Henri Fantin-Latour : les fleurs au coeur de l’automne

L’automne pointe le bout de son nez mais ce sont de sublimes fleurs qui éclosent au musée du Luxembourg, celle d’un peintre méconnu, Henri Fantin-Latour. Les habitués d’Orsay connaissent sûrement déjà  ses portraits de groupe où les on croise  Manet, Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud, faisant de Fantin-Latour un témoin précieux de la société artistique de cette fin de XIXème si bouillonnante.

L’intérêt de ces grandes expositions monographiques c’est d’aller delà des œuvres phares et de découvrir l’ensemble d’une création, ses différents aspects, ses motivations, tout ce qui anime un artiste au cours d’une vie et en ce sens, l’exposition présentée par le musée du Luxembourg est une réussite. Comme toujours j’ai envie de dire.

autoportrait-henri-fantin-latour-expo-delacroixOn commence donc au tout début de la carrière du jeune Henri, jeune homme de son temps, bercé de romantisme et de réalisme mais alors pas du tout intéressé par l’impressionnisme qui va bientôt bouleverser le paysage pictural. Dès  ses  premières œuvres on retrouve les grandes lignes du futur travail du peintre, un souci de réalisme marqué, des portraits et beaucoup de sensibilité dans le traitement. Ses autoportraits sont particulièrement parlants de ce point de vue, nous faisant entrevoir toute la fougue d’un jeune artiste avec un regard brûlant qui n’est pas sans évoquer à certains points de vue l’œuvre d’un Gustave Courbet.

Se formant en partie en atelier de façon classique auprès d’Horace Lecoq de Boisbaudran, en partie en copiant les maîtres du Louvre, il prend un premier envol en rejoignant à Londres l’américain James McNeill Whistler. C’est de l’autre côté de la Manche que va se développer une grosse partie de sa production pour un public très friand de ce genre : la nature morte de fleurs. Et quelles fleurs !

 

Malgré son succès, il retourne à Paris et entre 1864 et 1872 il réalise ses œuvres les plus célèbres : l’Hommage à Delacroix, Un atelier aux Batignolles et le Coin de table. Il élabore un modèle de portrait de groupe, loin de l’Impressionnisme et du plein air, préférant des scènes d’intérieure et des jeux de regards entre les protagonistes et le spectateur.

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L’anniversaire, 1876 Photographie © Musée de Grenoble

En 1876, Henri Fantin-Latour présente une œuvre singulière, l’AnniversaireHommage à Berlioz. Comme le peu de commémorations après le décès de Delacroix l’avait choqué et avait engendré son précédent Hommage, c’est ce qui se produit après le décès d’Hector Berlioz en 1869. Grand mélomane, Fantin-Latour consacre au compositeur vingt-sept lithographies et vingt-et-une peintures. Il utilise la lithographie comme travail préparatoire ce qui est inédit comme rôle pour ce médium artistique. Il en découle une œuvre lyrique où les personnages des opéras de Berlioz prennent vie et se retrouvent en compagnie du peintre lui-même autour de sa tombe.

En parallèle de ses natures-mortes et de ses portraits, l’exposition nous offre quelques compositions d’imagination nourries encore une fois par la musique mais celle de Wagner cette fois-ci, l’autre compositeur majeur dans la vie de Fantin-Latour. On retrouve ainsi des féeries, des personnages issus de la mythologie dans des œuvres évanescentes toute en poésie où la composition et la maitrise des couleurs sont plus abouties et plus libres. Ce sont des œuvres très jolies et peu connues de cet artiste, dévoilant une autre facette de son art.

L’une des parties amusantes de l’exposition (à mon goût) c’est celle consacrée aux photographies d’Henri Fantin-Latour. Pas des photos réalisées par l’artiste mais des photos réunies par lui. Comme un gigantesque album de modèles. Il se disait d’ailleurs être un « fanatique de la photographie ». Le fond conservé au musée de Grenoble et donné par sa veuve en 1921 révèle notamment de nombreuses photos de nus, des modèles posant de toutes les façons possibles. Des poses qu’on retrouve ensuite dans des dessins ou dans des toiles. Une manière de montrer que même sans modèles vivants, le peintre avait sous la main un réservoir d’idées qu’il n’avait qu’à agencer selon ses envies. Une autre façon de pénétrer dans sa façon de concevoir son art.

L’exposition du musée du Luxembourg était vraiment très bien, complète mais pas assommante. Bon après si vous êtes du genre à n’aimer ni les natures mortes ni les portraits, je ne vous cache pas que ce sera peut-être compliqué pour vous, mais ces fleurs si sont belles que peut-être elles vous feront fondre qui sait ?

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FANTIN-LATOUR. À FLEUR DE PEAU
Du 25 septembre 2016 au 10 février 2017

http://museeduluxembourg.fr/

Commissariat : Laure Dalon, conservateur à la Rmn – Grand Palais, adjointe au directeur scientifique ; Xavier Rey, conservateur au Musée d’Orsay, et Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble.

Budapest au Luxembourg. Si si c’est à Paris

capture_decran_2016-01-25_a_12.26.00.pngCela fait un moment que j’ai vu cette exposition et que j’essaye de vous en parler mais je n’arrive pas à trouver par quel angle le faire. En effet, il ne s’agit pas d’une exposition à proprement parlé, avec un thème bien précis et une réunion d’œuvres venues d’un peu partout pour illustrer le propos. Ici ce sont toutes des œuvres venues du musée des Beaux-arts de Budapest qui est actuellement fermé pour travaux. En fait c’est comme visiter un concentré de musée avec une approche chronologique et des pièces de maîtres : Dürer, Rembrandt, El Greco…

C’est pourquoi il est très difficile de vous résumer l’ensemble. Ce qui n’enlève rien au charme de ce parcours et à son intérêt. De plus l’art hongrois est assez peu représenté en France et quelques pièces de différentes époques nous montrent une production très riche. Cela commence avec la période médiévale et le règne de Sigismond du Luxembourg (1387-1437) qui réunit la Bohème et la Hongrie. Comme dans de nombreux pays d’Europe, l’art de la Renaissance italienne se mêle à l’art gothique donnant des œuvres douces comme cette délicate sainte Dorothée.

Une partie de l’Histoire de l’Art européen est ainsi survolée avec les deux grandes Renaissances, celle des écoles du Nord à travers des artistes aussi fabuleux qu’Altdorfer, Cranach ou Dürer mais aussi les italiens avec Bellini, Artemisia Gentilesch ou Bernardino Luini que j’adore. Vous rencontrerez une surprenante Marie Madeleine peinte par Greco, un saint Jacques de Tiepolo, des tous petits animaux représentés avec la minutie anatomique de Hans Hoffmann, une porteuse d’eau de Manet, un Monet, un Cézanne, etc.

b22511f8bb25d62e692e7ddb20237534Mais encore une fois l’originalité repose surtout sur l’évocation de l’art de Budapest comme Mihály Munkácsy (1844-1900) qui est proche du mouvement académique avec des œuvres très réaliste mais aussi Károly Ferenczy (1862-1917) qui incarne beaucoup plus la modernité et qui est considéré comme « le père de l’impressionnisme hongrois ».
Au XIXème, Budapest née de la fusion entre Obuda et Buda en 1872 est une capitale en pleine expansion. Ces artistes voyagent et subissent l’influence de tous ces nouveaux mouvements européens notamment le symbolisme.

Vous l’aurez compris, il est très dure pour moi de décrire correctement cette exposition et de lui rendre justice, mais vraiment c’est une très belle balade à faire et je vous la conseille.

 

Commissariat d’exposition : Laurent Salomé, conservateur en chef du patrimoine et directeur scientifique de la Rmn-Grand Palais ; Cécile Maisonneuve, docteur en histoire de l’art, conseiller scientifique à la RmnG-rand Palais. Scénographe : Jean-Julien Simonot

 

 

 

Si on s’acoquinait au musée du Luxembourg en compagnie d’un Fragonard amoureux ?

affiche_fragonardAttention les yeux, nous plongeons dans ce XVIIIème siècle coquin et libertin, loin des madones et autres saints. Place aux jeunes filles en fleur et à leurs amants entreprenants. Vous l’avez peut-être compris je vais vous parler de la délicieuse exposition consacrée à Fragonard qui se tient au musée du Luxembourg : Fragonard amoureux galant et libertin. Rien que ça !

Fragonard est l’un des peintres français les plus appréciés grâce à ses fêtes galantes et à ses œuvres mêlant un érotisme léger, des figures féminines presque éthérées aux allures de poupée et un traitement de la matière très lumineux.

