comme sensibles et vulnérables.
Une autre œuvre littéraire aura beaucoup d’importance dans l’œuvre du peintre de Grasse, le Roland Furieux de  Ludovico Ariosto, poème composé entre 1505 et 1532. Sans le conclure, il avait pour projet de l’illustrer en entier, ce qui donna naissance à plus de 124 dessins témoignant de la passion amoureuse d’Angélique, Roland et Renaud.
Ce genre littéraire s’essouffle en 1782 après le triomphe des Liaisons dangereuses et une nouvelle morale s’impose peu à peu. C’est dans ce contexte qu’est popularisé Le Verrou. Peint entre 1774 et 1777 et rendu célèbre par la gravure de Blot en 1784. L’œuvre est très mystérieuse quant à l’interprétation qu’on peut en faire, mais elle devient surtout provocante dans l’association qu’en fit son propriétaire le marquis de Véri qui l’accrocha à côté d’un tableau religieux, l’Adoration des mages opposant ainsi l’amour charnel à l’amour sacré.

Jean-Honoré Fragonard, l'adoration des bergers /Le Verrou © Musée du Louvre, dist. Rmn-Grand Palais / Angèle Dequier -
Jean-Honoré Fragonard, l’adoration des bergers /Le Verrou © Musée du Louvre, dist. Rmn-Grand Palais / Angèle Dequier –

Enfin bref, un joli moment plein de volupté où Fragonard nous invite à devenir le voyeur de ses œuvres, et où on le suit avec délice surprenant des instants furtifs de passions amoureuses, presque prit sur le vif que le peintre fige à jamais sous son pinceau délicat.

Une jolie exposition, à voir.

Fragonard amoureux
Galant et libertin

16 septembre 2015 > 24 janvier 2016

Commissaire : Guillaume Faroult, conservateur en chef, en charge des peintures françaises du XVIIIe
siècle et des peintures britanniques et américaines du musée du Louvre.
Scénographie : Jean-Julien Simonot

Rendez-vous galant au musée Jacquemart-André entre Watteau, Fragonard et les autres

affiches-exposition-de-watteau-a-fragonardPour ceux qui aiment le XVIIIème siècle, ses coloris tantôt pastels tantôt vifs, ses draperies et ses visages de femmes aux joues roses et regards piquants, l’exposition du musée Jacquemart-André est faite pour vous.

Consacrée aux fêtes galantes et à son inventeur Jean-Antoine Watteau ainsi qu’à ses successeurs dans le genre, Pater, Boucher ou Fragonard, cette exposition est un voyage dans le temps agréable et végétal, une immersion dans le rococo et la Régence libre et décomplexée.

Récréation galante, Antoine Watteau (1684 – 1721)  Vers 1717-1719, Huile sur toile, 114,5 x 167,2 cm Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders
Récréation galante, Antoine Watteau (1684 – 1721)
Vers 1717-1719, Huile sur toile, 114,5 x 167,2 cm
Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders

Le genre des « fêtes galantes » est l’une des inventions picturales les plus charmantes et les plus représentatives de cette époque où la légèreté en tout semble de mise.
Ce dernier issu des pastorales vénitiennes et hollandaises des XVIème et XVIIème siècles trouve en Watteau son plus grand interprète et son inventeur. Il fait de ce genre non pas une sous-classe du paysage, mais un genre en soi qui perdurera tout au long du Siècle des Lumières. Son art est un subtil jeu d’équilibriste entre les attentes des marchands d’art et l’Académie royale qui le reçoit ni plus ni moins qu’en tant que peintre d’Histoire, le sommet de la hiérarchie des genres, en 1717 avec le Pèlerinage à Cythère. Son morceau de réception est la définition même de ce nouveau genre. On peut regretter qu’il ne soit

la femme au papillon Antoine Watteau Antoine Watteau (1684-1721)  Vers 1716-1717, Trois crayons, 24 x 13,8 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, Robert Lehman Collection, 1975 © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA
la femme au papillon
Antoine Watteau
Vers 1716-1717, Trois crayons, 24 x 13,8 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, Robert Lehman Collection, 1975 © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA

pas présenté (il est au Louvre pour les curieux), mais il est sublimement remplacé par de multiples œuvres venues des plus grandes collections publiques et privées qui nous laissent entrevoir tout le talent de Watteau. Ce dernier se relève un coloriste hors pair mais également un très grand dessinateur qui arrive à saisir en quelques coups de crayons vifs et précis toute l’essence d’un corps et d’une robe aux plis complexes. Il réalisa de très nombreuses esquisses pour ces œuvres, maniant subtilement la technique des trois crayons, n’hésitant pas à mélanger plusieurs d’entre-elles, dont certaines exécutées plusieurs années en arrière.

