La face sombre de Rome se dévoile, bienvenue dans ses bas-fonds.

Les-bas-fonds-du-Baroque-Petit-Palais-Paris-24-02-24-05-2015Je sais que cette exposition se termine dans 4 jours et que de fait je ne vous apprendrai peut-être pas grand-chose, mais pour tous ceux qui attendent la dernière minute, qui se disent « c’est bon j’ai le temps » et qui se réveillent trop tard comme moi parfois, peut-être que vous je vous aiderai à vous décider si oui ou non l’exposition vaut le coup.

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Et pour ne pas m’étaler dans un suspense inutile, la réponse est oui! Un grand oui !

Pour commencer la scénographie de Pier Luigi Pizzi est superbe, on est plongé d’entrée dans les rues de Rome au XVIIème siècle avec ses façades baroques d’après Giovanni Battista Falda et une grande carte nous accueille afin de voir où vivaient les différents artistes venus de toute l’Europe : Jusepe de Ribera, Simon Vouet,  Bartolomeo Manfredi, Gerrit van Honthorst et tant d’autres comme Les Bentvueghels, peintres nordistes qui avaient formés une quasi-corporation.

Lingelbach, scalinata del campidoglio
Lingelbach, scalinata del campidoglio

Organisée en premier lieu par l’Académie de France à Rome-Villa Médicis, cette exposition n’est pas là pour nous faire rêver sur les beautés étourdissantes de la Rome papale, cette Rome de faste et de palais. Ici on est dans la rue, les cloaques, les tavernes miteuses où rodent quelques voleurs de grands chemins. On est dans les bas-fonds comme le dit si bien le titre. Au pied des ruines romaines, vivait alors un peuple que les grands ne voyaient pas mais que ces peintres ont immortalisé.

Derrière la beauté des murs, se cache une réalité plus sombre que le caravagisme transcrit parfaitement par des jeux de clair-obscur brutale et sans concessions mais que d’autres peintres vont aussi merveilleusement illustrer.

L’approche choisie est thématique. On commence par un face à face avec une figure presque tutélaire pour ces artistes, Bacchus, dieu du vin et de l’ivresse mais aussi dieu qui inspire la folie et la création que déjà Caravage peignait de manière provocatrice.

Parmi les thèmes représentés on trouve la magie, la sorcellerie, sombre et déroutante avec ses monstres venus d’un autre monde ; les tavernes, lieux sordides où le vice règne incarné par la diseuse de bonne-aventure qui trompe tout le monde jusqu’au spectateur, lieu de musique aussi qu’on écoute l’air fuyant.

Giovanni Lanfranco, "Jeune homme nu sur un lit
Giovanni Lanfranco, « Jeune homme nu sur un lit
Simon Vouet la diseuse de bonne aventure
Simon Vouet la diseuse de bonne aventure

Le peintre lui-même se montre provocant en peignant de manière irrévérencieuse la « fica », geste à connotation sexuelle qu’on retrouve partout ; hors ou dans les tavernes la violence est manifeste à travers les nombreuses rixes qui animent les rues et les hommes. On rencontre aussi des figures sombres, ces gens des rues dont les peintres peignent le portrait dans un souci de recherche naturaliste, le mendiant, la prostitué, le bandit de grand chemin. Eux aussi ont le droit d’être portraituré à l’image des plus grands, mais sans détours, ni atours, sans embellissements, dans la dureté de leur quotidien souvent misérable. Le mendiant de Ribera est à ce titre très parlant, avec son visage qui se détache à peine de la noirceur dans laquelle il se trouve.

Ribera, mendiant
Ribera, mendiant

Une exposition troublante donc, point de sublimes œuvres invitant à la contemplation mais des peintures montrant l’humanité dans ce qu’elle a de plus sombre, l’autre partie du miroir en quelque sorte mais une partie fascinante qui éveille en nous spectateur le goût de l’aventure comme quand on regarde un film de pirates ou de brigands.

Du 24 février au 24 mai. Petit Palais

Commissaires:
Francesca Cappelletti, professeur à l’université de Ferrare
Annick Lemoine, chargée de mission pour l’histoire de l’art à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, maître de conférences à l’université Rennes 2
Christophe Leribault, directeur du Petit Palais

Une passion italienne chez Jacquemart-André : De Giotto à Caravage, les passions de Roberto Longhi

L’expo Vélasquez étant prise d’assaut, je me suis retranchée vers l’un de mes musées fétiches, petit élégant, raffiné et peu encombré, le musée Jacquemart-André.