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collin-maillard, vers 1754-1756. Huile sur toile, 116,8 cm x 91,4. Toledo Art Museum.

Bien que peintre touche à tout, son œuvre tourne essentiellement autour de la thématique amoureuse et c’est celle-ci qui est mise en avant ici à travers de nombreux tableaux de grandes valeurs, comme le fameux Verrou.
Le XVIIIème siècle, siècle des Lumières où l’individu est remis au centre des attentions. Ce dernier peut faire ses proches choix et vivre sa vie terrestre comme il l’entend et non comme la morale, l’Eglise ou le Roi le lui dicte. Ainsi les corps se libèrent, le libertinage se repend et le mariage d’amour aussi. C’est dans ce contexte de libéralisation de la pensée, des cœurs et des corps que va pouvoir fleurir l’art de Fragonard fortement inspiré de la littérature de l’époque qui évolue également en ce sens. L’exposition fait d’ailleurs la part belle aux échanges riches et nombreux entre cette dernière et la peinture.
François Boucher avait entamé cette révolution picturale à la fin des années 1730 en s’inspirant du roman d’Honoré d’Urfé, l’Astrée (1607-1628) qui prône l’amour galant. Fragonard, élève de Boucher, prendra la suite de manière plus charnelle encore que son maître pourtant déjà fort réputé pour ses fesses bien en chair, presque tactile. Les figures sont plongées dans un univers pastoral propice aux jeux de l’amour, comme en témoigne Colin-Maillard.

Diane et Endymion, Washington, National Gallery of Art
Diane et Endymion, Washington, National Gallery of Art

De cette veine pastorale, deux courants vont peu à peu se dégager dans l’œuvre de Fragonard au moment de son premier séjour romain et après : le côté roturier dérivant de la littérature « poissarde » qui a pour vocation d’imiter le langage et les mœurs du petit peuple des Halles avec des œuvres tirant leurs sources dans la peinture rustique flamande. L’autre côté, moins grivois est lui davantage inspiré par Rousseau avec un culte de la nature inspiré.

Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Callirhoé, vers 1762, Rmn-Grand Palais / Benoît Touchard / Mathieu Rabeau, Musées d'Angers / photo P. David - See more at: http://museeduluxembourg.fr/collection/fragonard-amoureux-galant-et-libertin#sthash.KfTQS9Fp.dpuf
Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Callirhoé, vers 1762, Rmn-Grand Palais / Benoît Touchard / Mathieu Rabeau, Musées d’Angers / photo P. David – See more at: http://museeduluxembourg.fr/collection/fragonard-amoureux-galant-et-libertin#sthash.KfTQS9Fp.dpuf

La mythologie, comme souvent est aussi une source d’inspiration précieuse pour qui veut peindre des corps dénudés sous couvert de sujets nobles avec les inépuisables amours des dieux. Depuis la Régence, ces thèmes trônent sans complexe dans les demeures de toute la noblesse, à commencer par la chambre à coucher du roi Louis XV à Marly. Avec le succès de Corésus et Callirhoé en 1765, œuvre théâtrale et savante, Fragonard s’impose comme un peintre incontournable et s’ouvre grand les portes de l’Académie. Mais il ne devient pas pour autant, le grand peintre d’Histoire qui aurait pu succéder à Carle Van Loo. Son œuvre reste très diversifiée et il va jusqu’à illustrer des contes libertins qui sont alors très à la mode dans les années 1750-60 comme La Reine de Golconde de Stanislas de Boufflers. Son maître en la matière, duquel il s’inspira énormément fut Pierre-Antoine Baudouin, autre élève de Boucher qui produisit des gouaches nombreuses et érotiques, proches de la littérature pornographique comme  Margot la Ravaudeuse.

Jean-Honoré Fragonard, Les Amants heureux © collection George Ortiz / photo Maurice Aeschimann - S
Jean-Honoré Fragonard, Les Amants heureux © collection George Ortiz / photo Maurice Aeschimann – S

Comme un écho à cette éclosion de romans suspicieux aux yeux de l’autorité, Fragonard s’amuse à peindre des lectrices, considérées comme sensibles et vulnérables.
Une autre œuvre littéraire aura beaucoup d’importance dans l’œuvre du peintre de Grasse, le Roland Furieux de  Ludovico Ariosto, poème composé entre 1505 et 1532. Sans le conclure, il avait pour projet de l’illustrer en entier, ce qui donna naissance à plus de 124 dessins témoignant de la passion amoureuse d’Angélique, Roland et Renaud.
Ce genre littéraire s’essouffle en 1782 après le triomphe des Liaisons dangereuses et une nouvelle morale s’impose peu à peu. C’est dans ce contexte qu’est popularisé Le Verrou. Peint entre 1774 et 1777 et rendu célèbre par la gravure de Blot en 1784. L’œuvre est très mystérieuse quant à l’interprétation qu’on peut en faire, mais elle devient surtout provocante dans l’association qu’en fit son propriétaire le marquis de Véri qui l’accrocha à côté d’un tableau religieux, l’Adoration des mages opposant ainsi l’amour charnel à l’amour sacré.

Jean-Honoré Fragonard, l'adoration des bergers /Le Verrou © Musée du Louvre, dist. Rmn-Grand Palais / Angèle Dequier -
Jean-Honoré Fragonard, l’adoration des bergers /Le Verrou © Musée du Louvre, dist. Rmn-Grand Palais / Angèle Dequier –

Enfin bref, un joli moment plein de volupté où Fragonard nous invite à devenir le voyeur de ses œuvres, et où on le suit avec délice surprenant des instants furtifs de passions amoureuses, presque prit sur le vif que le peintre fige à jamais sous son pinceau délicat.

Une jolie exposition, à voir.

Fragonard amoureux
Galant et libertin

16 septembre 2015 > 24 janvier 2016

Commissaire : Guillaume Faroult, conservateur en chef, en charge des peintures françaises du XVIIIe
siècle et des peintures britanniques et américaines du musée du Louvre.
Scénographie : Jean-Julien Simonot

Les Tudors règnent temporairement sur la France au musée du Luxembourg.

Le Printemps est là et avec lui une fleuraison d’expositions bien tentantes. La première à avoir attiré la petite abeille que je suis, celle sur les Tudors au musée du Luxembourg.

Elizabeth_I_in_coronation_robesLa famille des Tudors est l’une de ces grandes familles  qui ont marqué l’Histoire et les arts de leurs temps mais aussi l’imaginaire populaire à l’image des Borgia.
Régnant pendant 3 générations sur  128 années et offrant trois rois et deux reines à l’Angleterre et non des moindre, les Tudors sont certainement les souverains britanniques les plus connus, de par les nombreuses représentations qui en sont faites à travers la littérature, le théâtre, le cinéma et récemment la télévision, avec  Les Tudors où Jonathan Rhys Meyers est peut-être visuellement plus agréable que ne l’était Henri VIII.
Pour témoigner de leur magnificence, le musée du Luxembourg expose  de nombreuses œuvres (surtout des portraits) prêtées par la National Portrait Gallery, le British museum, la Royal Collection ou le Louvre. C’est une plongée dans la Renaissance anglaise ; on découvre ou redécouvre la vie de ces souverains, les liens importants avec la famille des Valois qui règne alors sur la France et aussi l’influence majeure sur les arts.

L’exposition mise en scène par Hubert Le Gall commence par cette vision romantique et théâtrale que l’on peut avoir de la famille, avec notamment deux extraits de films, l’un avec Sarah Bernhardt et l’autre Cate Blanchett avec également la robe de couronnement de cette dernière dans le film Elisabeth réalisé par Shekhar Kapur et sorti en 1998.
Mais très vite on revient aux fondamentaux historiques avec un parcours historique nous présentant les différents membres de cette famille pas comme les autres, à commencer par celui qu’on surnomme le fondateur, Henri VII Tudor.
Ce dernier conquiert le trône en 1485 en terrassant Richard III lors de la  bataille de Bosworth mettant fin à la Guerre des deux roses opposant les York aux Lancastre. Pour garantir l’unité retrouvée, il épouse Elisabeth d’York et comme symbole de cette union, il adopte un nouvel emblème, la rose Tudor mélangeant la rose rouge Lancastre et la rose blanche des York. On retrouve régulièrement cette rose rouge au cœur blanc dans les œuvres de l’époque, comme dans cette sublime chape brodée qu’Henri VIII en grand amateur d’étoffe apportât au camp du drap d’or.
Workshop_of_Hans_Holbein_the_Younger_-_Portrait_of_Henry_VIII_-_Google_Art_ProjectCe roi est presque devenu une figure de légende avec ses 6 épouses dont une répudiée, deux décapitées, une morte en couche et une renvoyée chez elle. Véritable colosse d’1m88  comme le prouve son armure, Henri VIII est l’image même du roi imposant comme pouvait l’être celui avec qui il se mesura toute sa vie, François Ier.  Au-delà de l’image un peu caricaturale de Barbe bleue, Henri VIII fut aussi un homme de la Renaissance, un homme éclairé, instruit, admirateur de musique et de sport et bien que père de l’église anglicane, son rosaire témoigne qu’il fut aussi un fervent catholique, « défenseur de la foi ».

