Après avoir été tant charmée par l’exposition sur la Comédie Française au Petit Palais il y a quelques mois, j’étais plus que tentée par l’affiche montrant Rachel qui invite à venir voir dans un autre et non moins charmant musée parisien, le musée de la vie romantique, une exposition sur le Théâtre romantique.
Bienvenue donc dans cette charmante demeure nichée au pied de Montmartre, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, qui fut autrefois la maison d’Ary Scheffer, où Georges Sand passa de nombreuses heures et où les murs ont gardé l’odeur des vieilles choses.
120 œuvres issues du Musée Carnavalet sont présentées pour nous faire découvrir toute l’effervescence d’un monde, celui du théâtre parisien, à un moment crucial de son histoire. Tous les genres sont évoqués, le vaudeville, l’opéra, le mélodrame, le mime, le ballet ; les plus grands noms sont cités, Talma et Rachel que j’ai déjà eu l’occasion de vous faire découvrir mais également le mime Deburau, Maria Malibran Fanny Elssler ou la charmante Marie Taglioni ; les sublimes décors et costumes sont aussi évoqués. Alors venez, entrez et regardez derrière le rideau, à travers une exposition conçue en trois parties : le grand et le petit théâtre, la naissance du ballet romantique et le décor de théâtre.
Le XIXe siècle voit naître de grands changements dans le monde du spectacle, que ce soit le théâtre ou l’opéra. Paris devient la capitale européenne de cet univers foisonnant en renouvellement complet.
C’est ici, dans la ville pas encore lumière qu’est concentré le plus grand nombre de salles en Europe, privées ou subventionnées. Et c’est sur toutes ces scènes que s’opèrent les changements à travers notamment la redécouverte d’auteurs comme Shakespeare qui incarne par sa faculté à traiter tous les genres et à toucher tous les publics cette nouveauté recherchée.
Stendhal grand admirateur du dramaturge britannique dans Racine et Shakespeare (1823-25) tend à prouver que ce dernier est supérieur à Racine et exprimer son désir de voir abolir la versification pour une représentation plus proche de la réalité, pour former au théâtre une illusion parfaite.
Victor Hugo, le chantre du drame Romantique avec la célèbre bataille d’Hernani en 1830, le définit dans la Préface de Cromwell (1827) comme une somme de toutes choses, un mélange de genre, d’action, de pensées ou de registres. Il l’oppose à la tragédie classique en reniant la règle d’or de l’unité (unité de lieu, de temps et d’action). Hugo impose cinq lignes directrices au drame romantique :
– reproduire la vie réelle (mélange des genres)
– rejeter le classicisme à travers le refus des 3 unités ou de la bienséance qui empêche le réalisme.
– rechercher la liberté créatrice et l’invention totale
– maintenir la versification
– peindre une « couleur locale »
La première salle de l’exposition évoque tous ces acteurs qui ont contribués à révolutionner le théâtre dans leurs manières de jouer avec une série de petits bustes de Jean-Pierre Dantan qui portraiture toute la société de son temps ; mais aussi de beaux portraits.
Regardez Talma sur cette petite toile de Louis Hersent, le regard fier et frondeur dans son costume antique. Talma (1763-1826), acteur préféré de Napoléon et talent incontestable renouvelle le costume accompagné du peintre David. Ensemble ils cherchent le réalisme historique dans la manière de s’habiller pour un rôle. Plus question de jouer dans des costumes de son temps, s’il doit jouer dans Brutus, il sera habiller en romain, même si les bras et les jambes nues peuvent choquer. Talma renouvelle aussi le jeu même du comédien, qui est d’avantage mis en valeur en tant qu’artiste et plus simplement en dicteur de textes. « Avec [la mort de] Talma, toute tragédie est descendue dans la tombe. La France croyait encore à la tragédie ; lui mort, la tragédie a été mise au rang des croyances abolies » disait Jules Janin, écrivain et critique dramatique.