Caravage, Michelangelo Merisi dit (1571 - 1610) Garçon mordu par un lézard 1594, huile sur toile, 65,8 x 52,3 cm Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi © Firenze, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
Caravage, Michelangelo Merisi dit (1571 – 1610)
Garçon mordu par un lézard
1594, huile sur toile, 65,8 x 52,3 cm
Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
© Firenze, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi

Point d’exposition monographique ici, mais plutôt une vision de connaisseur éclairé, celle de Roberto Longhi (1890 – 1970), historien d’art italien qui insuffla un vent de modernité dans la connaissance de la peinture italienne.  Ses grandes connaissances et sa mémoire visuelle lui permirent de tisser des liens entre les différents artistes et de remettre à des places centrales certains peintres jusqu’alors délaisser : des primitifs comme Giotto ou encore Caravaggio et Piero Della Francesca dont il fut l’un des grands spécialistes.
Grand collectionneur d’œuvres du caravagisme, l’exposition montre des œuvres de la Fondation Longhi ainsi que de multiples prêts de musées italiens. Il s’agit ici de présenter les centres d’intérêt de robert Longhi, sa pensée et en même temps de révéler l’influence d’un peintre comme Le Caravage dans la Rome et l’Europe du XVIIème siècle.

Vous verrez ainsi des peintres du trecento, Giotto notamment et du quattrocento, des peintres du XVII et XVIIIème siècle et même des allusions à l’art du XXème siècle auquel Longhi n’était pas insensible.

Bartolomeo Manfredi (1582 – 1622)  Vers 1615, huile sur toile, 157 x 235 cm Le Mans, Musée de Tessé © Le Mans, musée de Tessé
Bartolomeo Manfredi (1582 – 1622)
Vers 1615, huile sur toile, 157 x 235 cm
Le Mans, Musée de Tessé
© Le Mans, musée de Tessé

Mais il est vrai que la plus belle partie du parcours concerne l’œuvre de Michelangelo Merisi da Caravaggio qu’on appelle plus simplement en France Caravage ou Le Caravage.
Peintre tourmenté dont la vie privée éclipsa longtemps son art, il est pourtant la figure centrale de la peinture du XVIIème siècle et nombreux sont ceux à se réclamer de son style, à reprendre des thèmes qui lui sont chers, jusqu’au XIXème siècle ou un peintre comme Gustave Courbet peut assez facilement s’en proclamer l’héritier.

La peinture du Caravage se caractérise d’abord par un travail très brut de la lumière, assez novateur. Le jeu des ombres, le clair-obscur  (chiaroscuro) modèle les formes et donnes à ses toiles une atmosphère identifiable entre mille. L’artiste va chercher ses modèles dans la rue, il ne cherche pas une beauté idéale classique, il montre une vérité nue, parfois dure. Il choisit aussi des thèmes montrant la duplicité, la violence, la mort. L’art de Caravage est novateur, en rupture mais aussi inspiré.

Matthias Stomer (vers 1600 – après 1650) Annonce de la naissance de Samson à Manoach et à sa femme Vers 1630 - 1632 Huile sur toile 99 x 124,8 cm Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi © Firenze, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
Matthias Stomer (vers 1600 – après 1650)
Annonce de la naissance de Samson à Manoach et à sa femme
Vers 1630 – 1632
Huile sur toile
99 x 124,8 cm
Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
© Firenze, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi

« N’ayant pas eu de maître, il n’eut pas d’élèves » disait Longhi. Ici sont présentés pourtant quelques peintres qui se réclamèrent sans aucun doute du Caravage comme Carlo Saraceni, Orazio Gentileshi, Mattia Preti, Giovanni Lanfranco et même en dehors d’Italie, l’espagnol José de Ribera et le hollandais Matthias Stomer. Le lien stylistique est assez net dans le traitement de la lumière qui découpe abruptement les corps sur des fonds sobres, mais il y a aussi une connivence thématique. L’exposition le montre parfaitement à travers un corpus d’œuvres sur la Passion du christ, thème cher au Caravage que l’on retrouve chez ses suiveurs.

Jusepe Ribera (1591 – 1652) Saint Thomas Vers 1612 Huile sur toile 126 x 97 cm Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi © Studio Sébert Photographes
Jusepe Ribera (1591 – 1652)
Saint Thomas
Vers 1612
Huile sur toile
126 x 97 cm
Florence, Fondazione di Studi di Storia
dell’Arte Roberto Longhi
© Studio Sébert Photographes

Alors certes à part le Garçon mordu par un lézard, il n’y a pas de chef d’œuvres mondialement connus qui sont exposés ici mais certaines toiles captent l’attention et je trouve personnellement qu’on n’accorde pas encore assez d’attention aux œuvres du Caravage, dont j’attends toujorus une grande exposition. C’est donc un avant-goût appréciable et surtout l’occasion de découvrir des artistes et des toiles moins célèbres mais qui ont tout de même de belles qualités.

Donc si comme moi vous vous cassez les dents sur la file d’attente du Grand Palais, sachez que Jacquemart André n’est pas si loin 😉

DU 27 MARS AU 20 JUILLET 2015

Commissaire générale de l’exposition : le Prof. Mina Gregori, ancienne élève de Roberto Longhi, historienne de l’art spécialiste du Caravage et présidente de la Fondation Roberto Longhi pour l’Étude de l’Histoire de l’Art (Florence).

Commissaire générale adjoint de l’exposition : le Prof. Maria Cristina Bandera, directrice scientifique de la Fondation Roberto Longhi pour l’Étude de l’Histoire de l’Art (Florence).

Commissaire de l’exposition : M. Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André depuis 1993.