Le portrait d’après Holbein le Jeune qui décorait Withehall aujourd’hui disparu témoigne parfaitement de la détermination d’un roi à prouver sa grandeur et son pouvoir aux yeux du monde.
De face, les jambes légèrement écartées, les poings sur les hanches, Henri VIII fixe le spectateur et sa simple présence dépourvue d’attributs royaux suffit à imposer sa majesté.
L’original du portrait était initialement entouré de son épouse Jane Seymour et de ses parents Henri VII et Elisabeth d’York et avait peut-être été commandé pour célébrer la naissance tant attendu d’un fils, le futur Edouard VI.

Holbein le jeune, le futur Edward VI
Holbein le jeune, le futur Edward VI

Peintre allemand, Holbein le Jeune arrive en Angleterre recommandé par Erasme à Thomas More. Il devient peintre officiel du roi en 1536 et gagne rapidement la confiance du souverain qui lui confie entres autres taches le portrait de son fils, mais aussi la réalisation des portraits de prétendantes dans toute l’Europe, parmi lesquels figure celui d’Anne de Clèves, l’épouse N° 4, qui plut davantage au roi en peinture qu’en vrai. Henri VIII aurait déclaré, preuve de son admiration pour le peintre : «De sept paysans, je pourrais faire sept comtes, mais de sept comtes, je ne pourrais pas faire un Holbein».
Les autres épouses sont bien sûre évoquées : Catherine d’Aragon, répudiée au profit d’Anne Boleyn dont il ne reste aucun portrait de son vivant, elle sera décapitée ; remplacée par Jane Seymour qui meurt des suites de son accouchement ;  Anne de Clèves moins jolie que sur son portrait et surtout trop allemande pour le roi sera renvoyée chez elle ; Catherine Howard sera aussi décapitée ; reste Catherine Parr qui jouera surtout le rôle d’infirmière auprès d’un roi âgé souffrant d’une blessure suppurante à la jambe.

Master John, portrait Edward VI
Master John, portrait Edward VI

La dernière génération de Tudors se compose des trois enfants survivants d’Henri VIII, Edouard VI, Marie Ière et Elisabeth Ière avec qui la dynastie s’achève en 1603, cédant la place aux Stuarts.
Edouard VI devient roi à 9 ans guidé par son oncle Edward Seymour. Les portraits qui le représentent témoignent d’un jeune souverain parfaitement conscient de l’héritage de son père, peint dans une position similaire. Plus amusant vous verrez aussi le portrait anamorphosé par William Scott.
Ayant pérennisé la Réforme et ne souhaitant pas que sa sœur Mary, la Catholique hérite de son trône, il désigne la jeune Jane Grey, comme successeur.  Mais elle ne restera reine que 9 jours, Mary reprenant la couronne. L’exécution de la jeune femme inspirera au XIXème à Delaroche l’une de ses plus belles toiles, non présentée ici.
Mary fille de Catherine d’Aragon, princesse de 37 ans au fort caractère qui s’opposa notamment à son père sur la Réforme ou la révocation de sa mère, surnommée Bloody Mary va régner guère plus de 5 ans. Son règne sera marqué par une tentative de retour brutal au catholicisme, avec des répressions dans le sang d’où son surnom. Elle fera également un mariage très impopulaire avec Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint. Le portrait d’Antonio Moro la montre comme une femme au regard dure et à l’allure sévère, finalement très proche de l’image qu’elle laissa dans les consciences populaires. Première femme à régner sur l’Angleterre, l’archevêque de Winchester lui rendit hommage en ces mots : « Elle était la fille du roi ; elle était la sœur d’un roi ; elle était l’épouse d’un roi. Elle était une reine, et par le même titre, un roi ».

Maria_Tudor1Sa demi-sœur, fille d’Anne Boleyn va au contraire s’imposer comme la souveraine de l’Âge d’or. Elisabeth devient reine en 1558 et sous sa bonne garde, l’Angleterre va prospérer et devenir la plus grande puissance maritime après sa victoire sur la grande Armada en 1588.
Malgré de nombreuses propositions de mariage (Henri d’Anjou puis François d’Alençon entres autres), la reine resta célibataire, mariée à son peuple, créant la légende de the virgin queen ce qui ne l’empêcha pas d’être proche de certains hommes ici représentés, Robert Dudley et Robert d’Essex.
De nombreux portraits de la souveraine sont exposés : celui du couronnement où elle apparaît de face en majesté et tout d’or vêtue, le portrait Phoenix du nom de son bijoux qui devient son emblème, le portrait de l’armada ou encore le Ditchley Portrait. La reine porte toujours des robes d’une grande richesse, preuves de son statue royal, le visage est quant à lui ferme, déterminé, presque austère mais presque éternellement jeune, comme pour incarner la stabilité du souverain.
La reine fascine encore plus de 450 ans plus tard. D’ailleurs cette fascination se retrouve  dans le théâtre du XIX ème siècle comme en témoigne cette petite salle où sont réunis le décor d’Henri VIII de Camille Saint Saëns ou des gravures et des dessins de costumes par Delacroix pour Amy Robsart de Victor Hugo.

Nicolas Hiliard, Elisabeth, portrait Phoenix
Nicolas Hiliard, Elisabeth, portrait Phoenix

Vous l’aurez compris cette exposition est superbe, on a la chance d’apercevoir en France des portraits magnifiques qui ornent d’habitude les musées londoniens. C’est aussi une manière de voir l’autre facette de cette famille troublante car de notre côté de la Manche, nous nous sommes davantage attardés sur la légende noire, les morts et  les intrigues oubliant l’apport politique, religieux et artistiques que les Tudors ont donnés à l’Angleterre.

bague d'Elisabeth avec le portrait de sa mère et le sien
bague d’Elisabeth avec le portrait de sa mère et le sien

Ce n’est pas une exposition sur l’art Anglais de la Renaissance, mais cela en donne un bel aperçu. C’est surtout une plongée rondement bien menée au cœur d’une famille remarquable.

Enjoy and see you soon !

Jusque 19 juillet 2015

http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/les-tudors

Commissaires: Charlotte Bolland, conservateur en charge du projet de recherche Making Art in Tudor Britain à la NPG, Tarnya Cooper, conservateur en chef à la NPG et Cécile Maisonneuve, docteur en histoire de l’art, conseiller scientifique à la Rmn-GP
Scénographie : Hubert Le Gall

Paul Durand-Ruel, l’âme du collectionneur-marchand anime le musée du Luxembourg

ml-affiche-40x60Après Hokusai et Duchamp me voilà dans une exposition toute en douceur et couleurs où je dois l’avouer mes yeux se plaisent vraiment. Si je vous dis Monet, Pissarro, Renoir, Morisot vous me dites impressionnisme. Ce mouvement autrefois si décrié est devenu l’un des préféré du public, les chiffres de l’exposition Monet du Grand Palais parlent en ce sens : 913 064. Cet automne et jusqu’en janvier-février, deux musées mettent à l’honneur ce mouvement où la lumière règne : Marmottan bien sûr avec « Impression Soleil Levant » et le musée du Luxembourg avec « Paul Durand-Ruel ». C’est chez ce dernier que je suis allée flâner avec plaisir, car avant même de rentrer je sais que les expositions du Luxembourg sont agréables à faire, pas trop longues, pas trop bombées et bien expliquées.
C’est aussi un musée qui aime bien mettre en avant les collectionneurs qui se cachent derrière des mouvements et des artistes, comme il l’avait fait sur les collectionneurs d’avant-garde du Havre qu’étaient Olivier Senn, Charles-Auguste Marande, Pieter van der Velde, Georges Dussueil, Oscar Schmitz et Edouard Lüthy. https://museis.wordpress.com/2012/11/08/le-cercle-de-lart-moderne-collectionneur-davant-garde-au-havre/

archive Durand-Ruel copyright durand ruel et co
archive Durand-Ruel copyright durand ruel et co

Cette fois c’est Paul Durand-Ruel (1831-1922) qui est à l’honneur. Ce nom on l’entend souvent mais on ne le remet pas forcément. Grâce au Luxembourg on ne cherchera plus en vain où a-t’on entendu ce nom-là. Durand-Rueil c’est LE marchand d’art de l’impressionnisme. Lié à Monet ou Renoir entre autres, il s’évertuera toute sa vie à mettre en avant l’œuvre de ses artistes, à leur facilité la création et à les faire connaître à travers le monde.
Le parcours retrace les grandes lignes de sa vie de collectionneur en commençant par une invitation chez lui, dans le cercle privée de son appartement rue de Rome, un véritable musée en soit.Composition1
Il faut dire que Paul avait de qui tenir, son père fournisseur de fournitures d’artistes puis marchand était notamment lié à Corot et c’est avec l’Ecole de Barbizon que le fils va rentrer dans ce monde-là. Très proche de ses artistes, notamment de Renoir. On trouve de nombreuses œuvres de l’artiste, dont des portraits de famille, le fils de Paul Durand-Ruel deviendra d’ailleurs le parrain de Jean Renoir.