Mais le 12 juin 1838, une comédienne va apparaître sur la scène du Théâtre-français en Camille d’Horace pour redonner vie à la Tragédie et en devenir la reine incontestable. Cette comédienne c’est Rachel (1821-1858) dont on peut voir le magnifique portrait d’O’connel d’elle dans le rôle de Phèdre. Quelle intensité dans le regard, ce n’est pas Rachel, mais Phèdre qui est devant nous sous les traits de Rachel, la plus grande tragédienne du XIXème siècle qui est évoquée de nombreuses fois dans l’exposition notamment à travers ses accessoires de scène, ses bijoux ou ses petits souliers de soie.
Les grands tragédiens ne sont pas les seuls à l’honneur. Les différentes « stars » des nombreuses salles parisiennes sont évoquées, car elles étaient nombreuses. Alors certes, le mot est anachronique mais à notre époque où tout le monde revendique la célébrité mais ou peu peuvent se prétendre star au sens le plus pure, je le trouvais plutôt
parlant. Les mimes Deburau, père et fils ont par exemple une belle part à travers un portrait de dos, du mime se regardant dans le miroir. Deburau fils ne se destinait pas du tout à ce genre, il se rêvait tragédien. Mais à la mort de son père, alors qu’il n’a lui-même que 17ans, la ressemblance physique, les mêmes grandes jambes, les mêmes grands bras, le pousse sur le devant de la scène du Théâtre des Funambule puis aux Délassements-Comiques, ressuscitant ainsi son père devant une foule en liesse et devenant à son tour un Pierrot légendaire.
Au-delà des acteurs ce sont aussi leurs costumes qui sont mis à l’honneur à travers l’exposition de nombreuses illustrations dues pour la plupart à Louis Maleuvre, Joly, Auguste Raffet, Paul Gavarni et Carle Vernet (c’est amusant de voir qu’il ne fait pas que des scènes de chasse d’ailleurs). On retrouve notamment la Petite galerie dramatique ou recueil des différents costumes d’acteurs des théâtres de la capitale publiée en 1796 par Aaron Martinet qui représente les acteurs dans les costumes de leurs rôles les plus célèbres. Elle va se perpétuer sous divers noms jusqu’à la fin du XIXème siècle : la galerie théâtrale en 1844 et la nouvelle galerie dramatique en 1872 formant un tout de 2930 planches qui sont un témoignage précieux sur l’évolution du costume.
Preuve que tous les genres sont ici traités, nous quittons le théâtre pour rejoindre l’Opéra. Après la destruction par Louis XVIII de l’Opéra de la rue de Richelieu et avant la construction de l’opéra Garnier, c’est la salle Le Peltier conçu pour être temporaire, qui va accueillir entre 1821 et 1873 les plus grands opéras de son temps, la sublime voix de la célèbre Maria Malibran ou de Marietta Alboni mais aussi la naissance du ballet romantique à travers ses plus fameuses ballerines. C’est cet opéra que l’on retrouve notamment chez Degas dans ses peintures de petites danseuses.
Deux d’entre- elles ont particulièrement fait battre le cœur de leurs contemporains : Marie Taglioni et Fanny Elssler au point de mener la passion qu’elles déchainèrent à une lutte enflammée entre Taglionistes et Elsseleristes.
Marie Taglioni est la fille d’un chorégraphe italien et d’une danseuse suédoise. Elle incarne le changement et devient la première ballerine moderne, la première en tutu, grâce au premier ballet romantique créé en 1832 pour elle par son père qui adapte la chorégraphie à sa technique et à sa morphologie, la sylphide.
L’autrichienne Fanny Elssler fut engagée à Paris en 1834 et s’impose comme une grande danseuse grâce à son interprétation accompagnée de castagnettes de la cachuta dans le Diable Boiteux en 1836 où elle devient l’incarnation fougueuse même de cette danse comme Marie Taglioni était l’éthérée sylphide. La cachuta marque aussi l’entrée dans les chorégraphies de danses plus exotiques.