Fête galante avec Persan et statue, Nicolas Lancret,  Vers 1728, Huile sur toile, 40 x 33 cm Rome, Galleria Nazionale d'Arte Antica in Palazzo Barberini Courtesy Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Roma
Fête galante avec Persan et statue, Nicolas Lancret,
Vers 1728, Hst 40 x 33 cm
Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica in Palazzo Barberini
Courtesy Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Roma

La particularité de ce nouveau genre qui sera particulièrement développé par les successeurs de Watteau c’est l’ancrage dans la réalité. Ce ne sont plus simplement des paysages imaginaires, mais des décors identifiables comme le parc de Saint-Cloud et le jardin des Tuileries, lieux de plaisirs emblématiques de la vie parisienne, agrémentés d’éléments de décors identifiables par le spectateur comme cette statue d’un soldat bandant son arc par Jacques Bousseau peinte par Nicolas Lancret dans sa Fête galante avec persan et statue. On y trouve aussi de vrais portraits comme celui de Marie-Anne Cuppi de Camargo, dite « la Camargo », une célèbre ballerine du XVIIIème siècle peinte également par Nicolas Lancret en 1727-1728.

Ce dernier est l’un des successeurs de Watteau, il sut développer ce nouveau genre en se l’appropriant. On peut également citer le seul élève connu du maître qui chose exceptionnelle pour l’époque, n’eut pas d’atelier, à savoir Jean-Baptiste Pater qui expérimenta à travers ce genre en développant notamment le côté érotique des scènes avec la figure de la baigneuse. Puis plus tard arrivent François Boucher et Jean-Honoré Fragonard qui portent la Fête galante à son sommet avant que la Révolution éteigne le genre. Ils développent son aspect improbable, l’exotisme avec des inspirations chinoises et orientales. Chez Boucher la bergère imaginaire remplace l’aristocrate dans un décor champêtre. Dans la Pastorale et son pendant l’Ecole de l’amitié, il développe l’idée de sentiment simple et pure qui se développe dans un environnement dénué d’artifices.

L'école de l'amitié, François Boucher (1703-1770)  1760, Huile sur toile, 64 x 80,5 cm Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe
L’école de l’amitié, François Boucher (1703-1770)
1760, Huile sur toile, 64 x 80,5 cm
Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

Chez Fragonard le paysage se développe magnifiquement comme en témoigne La Fête à Saint-Cloud de 1775-1780, pièce maitresse du parcours et de l’artiste, prêtée exceptionnellement par la Banque de France. Le décor se développe de manière magistrale dans un tableau aux dimensions exceptionnelles témoignant de la grandeur et de l’attrait de ce genre de scène où se mêle jeux de scènes et fête foraine.
La fête galante se distingue donc par sa représentation des jeux de l’amour, son humour désuet, son côté théâtral et ses personnages haut en couleurs, plein de vies.

Une très belle exposition comme sait en faire le musée Jacquemart-André. On est rarement déçu quand on passe ses portes. La mise en scène est encore une fois subtilement soignée par Hubert le Gall qui fait ressortir tout le côté poétique de ce siècle dit des Lumières qui s’apprête pourtant à vivre de terribles remous historiques.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), la fête à saint-cloud  Vers 1775-1780, Huile sur toile, 211 x 331 cm Paris, Collection de la Banque de France © RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), la fête à saint-cloud
Vers 1775-1780, Huile sur toile, 211 x 331 cm
Paris, Collection de la Banque de France
© RMN-Grand Palais / Gérard Blot

Un joli bonbon sucré dont on ne se lasse pas….