«La jeune fille au chat», de Renoir. Image: DR
«La jeune fille au chat», de Renoir.
Image: DR

Cette première partie tente de nous faire comprendre la personnalité du personnage, tout en contradiction, la dichotomie entre le marchant et l’homme. L’homme est bourgeois, conservateur, le marchand soutient le communard Courbet ; l’homme est monarchiste, le marchand soutient les républicains Manet et Monet.
L’homme et le marchand se rejoignent sur leur amour des belles choses. Fortement marqué par l’art des années 1830, « la belle école », le romantisme de Delacroix, le réalisme de Courbet, le paysage de Corot, tout ceci le touche et le mèneront tout naturellement vers la peinture en plein air, la peinture claire et vivante des impressionnistes.

Claude Monet 1871 Green Park oil on canvas 34 x 72 cm Philadelphia Museum of Art PA
Claude Monet 1871 Green Park oil on canvas 34 x 72 cm Philadelphia Museum of Art PA

C’est à Londres qu’il rencontre Monet et Pissarro alors qu’ils sont tous en exil durant la guerre de 1870 et ses premières peintures de ces artistes seront des vues de la capitale anglaise qu’il trouve charmantes, et depuis, le lien ne s’est plus brisé.
Le marchand d’art ne va cesser d’encourager ses artistes, malgré une situation financière pas toujours rose. En 1876 il accueille une grande exposition impressionnisme de 250 œuvres qui va assoir le mouvement et sa réputation en tant que marchand de la modernité. Il réalisera également des expositions individuelles pour Monet qui y montrera ses premières séries ou encore Boudin, Renoir, Pissarro. Ce type d’expo est rare en France mais c’est une manière pour Durand-Ruel d’affirmer la légitimité de cette peinture et de ces peintres. Mais l’apothéose de sa carrière est dans son aura internationale. Durand-Ruel se place à la tête d’un réseau de galeries à Paris, Londres, Bruxelles ou New-York. Il profite de l’enthousiasme américain pour cet art de plein air pour exporter l’impressionnisme avec succès, il vend, rachète et revend plus cher pour augmenter la côte des artistes, il les présente aux grands musées et les fait rentrer dans les collections comme au Philadelphia museum of Art. Désormais le succès commercial est au rendez-vous. Lui-même dira « Dire que si j’étais mort à soixante ans, je mourais criblé de dettes et insolvable, parmi des trésors méconnus… »

Edgar Degas, La classe de Ballet, 1880, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art
Edgar Degas, La classe de Ballet, 1880, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art

En tout entre 1891 et 1922 ce seront 12 000 œuvres qui transiteront entre ses mains.  Ici se sont 80 petits chef-d ‘œuvres qui vous ouvrent les bras. Les amoureux de l’impressionnisme seront ravis, surtout ceux de Renoir avec quelques belles pièces. On y croisera aussi la correspondance entre Paul Duranr-Ruel et Monet ou encore son livre de compte à faire pâlir d’envie tous les collectionneurs au vue des noms d’artistes qu’il y inscrit.

Une petite exposition forte sympathique.

Pour plus de visuels de ces très belles peintures : http://museeduluxembourg.fr/type-objet/peinture?tid_4=All&items_per_page=12

Paul Durand-Ruel 
Le pari de l’impressionnisme
Manet, Monet, Renoir
9 octobre 2014 > 8 février 2015

COMMISSARIAT : Sylvie Patry
http://museeduluxembourg.fr/expositions

Joséphine, l’impératrice sensuelle et élégante prend ses quartiers au musée du Luxembourg

Cette saison je suis gâtée par la RMN, les deux expositions dont je vais vous parlez aujourd’hui et la prochaine fois concernent deux personnages historiques qui font partie de ma top liste de personnes que j’adore. Joséphine parce qu’elle est avec la Joconde mon premier souvenir du Louvre vers 8/10 ans et que je lui voue depuis une admiration de petite fille et Auguste parce qu’il a incarne ma période historique de prédilection la fin de la République et le début de l’Empire romain.

 

2036986-expo-josephine-au-musee-du-luxembourg-gagnez-40-pass-coupe-fileHonneur aux dames, commençons par la « douce et incomparable  Joséphine ». L’exposition qui lui est consacrée en ce moment au musée du Luxembourg et son pendant au domaine de la Malmaison « Joséphine, la passion des fleurs et des oiseaux » célèbre le bicentenaire de la mort de cette femme au destin extraordinaire, l’une des souveraines françaises les plus célèbres, les plus appréciées mais peut-être aussi l’une des plus méconnues paradoxalement.

Amaury Lefébrure, commissaire général de l’exposition tente de retracer en quelques grandes lignes la vie et les passions de celle qui fut vicomtesse de Beauharnais, reine consort d’Italie, impératrice des français et duchesse de Navarre.

Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie naît en 1763 à la Martinique où elle passe une enfance aisée, son père étant un riche exploitant de cannes à sucre. Elle quitte son île adoré lors de son mariage avec le vicomte Alexandre de Beauharnais en 1779. L’union n’est pas heureuse mais deux enfants en naitront, deux enfants qu’elle chérira et qui occuperont des places de choix dans le grand échiquier européen napoléonien, faisant d’elle la grand-mère de Napoléon III, de Joséphine de Suède, d’Amélie de Leuchtenberg, impératrice du Brésil et l’ancêtre de nombreuses têtes couronnées actuelles. Eugène, considéré comme son fils adoptif et son héritier par Napoléon naît en 1781 et Hortense, future reine de Hollande et mère de Napoléon III et du duc de Morny nait en 1783.

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La situation politique de son époux durant la Révolution met sa vie en péril, jacobin, président de l’Assemblée constituante, Alexandre de Beauharnais finit guillotiné comme tant d’autres sous la Terreur en juillet 1794. Joséphine échappe de peu au même sort et son ascension commence. Elle devient la reine du Directoire en étant la maîtresse de Barras, élégante et soucieuse de son apparence elle se fait entretenir par de nombreux amants, jusqu’à ce que sa route croise celle d’un jeune général ambitieux : Napoléon Bonaparte. C’est lui qui lui donnera son nom de Joséphine, considérant que son prénom usuel, Rose, avait déjà été trop prononcés par ses amants, il la voulait pour lui seul et il l’épouse civilement le 9 mars 1796. Une minute de contrat de mariage est d’ailleurs exposé, tout comme la déclaration de Joséphine de consentement au divorce en 1809, faute de pouvoir donner un enfant à son époux.

WP_20140324_006Elle avait foi en l’ambition de ce jeune général, elle ne sera pas trompée. Il l’emmène sur les plus hautes marches du pouvoir, jusqu’au sacre le 2 décembre 1804, immortalisé par David.

Andrea Appiani (1754-1817) Joséphine Bonaparte épouse du Premier consul Vers 1801 Huile sur toile. H. 75,5 ; l. 61,5 cm Collection particulière
Andrea Appiani (1754-1817)
Joséphine Bonaparte épouse du Premier consul
Vers 1801
Huile sur toile. H. 75,5 ; l. 61,5 cm
Collection particulière

Le couple est assez peu évoqué, faut dire, il y en a tellement à raconter sur cette union hors du commun. Un amour passionnel les a unis, le général Bonaparte était fou d’elle, Joséphine un peu moins, puis les rôles se sont inversée et le divorce a été pour elle très dure à vivre. Elle aura été son égérie, son porte bonheur et il est « amusant » de constater que le divorce marque le début de la fin de la grandeur napoléonienne.