Avec Carlotta Grisi, Taglioni et Elssler forment les trois grâces du ballet romantique. Grisi a pour sa part créé le rôle de Giselle 1841, considéré comme l’apothéose du ballet romantique. Elle était aussi une amie et une muse de Théophile Gautier dont sa sœur était la compagne.
La période du ballet romantique traditionnellement retenue se situe entre 1827 et 1845-1850 et se caractérise par un style éthéré, des histoires inspirées des mythologies nordiques pleine de fées et de trolls, une nature enchanteresse et du surnaturelle plus présents. Sylphide, présenté en 1832 est considéré comme le premier des ballets romantiques même si d’autres lui avaient ouvert la voie, notamment Flore et Zéphire, présenté en 1815 à Paris. Giselle en 1841 en est un archétype parfait dans le mélange des genres et son histoire d’amour surpassant la mort, thème fort apprécié.
La ballerine devient le centre du ballet, elle qui n’était qu’un faire-valoir pour le danseur. Les techniques de pointe et des jambes deviennent plus importantes dans la chorégraphie et attirent les regards grâce au tutu qui fait son apparition. La technique et la difficulté doit pourtant s’effacer derrière une impression de légèreté et de grâce qui caractérise le ballet romantique.
La scène de théâtre ou d’opéra change aussi et ses décors constituent la troisième partie de l’exposition. A l’image de la diction ou du costume, la décoration tend aussi vers un réalisme plus profond qui fait voyager au premier coup d’œil. La recherche d’une réalité historique n’est pas que dans le fond, elle touche aussi la forme.
La somptuosité déployée est telle qu’elle éclipse parfois tout le reste. L’éclairage au gaz permet de rendre des ambiances plus profondes, plus réelle. C’est l’une des grandes innovations du XIXème siècle. Louis Daguerre à l’Ambigu comique est une figure fondamentale de l’évolution de la mise en scène avec ses inventions telles le cyclorama ou le diorama (1822) qui tentent de reproduire des phénomènes naturels comme un lever de soleil ou la lumière de la lune.
L’une des plus belles salles de l’exposition est celle où sont montrées les décors peints par Cicéri ou Chaperon. Le ballet Robert le diable, dont les décors sont conçus par Cicéri a profondément marqué les esprits par la beauté de ces derniers, notamment le troisième acte où le spectateur rentre littéralement dans le cloître de Sainte-Rosalie. C’est un voyage dans milles lieux et milles temps à travers ses décors qui s’offre à nous.
Cette exposition tient donc toutes ses promesses, une petite parenthèse enchanteresse, dans un lieu qui ne l’est pas moins. Un voyage au pays du théâtre et des tutus, une immersion dans un monde mystérieux et fascinant plein de légendes qui ont gravées leurs noms dans la pierre et conditionnées le monde du spectacle actuel.
En conclusion, j’aime toujours autant les expositions sur ce thème !
Musée de la Vie Romantique : du 13 mars au 15 juillet 2012
Commissariat : Daniel Marchesseau, Directeur du musée de la Vie romantique ; Jean-Marie Bruson, Conservateur général au musée Carnavalet
Liens :
1) http://www.paris.fr/loisirs/musees-expos/musee-de-la-vie-romantique/theatres-romantiques-a-paris-collections-du-musee-carnavalet-du-13-mars-au-15 juillet/rub_5851_actu_110115_port_24533
2 ) http://chroniquesdelacostumerie.fr/le-theatre-romantique-acteurs-et-decors/
3) http://chroniquesdelacostumerie.fr/ballets-romantiques-et-costumes-de-scene/
4 ) http://www.latribunedelart.com/theatres-romantiques-a-paris-collections-du-musee-carnavalet-article003667.html
5) http://www.clioetcalliope.com/cont/romantisme/theatre.htm