Andrea Appiani (1754-1817) Portrait de Napoléon Bonaparte Vers 1801 Huile sur toile. H. 98 ; l. 80,8 cm Collection particulière, Montréal, Canada
Andrea Appiani (1754-1817)
Portrait de Napoléon Bonaparte
Vers 1801
Huile sur toile. H. 98 ; l. 80,8 cm
Collection particulière, Montréal, Canada

« Douce et incomparable Joséphine, quelle effet bizarre faite vous sur mon cœur ! »

« Chaque instant m’éloigne de toi, adorable amie, et à chaque instant je trouve moins de force pour supporter d’être éloigné de toi. »

« Je n’ai pas passé un jour sans t’aimer ; je n’ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras ; je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie »

« J’espère bientôt, ma douce amie, être dans tes bras. Je t’aime à la fureur »

L’exposition tente de nous faire comprendre toutes les facettes de cette femmes représentées par de nombreux artistes : David, Prud’hon, Gillroy, Garnerey, Chinard, Appiani, Riesener et même longtemps après sa mort où elle devient une héroïne tragique comme chez Hector Viger ou Fréderic Henri Schopin.  Elle est à la fois sensuelle, impérieuse, raffinée, gracieuse dans tous ces mouvements, douce et généreuse. Elle incarne à elle seule La femme du 1er empire, bien plus que celle qui lui succédera sur le trône.

serre-bijoux de Joséphine
serre-bijoux de Joséphine

Joséphine a bon goût et elle aime le montrer. Elle dépense sans compter pour s’acheter des milliers de tenues, rendant fou Napoléon. Mais voulant que sa femme soit la plus belle de l’Empire et incarne la magnificence du pouvoir, il lui cédait finalement presque tout. Elle aimait la mode passionnément comme le montre les deux belles tenues exposées, Mme de Rémusat dit qu’elle expira « toute couverte de rubans et de satin couleur rose ».  Et elle possédait de superbes bijoux comme ce diadème exécuté dans un coquillage de cassis cornuta-le camée coquille ». Il suffit d’observer ce « grand écrin » pour imaginer quelle collection elle devait avoir. Tout en acajou massif et possédant trente tiroirs d’amarante, ce serre-bijoux incarne parfaitement le style empire.  Elle avait également un mobilier somptueux pour décorer à son goût ses propriétés de la rue de la Victoire et les châteaux de la Malmaison et de Navarre à l’image de ce fauteuil à accotoirs en forme de cygnes créé pour elle par Jacob Frère, le cygne étant l’animal emblématique de l’impératrice, on voit d’ailleurs plus loin une aquarelle du fameux Cygne noir du détroit de Bass qu’elle avait récupéré pour La Malmaison.

Pierre Dandelot Cygnes noirs du détroit de Bass Aquarelle d'après Léon de Wailly H. 0,25; L. 0,41 cm Musée national du château de Malmaison
Pierre Dandelot
Cygnes noirs du détroit de Bass
Aquarelle d’après Léon de Wailly
H. 0,25; L. 0,41 cm
Musée national du château de Malmaison

 

L’impératrice commande énormément d’œuvres d’art, par passion personnelle et pour les fastes de la cour impériale, elle participe au renouveau des manufactures de la Savonnerie, des Gobelins et de Sèvres.

 

Mais l’œuvre de sa vie c’est la Malmaison qui devient peu à peu son refuge, où elle peut s’isoler du monde. Pour les jardins elle laisse courre à sa passion pour la botanique dans un parc qu’elle agrandit considérablement (de 60hect le domaine passe à 726 hect) et la zoologie en entretenant une ménagerie exotique et surtout une collection de roses, sa fleur fétiche, absolument unique pour l’époque de par sa richesse. Les murs sont remplis de tableaux qu’elle achète et commande. Acheté dès 1799 pour 325.000 F, ce petit château devient l’un des sièges du pouvoir. Remit au goût du jour par Percier et Fontaine, la Malmaison est l’incarnation d’une riche demeure impériale au style hérité de l’Antiquité.

C’est à son domaine qu’elle se consacre suite à son divorce, elle y recevra le tsar Alexandre Ier et c’est durant sa visite qu’elle prendra froid, entraînant sa mort quelques semaines plus tard.

L’exposition est très belle et on y voit de très belles choses, peintures, documents d’archives, bijoux, arts décoratifs ou mobilier. Le seul bémol c’est que la vie et le goût de Joséphine ne sont finalement que survolés et j’aurai bien vu une mise en scène digne de l’exposition consacrée à Marie-Antoine au Grand-Palais. Mais admirant tellement ce personnage au destin hors du commun, je vois peut-être les choses en trop grand.

Joséphine
12 mars – 29 juin 2014
Musée du Luxembourg, Paris

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commissaire général : Amaury Lefébure, Conservateur général du Patrimoine, Directeur du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau.
commissaires : Elisabeth Caude, conservateur en chef, Céline Meunier, conservateur en chef, Christophe Pincemaille, chargé d’études documentaires, Alain Pougetoux, conservateur en chef au musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau.

Et si on rêvait? La Renaissance et le Rêve au musée du Luxembourg

Encore un peu de Renaissance cette semaine, mais une Renaissance onirique et mystérieuse entre les murs du musée du Luxembourg. Cette fois-ci, point de genèse de la Renaissance, ni-même un focus sur un lieu en particulier ou une période chronologique déterminée. Nous irons à Florence avec Ghirlandaio et Michel-Ange, à Venise avec Véronèse, à Bologne avec Carracci, mais aussi en France avec Léonard Limosin, en Espagne avec Le Gréco, dans les Pays-Bas de Jérôme Bosch et dans la Bavière de Dürer. Il y a du beau monde près du Sénat en ce moment !958-renaissance

Le titre en lui-même est très intriguant et prometteur et l’exposition qui se cache derrière est plus complexe qu’elle n’y parait et offre de belles rencontres artistiques.

Mais qu’est-ce donc qu’un rêve ? Aujourd’hui nous sommes armés de tout un bagage scientifique, biologique, et psychologique pour en comprendre le sens  et la raison. Mais au XVème et XVIème siècles ? Le rêve est perçu comme un lieu où l’imagination fleurie, où l’âme rencontre le divin mais aussi le démon. Le rêve c’est cet état où l’esprit se libère du corps et voyage, découvre et rencontre des puissances supérieures. Alors bien évidemment la mythologie et la religion auront une place essentielle dans sa représentation, avec tous ces rêves bibliques qui ont inspiré les saints et les prophètes.

le rêve d'Albrecht Dürer
le rêve d’Albrecht Dürer

L’artiste ne représente pas son propre rêve, à l’exception de Dürer dans une aquarelle du 8 juin 1525, retranscrivant un cauchemar. Mais comment pourrait-il ? Pour peindre il faut être conscient de son geste, le murir et l’exécuter, or dans le rêve, on ne peut faire ni l’un, ni l’autre. De plus, tous ceux qui se rappellent de leurs rêves savent très bien qu’ils sont souvent indescriptibles, flous, alors comment le représenter de manière concrète ? Autant de questions que se sont posés tous ces artistes.

Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, d’après Michel-Ange Allégorie de la Nuit vers 1553-1555 huile sur bois ; 135 x 196 cm Rome, Galleria Colonna © Galleria Colonna, Rome
Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, d’après Michel-Ange
Allégorie de la Nuit, vers 1553-1555
huile sur bois ; 135 x 196 cm
Rome, Galleria Colonna
© Galleria Colonna, Rome

Le parcours est conçu comme un rêve en soit. Il ne reprend pas une chronologie historique mais celle d’un rêve avec les différentes thématiques qui vont avec.
On commence ainsi avec la nuit qui tombe et la représentation de cette dernière qui durant la Renaissance tourne surtout autour d’un même modèle, la nuit de Michel-Ange, une sculpture exécutée pour le tombeau de Julien de Médicis. Et c’est seulement quand cette nuit tombe que l’endormi peut éventuellement rêver et commencer à voir autre chose, c’est la vacatio animae-la vacance de l’âme, référence à Platon. Nous découvrons ainsi toutes ces belles endormies qui laissent leur raison filer. La belle Vénus de Courrège est dans un état d’abandon que seul apporte le sommeil et semble ici proche de l’extase amoureuse. Et ce rêve laisse le dormeur dans un monde hors de toute portée, insituable.

Véronèse La Vision de sainte Hélène vers 1570-1575 huile sur toile ; 197,5 x 115,6 cm Londres, The National Gallery © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department
Véronèse
La Vision de sainte Hélène vers 1570-1575
huile sur toile ; 197,5 x 115,6 cm
Londres, The National Gallery
© The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department

On arrive ainsi à toute la signification religieuse et mystique du rêve. L’âme du rêveur peut voir la volonté de Dieu. « Je dors mais mon cœur veille » (Cantique des Cantiques). Le rêve lui-même peut être d’inspiration divine comme celui de Jacob qui voit une échelle montant au Ciel et empruntée par les anges ; mais aussi celui de sainte Catherine ou sainte Hélène qui entrevoient leurs destins. Dans ces représentations, le réel et le songe se confondent parfois tout comme le rêve et la vision. Le Greco va plus loin dans son Songe de Philippe II présenté pour la première fois en France, il lie à la fois la « prophétie » historique  et temporelle du roi Philippe II remportant la victoire sur les Trucs à la bataille de Lépante à une vision divine de l’Apocalypse avec ce Léviathan qui dévore les damnés.

Domínikos Theotokópulos, dit Le Greco Le Rêve de Philippe II vers 1579 huile sur toile ; 140 x 110 cm Madrid, Patrimonio Nacional et Real Monasterio de El Escorial © 2013. Photo Scala, Florence
Domínikos Theotokópulos, dit Le Greco
Le Rêve de Philippe II, vers 1579
huile sur toile ; 140 x 110 cm
Madrid, Patrimonio Nacional et Real Monasterio de El Escorial
© 2013. Photo Scala, Florence

Tableau très troublant comme souvent avec le Greco mais qui est encore loin de l’effet produit par les œuvres suivantes, car si le rêve peut ouvrir les portes du ciel, il peut ouvrir des portes beaucoup plus cauchemardesques. Nous voici donc dans des visions terrifiantes et angoissantes où les peintres des Ecoles du Nord se surpassent en imagination. La nature devient menaçante et de drôles de créatures apparaissent. Jérôme Bosch et son école sont particulièrement marquants avec la tentation de saint Antoine,  la vision de l’au-delà et la vision de Tondal, inspiré d’un récit médiéval de Marcus de Cashel. Tondal fait le rêve des supplices infligés aux pécheurs et y gagne sa propre rédemption. L’imagination déployée ici par le peintre défie toute logique raisonnable et est finalement assez proche de la conception d’un rêve sans queue ni tête.

École de Hieronymus Bosch La Vision de Tondal 1520-1530 huile sur bois ; 54 x 72 cm Madrid, Fundación Lázaro Galdiano © Museo Lázaro Galdiano. Madrid
École de Hieronymus Bosch
La Vision de Tondal, 1520-1530
huile sur bois ; 54 x 72 cm
Madrid, Fundación Lázaro Galdiano
© Museo Lázaro Galdiano. Madrid
Jacopo_Zucchi_-_Amor_and_Psyche
Jacopo Zucchi
Amour et Psyché, 1589
huile sur toile ; 173 x 130 cm
Rome, Galleria Borghese
© 2013. Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali

Enfin après s’être demandé si la vie ne serait pas finalement un rêve -question philosophie récurrente dans l’histoire des hommes-autour d’un dessin de Michel-Ange, l’Allégorie de la vie humaine qui a particulièrement influencé son époque, l’heure du réveil approche. L’Aurore « rose et safran » comme disait Homère ouvre la voie au Soleil et le rêve s’estompe. Point final de l’exposition, un magnifique tableau de Zucchi, Amour et Psyché, aux teintes chaudes, qui rappelle que le réveil peut-être brutal avec Eros brulé par Psyché qui voulait le contempler.
Il est finalement temps de se réveiller et de retourner à la réalité, mais le rêve vu par la Renaissance laisse un doux écho. Décidemment j’adore les expositions du Luxembourg.

Lorenzo Lotto Le Songe de la jeune fille ou Allégorie de la Chasteté vers 1505 huile sur bois ; 42,9 x 33,7 cm Washington, National Gallery of Art Samuel H. Kress Collection © Courtesy National Gallery of Art, Washington
Lorenzo Lotto
Le Songe de la jeune fille ou Allégorie de la Chasteté
vers 1505
huile sur bois ; 42,9 x 33,7 cm
Washington, National Gallery of Art
Samuel H. Kress Collection
© Courtesy National Gallery of Art, Washington

La Renaissance et le Rêve
Bosch, Véronèse, Le Greco…
9 octobre 2013 – 26 janvier 2014
Musée du Luxembourg

Commissariat :
Alessandro Cecchi, directeur de la Galleria Palatina et du Jardin de Boboli au Palazzo Pitti, Florence Yves Hersant, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris Chiara Rabbi-Bernard, historienne de l’art

Guerre et Paix chez Chagall

Un peu de rêve et de fantasmagorie cette semaine à travers une magnifique exposition sur un artiste à la fois connu et méconnu : Marc Chagall. Créateur hors du commun qui a su concevoir un art personnel, inimitable, coloré et narratif, influencé par son héritage russe, juif, et son séjour parisien entre surréalisme, cubisme et néo-primitivisme.L’exposition qui se tient au Musée du Luxembourg tout en essayant de créer une rétrospective de Chagall, essaye de garder un fil conducteur plus thématique :  « entre guerre et paix », titre référence au célèbre roman de Tolstoï, russe comme le peintre.

Il faut dire que la vie de Chagall a particulièrement été marquée par les conflits du XXe siècle, qui vont guider sa vie et son art. L’artiste subit les deux guerres mondiales qui le mettent sur les chemins de l’exil.

Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebsk 1915 gouache et huile sur carton collé sur toile, 102,5 x 120,7 cm Moscou, Galerie nationale Tretiakov © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © The State Tretyakov Gallery, Moscou
Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebsk
1915
gouache et huile sur carton collé sur toile, 102,5 x 120,7 cm
Moscou, Galerie nationale Tretiakov
© ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®
© The State Tretyakov Gallery, Moscou

La première guerre, il tombe dedans par hasard si on peut dire. Installé à Paris en 1911, il se nourrit de l’avant-garde et est très proches d’artistes comme Delaunay, Apollinaire  Soutine ou Léger. En 1915, il rentre dans sa ville natale de Vitebsk pour épouser celle qui deviendra à la fois l’amour de sa vie et une muse, Belle Rosenfield. C’est là qu’il est surpris par la guerre. Cette période devient à la fois synonyme de bonheur familiale et d’horreurs dues au conflit. Il assiste aux différents mouvements de troupes, les paysans qui fuient les lignes de front. La misère et les blessés sont retranscrits dans son œuvre par le biais de la gravure qui permet un traitement brut. La Révolution bolchévique qui arrive lui inspire beaucoup d’espoir, lui qui souhaite lutter contre toutes sortes d’inégalités et il s’investit dans la vie culturelle de sa région, décore également le théâtre de Moscou. L’un de ses modèles de prédilections se trouve dans ses origines juives avec lesquelles il renoue, il s’agit notamment de la figure traditionnelle du juif errant et vagabond, « luftmensch », « l’homme de l’air » que l’on retrouve souvent dans ses toiles, image d’homme qui voyage, à son image.

Au-dessus de Vitebsk 1915-1920 huile sur toile, 67 x 92,7 cm New York, the Museum of Modern Art (MoMA), acquired throught the Lillie P. Bliss Bequest 1949 © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence
Au-dessus de Vitebsk
1915-1920
huile sur toile, 67 x 92,7 cm
New York, the Museum of Modern Art (MoMA), acquired throught the Lillie P. Bliss Bequest 1949
© ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®
© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

En effet, en 1922, il quitte la Russie et reprend les routes. Berlin d’abord, puis la France où il s’installe en 1923. C’est une époque cruciale dans l’art de Chagall, profondément sacré, qui s’inscrit dans une longue tradition iconographique. C’est l’époque où il illustre la bible à la demande d’Ambroise Vollard, personnalité incontournable de la production artistique parisienne du début du XXe siècle. Il cherche l’inspiration aux racines du monde biblique, lors d’un voyage en Palestine qui le marque profondément et qui donne naissance à une série d’illustration à forte et puissante  valeur évocatrice, 44 gouaches d’un grand synthétisme iconographique.

La Crucifixion en jaune 1942 140 x 101 cm huile sur toile de lin Paris, Centre Georges Pompidou
La Crucifixion en jaune
1942
140 x 101 cm
huile sur toile de lin
Paris, Centre Georges Pompidou

Malheureusement la tranquillité n’est que de courte durée, car très vite, le nazisme le pousse vers les routes. En 1937, certaines toiles sont présentées lors de l’exposition sur « l’art dégénéré »qui vise à dénigrer l’art moderne au profit d’un art nationaliste héroïque.  Cette fois-ci, l’exil le mène vers New York, mais l’ombre de la guerre plane sur son âme et sur son art. Le thème de la crucifixion, si marquant devient récurent, image d’une persécution et de la souffrance humaine où s’unissent aussi au cœur de son œuvre, à travers différents symboles, les deux religions que sont le christianisme et le judaïsme. Son séjour américain, d’un point de vue personnel est marqué par le deuil douloureux de son épouse Bella mais aussi par la naissance d’une nouvelle relation ce qui réanime le thème du couple. Chacune de ses relations amoureuses nourrie son art, il en sera à nouveau de même en 1952 après sa rencontre avec une jeune femme d’origine russe et juive comme lui, Valentina Brodsky.

Son retour en Europe en 1958, marque la découverte de nouvelles pratiques artistiques (mosaïque et vitrail) mais aussi de la lumière méditerranéenne qui illumine le dernier chapitre de sa production pleine de vie et de liberté.

La Danse 1950-1952 huile sur toile de lin, 238 x 176 cm Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988, en dépôt au musée national Marc Chagall à Nice © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © RMN-Grand Palais / Gérard Blot
La Danse
1950-1952
huile sur toile de lin, 238 x 176 cm
Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988, en dépôt au musée national Marc Chagall à Nice
© ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®
© RMN-Grand Palais / Gérard Blot

L’après-guerre est aussi l’époque de la reconnaissance internationale, une reconnaissance qui ne s’estompera pas et qui se traduira par de nombreuses commandes.

Mort il y a moins de 30 ans (en 1985), Chagall, incarne un art onirique et fantastique. Chaque toile est lourde de sens et de symbole et devient un véritable voyage en soit, un voyage hors du commun et inimitable.  Certaines toiles de l’exposition, comme la danse, expliquent à elles seules comment cet artiste aux confluents de nombreuses influences a su gagner le cœur des nombreux amateurs d’art que nous sommes.

Encore une belle exposition pour le musée du Luxembourg qui décidément depuis sa réouverture ne déçoit pas et enthousiasme à chaque fois d’avantage.

Le cercle de l’art moderne- collectionneur d’avant-garde au Havre

Voici typiquement le genre d’exposition qui ne me tentait pas du tout. Entre le titre et l’affiche, ça ne m’évoquait pas grand-chose et en vue du reste de la programmation en ce moment sur Paris, ce n’était pas ma priorité. Et pourtant, pourtant, il ne faut pas toujours se fier à ses aprioris car j’ai été agréablement surprise. En règle générale les expositions montées par le musée du Luxembourg ont le mérite d’être claires et non assommantes et celle-ci suit la tradition.  Vous pourrez en plus croiser des œuvres de Boudin, Monet, Modigliani, Renoir, Signac, Vlaminick. Une jolie surprise que je vous fais partager.

1. Claude Monet
The Business Harbor, 1874
Oil on Canvas – 37 x 45 cm
Liège, Musée d’Art moderne et d’Art contemporain
Photo : Musée de Liège

Je vous embarque donc pour le Havre du XIXème et du début du XXème siècle.

Eugène Boudin, La Plage de Trouville, vue de Deauville ,1889, Collection Van der Velde, Nicosie, The Leventis Municipal Museum © The A. G. Leventis Foundation

A cette époque, le port du Havre est en pleine extension, et la prospérité de la ville entraine de grands changements, notamment l’arrivée du train, en 1847 emmenant avec lui son lot de parisiens recherchant l’air du large. D’un point de vue artistique, de nouveaux collectionneurs vont émerger et s’attacher plus particulièrement à l’art moderne, dont l’impressionnisme, le fauvisme, le pointillisme…Les plus importants sont Olivier Senn, Charles-Auguste Marande, Pieter van der Velde, Georges Dussueil, Oscar Schmitz et Edouard Lüthy.

Ce sont les goûts différents mais convergeant de ces quatre collectionneurs que met en avant le musée du Luxembourg.

Seen (1864-15959) est le plus connu d’entre eux. Sa collection de près de 200 œuvres conservée dans son intégralité au musée du Havre est aussi la plus éclectique. Outre les paysages impressionnistes qui ont sa faveur on retrouve des postimpressionnistes, nabis et fauves, même des artistes plus anciens, moins modernes mais précurseurs tels Courbet et Delacroix.

La Parisienne de Montmartre
Kees Van Dongen Vers 1907 – 1908 huile sur toile,
64 x 53,2 cm ancienne collection Charles-Auguste Marande
Le Havre, Musée d’Art moderne André Malraux © MuMa,
le Havre – Florian Kleinefenn © Adagp, Paris 2012

Chaque collectionneur a ses préférences, les acquisitions sont personnelles mais sont aussi une pratique sociale, d’échanges et de partages des goûts. Pour Senn l’importance des œuvres néo-impressionnistes est significative, d’autres préfèrent les nabis et Van der Velde et Dusseuil sont parmi les premiers acheteurs de Matisse encore décrié à cette époque. Certains artistes se retrouvent un peu dans toutes les collections du Havre, notamment Eugène Boudin dont  Van der Velde acquit 37 œuvres. Boudin est le grand peintre de la région, à jamais rattaché aux plages et à la campagne de Normandie, c’est lui également qui va entrainer le tout jeune Claude Monet à peindre « sur le motif ». Albert Marquet a également la faveur de ces messieurs. Ami de Derain et Matisse, il fait figure de peintre fauve plus modéré, moins choquant.

Parmi les thèmes iconographiques on retiendra le nu qui attire ces messieurs tout en restant « présentable » notion toute relative. On trouve notamment la Saltimbanque au repos de Charles Camoin acquise par Van der Velde qui s ‘affiche dans sa nudité la plus crue aux yeux du spectateur tout comme la Belle Florence, toute en formes et rondeurs de Valloton que personne n’acheta pour sauver la morale. La Parisienne de Montmartre de Kees Von Dongen est certes moins dénudée mais a aussi échauffé quelques esprits par la force de son coloris, non sans rappelé la femme au chapeau de Matisse.

Félix Vallotton, La Valse , 1893, Le Havre, MuMa – Musée d’Art moderne André Malraux © Florian Kleinefenn

Entre 1906 et 1910, ce cercle d’amateurs, allié aux artistes Dufy, Braque et Friezs, fondent le Cercle de l’art moderne, affilié au fameux salon d’Automne de Paris, il veut promouvoir l’art moderne du Havre à travers différentes manifestations : expositions, concerts, lectures, conférences auxquelles participent Apollinaire ou Debussy. En quatre expositions, 272 œuvres ont été présentées comme manifeste de la modernité (Monet, Renoir, Sisley, Bonnard, Maurice Denis, Sérusier, Vallotton,Vuillard, Camoin, Derain, Manguin, Marquet, Matisse, Puy ou Vlaminck). Même si ce cercle ne survit pas à l’éloignement des membres fondateurs, il n’en reste pas moins un important exemple de décentralisation culturel assez rare en France et d’une richesse picturale indéniable à découvrir ou redécouvrir.

L’Anse des Pilotes et le brise-lame est, Le Havre, après-midi, temps ensoleillé
Camille Pissarro (1830 – 1903) 1903 huile sur toile, 53 x 64 cm Le Havre,
MuMa – Musée d’Art moderne André Malraux © RMN – Grand Palais / Gérard Blot

http://museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-16/Musée du Luxembourg du 19 septembre 2012 au 06 janvier 2013

CIMA : maître de la Renaissance vénitienne

Je suis désolée du retard car l’exposition que nous allons découvrir aujourd’hui se termine à la fin de la semaine, mais je ne l’ai vue qu’hier et je ne pouvais pas ne pas en parler ici tant la qualité des œuvres montrées m’a touchée.

Nous voici donc au musée du Luxembourg pour découvrir l’un des grands peintres de la Renaissance vénitienne : Cima da Conegliano (1459-1517). Certes son nom est moins connu du grand public qu’un Giovanni Bellini, d’un Giorgione ou d’un Titien mais Cima est pourtant l’un des maîtres de Venise entre la fin du XVe et le début XVI e siècle et cette exposition tend à lui redonner cette place. Une trentaine d’œuvres font ainsi revivre le talent de Cima. Elles sont parfaitement mises en valeur par une scénographie sobre et un éclairage qui met d’avantage en lumière ces tableaux.

Jacopo de’ Barbari (1475 – av. 1516), Vue perspective de la ville de Venise, gravure sur bois imprimée en six feuilles, 139 x 282 cm (l’ensemble). Paris, BNF, département des Estampes et de la Photographie

Venise durant le XVe et les XVIe siècles est une république toute puissante qui domine le  commerce et la marine du fait de sa puissante flotte et de son emplacement stratégique géographique. « La cité la plus glorieuse que j’aie jamais vue » disait l’ambassadeur Philipe de Commynes en 1495. L’exposition débute ainsi par le prêt exceptionnel de la BNF du plan de la cité exécuté par Jacopo de’ Barbari vers 1500. Il s’agit d’un plan xylographié de 3m de long témoignant de cette toute puissance vénitienne face aux autres cités italiques, à travers la représentation de la flotte et des dieux du commerce et de la mer : Mercure et Neptune. A travers cette majestueuse carte et les images des dieux, Venise se situe dans la tradition de Rome dont la Républicaine vénitienne se veut l’héritière.

L’art vénitien est aussi en pleine effervescence, en train de se définir comme une synthèse entre les formes flamandes et germaniques, dans la minutie des paysages et de la végétation et l’utilisation de la peinture à l’huile entres autres que maitrise parfaitement Cima et celles plus propres à l’Italie et Venise comme la perspective, le faste et l’ordonnance majestueuse.

Le Lion de saint Marc entre saint Jean-Baptiste, saint Jean l’Évangéliste, sainte Marie-Madeleine et saint Jérôme-1506-1508, Gallerie dell’Accademia (photo galleria dell accademia)

C’est dans ce contexte d’une cité des doges ultra puissante que l’art de Cima et des autres va s’épanouir avec des commandes importantes émanant de riches particuliers et surtout des scuole très importantes dans la société vénitienne. Une scuola  est une institution républicaine et laïque en lien avec les corporations de métiers et d’art placée sous le patronage d’un saint. Bien que non vénitien, l’artiste devient l’un de ses plus fameux représentants et en retour il témoigne toute la fierté de la cité des doges à travers cette majestueuse toile : Le Lion de saint Marc entre saint Jean-Baptiste, saint Jean, sainte Marie-Madeleine (Galleria dell Accademia) destinée à un tribunal.

Cima n’est pas né à Venise, il a grandi à Conegliano une petite ville de la Vénétie située aux pieds du massif des Dolomites et contrairement à beaucoup d’artistes de cette époque, il ne vient pas non plus d’une grande dynastie de peintres à l’image des deux plus importantes de cette époque : les Bellini et les Vivarini. Cima est né dans une famille aisée, son père travaillant dans le textile, d’où son nom, Cima-Cimatore, la tonte. Mais son souci de perfection dans le domaine du sacré lui vaut la reconnaissance de tous jusqu’au Doge de Venise et même au-delà des murs de la cité, comme à Parme où il a également travaillé. Comment a-t-il réussi ? Nul ne le sait vraiment, il s’agit surtout d’hypothèse. Il a peut-être été élève de Giovanni Bellini, ou du moins il a fortement été inspiré par ce dernier, ce qui est évident à la vue de la proximité stylistique des deux artistes.

Le Sommeil d’Endymion,Parme, Galleria Nazionale© Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN – Grand Palais / Georges Tatge

Cima est avant tout porté sur la peinture religieuse, c’est un peintre de retable mais en plein courant humaniste dont il est un représentant, certaines de ses peintures prennent pour sujet la mythologie païenne à l’image du Duel entre Thésée et le Minotaure (Pinacoteca di Brera)   ou du Sommeil d’Endymion (Parme, Galleria Nazionale).

Vierge à l’Enfant,Florence, Galleria degli Uffizi © Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN– Grand Palais / Daniela Camilli

L’exposition débute par des petits formats, déjà très prisé par Bellini, un Saint Jérôme et deux Vierge à l’enfant. Bien qu’encore maladroit c’est une impression de tendresse qui émane de cette œuvre de jeunesse par le simple geste du fils tenant le doigt de sa mère. Cima est certainement l’un des peintres qui sait le mieux rendre le corps et le visage des enfants, qui ressemblent à des enfants et qui sont plein de douceur. Puis c’est une succession de vierges, de saints,  de Christ toujours représentés avec une grâce propre à l’artiste. Après si vous n’aimez pas la peinture religieuse, évidement, ça risque d’être difficile pour vous.

Le style de Cima est vite identifiable et n’évolue presque pas. C’est un style raffiné où la recherche du détail est précieuse, à travers des riches drapés ornés de décors somptueux, notamment sur les manteaux de l’évêque saint Magne (L’Incrédulité de saint Thomas et l’évêque Saint Magne– Galleria dell’Accademia) et de saint Nicolas de Bari (L’Archange Raphaël et Tobie entre saint Jacques le Majeur et saint Nicolas de Bari– Galleria dell’Academia). C’est juste somptueux. Nous ne sommes pas encore dans le règne prédominant de la couleur sur le dessin dont Titien, Véronèse et Tintoret seront les maîtres quelques décennies plus tard. Cima tient à la minutie du dessin et cela se ressent très vite, dans les lignes des visages très structurées mais toujours très doux car il maîtrise aussi parfaitement le rendu de la  couleur. Elle est vive et lumineuse, elle transcende les différents sujets et fait se détacher d’autant plus les personnages très sculpturaux à l’image du Saint Sébastien (musée des BA de Strasbourg) sur un paysage toujours très caractéristique. Il peut superposer plusieurs couches de glacis pour créer un effet d’une extrême profondeur notamment pour les tons rouges et bleus qui s’opposent à des carnations souvent pâles.

L’Incrédulité de saint Thomas et l’évêque saint Magne 1504-05, Galleria dell’Accademia
© Soprintendenza speciale per il Polo Museale di Venezia, Galleria dell’Accademia

Mais revenons justement sur ce paysage si caractéristique de cette époque. Il est vaste et s’étend derrière les personnages pour les ancrer dans le réel car c’est sa Vénétie natale qu’il prend pour modèle et qu’il sublime toute en poésie.  Les tons sont étudiés pour se fondre dans l’ensemble. En 1674, Marco Boschini disait que la nature avait pris Cima pour frère tellement il essaye d’en être le plus proche possible. Dans cette nature, la trace l’homme se manifeste à travers de remarquables représentations d’architecture, soit en encadrement du premier plan, soit en arrière-plan. Il place le sacré en plein air, au lieu de l’enfermer dans un décor strict et sévère. Il lui apporte toute la lumière d’un grand ciel bleu. Regardez notamment la beauté dans la représentation de ce temple païen dans Vierge à l’Enfant avec saint Michel archange et saint André apôtre (Galleria Nazionale – Parmes) au milieu duquel se place les personnages. C’est aussi tout l’humanisme de cette époque qui transparait à travers une redécouverte de plus en plus précise de l’Antiquité.

Vierge à l’Enfant entre saint Michel archange et saint André l’apôtre
Vers 1496-1498, Parme, Galleria Nazionale, © Archives Alinari, Florence, Dist. Réunion des musées nationaux – Grand Palais / Georges Tatge

La fin de l’exposition montre bien le dialogue artistique dans lequel se situe Cima, dialogue entres les époques et les artistes. On peut citer Dürer dont le rapprochement se fait à travers deux œuvres : le christ à la couronne d’épines (national gallery) et la Vierge allaitant (Rijksmuseum).


Le Christ couronné d’épines, v.1505 Londres, The National Gallery
© The National Gallery, Londres. Dist. Service presse Réunion des musées nationaux – Grand Palais /
Vierge allaitant l’Enfant dans un paysage, Vers 1514-1517, Amsterdam, Rijksmuseum

Le premier est dans sa composition à rapprocher des gravures du peintre allemand et témoigne d’une intense expressivité accentué par ce cadrage serré. Observez le teint cireux, ses lèvres violacées et surtout son regard perdu cerclé de sang.

La vierge allaitant qui est peut-être son ultime œuvre, reprend aussi une pose présente dans une gravure de Dürer, la madone près de l’arbre et évoque l’art de Giorgione et Titien qui suivront.

C’est donc une très belle exposition, courte, certes, mais au musée du Luxembourg c’est souvent le cas (et oui le prix d’entrée n’est pas proportionnel au nombre de chef-d’œuvres). De plus, les explications sont très complètes et les tableaux majeurs sont complétés par des cartels plus fournis. Du coup malgré l’absence d’audioguide (oui je résiste) tout reste fluide et compréhensible.

L’Archange Raphaël et Tobie entre saint Jacques le Majeur et saint Nicolas de Bari, 1514-15, Venise, Galleria dell’Academia, © Soprintendenza special per il Polo Museale di Venezia, Galleria dell’Academia

Si vous êtes en vacances dans le coin et que vous ne l’avez pas vu et si en plus vous aimez la Renaissance, ce serait un crime de la manquer. Bon peut-être pas un crime, mais dommage…

Cima da Conegliano, Maître de la Renaissance vénitienne, Musée du Luxembourg. Jusqu’au 15 juillet 2012

COMMISSARIAT GENERAL :

Giovanni C. F Villa, professeur en histoire de l’art à l’Université de Bergame, spécialiste de la peinture vénitienne de la Renaissance

http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-10/