Pompéi – Un art de vivre

Pompéi- Un art de Vivre.
Musée Maillol. 22/09/2011-12/02/2012.

Comité Scientifique : Teresa Elena Cinquantaquattro, Surintendante, Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di
Napoli e Pompei, Alain Pasquier, Conservateur général honoraire du Patrimoine
Commissariat de l’exposition : Valeria Sampaolo, Directrice du Museo Archeologico Nazionale di Napoli, Antonio Varone, Directeur des fouilles de Pompéi, Stefano De Caro, Directeur général honoraire du Patrimoine archéologique, Professeur à l’Università Federico II di Napoli
Scénographe : Hubert le Gall

Par ce mardi 01 novembre tout gris, pour une fois, je n’étais pas la seule de repos et donc pas seule et perdue dans une exposition, et ce dans tous les sens du terme.
C’est bien la première fois que je fais la queue pour entrer à Maillol et que l’âge moyen est en dessous des 65ans ; bon en même temps ce n’est que la 3eme ou 4eme que je viens…Surtout le thème de l’exposition est (surtout pour moi qui a un petit, mais tout petit côté monomaniaque de l’Antiquité) plus qu’accrocheur : Pompéi. Juste le nom fait rêver, ville romaine ou un drame absolu à figer le temps il y a 1932ans. J’ai la chance d’avoir visité la ville il y a plusieurs années, c’est un site extraordinaire, mais je suis consciente que tout le monde n’est pas dans ce cas et par cette météo qui vire au gris, pour s’évader en Campanie et faire un bon dans le temps, c’est moins cher qu’un billet d’avion.

Là où l’exposition est réussie, c’est qu’elle ne se contente pas d’affiler plein d’objets sortis des cendres et du tuf, elle offre un angle plus spécifique. Elle aborde la vie quotidienne des romains à travers un parcours qui vous fait visiter une domus pompeiana à travers 200 objets tous plus beaux les uns que les autres venus des fouilles de Pompéi, du musée archéologique de Naples et de l’Antiquarium de Boscoreale. Ce choix est judicieux car c’est la spécificité même des découvertes de Pompéi et Herculanum. On connaissait les monuments publics romains qui ont traversé les siècles : les théâtres et amphithéâtres, les temples, le forum etc. Mais le quotidien même de ces habitants était relativement méconnu et tout d’un coup c’est tout un voile qui se lève pour laisser voir non pas une idée de ce quotidien, mais ce qu’il était le plus exactement possible. De plus, nous ne sommes pas à Rome où les habitants obéissaient à des règles plus strictes, avec les fameuses insulae, qui accueillaient plusieurs familles. Nous sommes dans une ville de Province sans importance politique particulière, une ville prospère de par sa situation géographique, une ville ou l’hellénisme est très présent et où le raffinement et la douceur de vivre définissent un quotidien plus épicurien loin des tracas de Rome.

Avant de commencer la visite de cette domus, un tout petit rappel sur Pompéi et son histoire.
Fondée avant le VIème siècle av. J.C par un regroupement de 5 villages Osques, la ville va être successivement sous l’influence des Grecs, des Etrusques, à nouveau des Grecs et des Samnites.
Elle devient officiellement colonie romaine (colonia Cornelia Veneria Pompeianorum) par la volonté de Sylla en 80 av. J.C.
En 62 de notre ère, la ville subit un tremblement de terre important qui détruit de nombreux monuments qu’on commence à restaurer. Suétone en mentionne un autre plus faible en 65 alors que Néron était en pleine représentation théatrale. 5ans plus tard, des secousses telluriques font fuir une partie de la population, et en 79, sous le règne de Titus le Vésuve entre en éruption et crache ses entrailles sur la baie de Naples.

Joseph Wright of Derby, Eruption du Vesuve, vue de Portici, 1774-1776

Traditionnellement, on situe l’éruption les 24 et 25 août 79, mais des découvertes récentes la placeraient plutôt au début de l’Automne. Grâce aux fouilles et à Pline Le Jeune qui observait la scène depuis Misène, des siècles plus tard nous pouvons nous faire une idée précise des évènements : pendant près de 20h une pluie de pierre ponce s’est abattue sur les environs puis les nuées ardentes de près de 350° ont tout recouvert et anéanties toutes traces de vie. Même si il est difficile d’estimer le nombre de morts, par rapport aux nombres d’habitants, c’est probablement 30 000 victimes qui ont péris à Pompéi, Herculanum, Oplontis et Strabie. Il est important de se rappeler que ce miracle archéologique est avant tout une terrible catastrophe qui a profondément marqué son époque.

Suite à cela, la ville s’est retrouvée comme endormie, enfouie et cachée à la vue de tous, elle en est même oubliée.
Sans raconter en détails les découvertes ce qui ferait un article très très long, voici un petit résumé :
Même si des découvertes fortuites ont été faites avant, c’est surtout au XVIIIème siècle que la ville va lentement émergée et revoir le soleil. Oh bien sûre, ce n’est pas tout de suite un consciencieux travail archéologique qui se met en place. Le comte d’Elbeuf qui découvre Herculanum en 1719 où il a une villa, est certes un amateur d’histoire mais est bien plus intéresser par trouver de beaux objets pour son trésor personnel. Les fouilles officielles commencent en 1748 par la volonté de Charles III de Bourbon et ce n’est qu’en 1763 que les découvertes permettent enfin de mettre un nom sur le site : « Pompéi ».

moulage de chien. © Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei/Fotografica Foglia

Au XIXème siècle, le directeur des fouilles Giuseppe Fiorelli, nommé en 1863 par Victor-Emmanuel II va donner un nouvel essor aux travaux qui deviennent plus méthodiques. Il fait éloigner les décombres, protéger les décombres, procéder au dégagement des demeures par le toit et non plus par des tunnels qu’on creusait à tout va. Il met en place une dénomination castrale unique à tous les édifices et un véritable relevé topographique : les fouilles sont désormais un instrument de connaissance. C’est lui aussi qui en coulant du plâtre dans les vides des couches de pierres ponces et de cendres de corps figés, permit de les sauvegarder et d’avoir ces images saisissantes et figées. « Fiorelli, tu as mis à jour la douleur et nul homme ne peut ne pas la ressentir » disait Luigi Settembrini. Cela résume parfaitement ce que l’on peut ressentir devant ces formes crispées de douleurs qui ont été un jour des êtres vivants comme nous. L’exposition en montre dès le début, un moulage de deux corps serrés l’un contre l’autre. La tête de l’un posée sur la poitrine de l’autre ; et il y a ce chien, improbablement contorsionné. Il le faut le voir pour comprendre.
Aujourd’hui on estime à 44hectares la superficie étudiée sur les 66 que compte le site. Les autorités pensent sérieusement à en laisser une partie

La maison des Gladiateurs effondrée.

enfouie pour la préserver pour les prochaines générations, d’autant plus que sauvegarder toute cette ville est un travail titanesque et couteux. A la merci de intempéries, du climat et des touristes, la ville est plus fragile que jamais et l’écroulement de la maison des gladiateurs et du mur de la maison du Moraliste en 2010, ainsi qu’un mur d’enceinte en octobre dernier.

Mais revenons à l’exposition. Déjà la domus, mais qu’est-ce donc ? C’est la maison familiale, dont le chef de famille est le dominus. Ceux qui regardent la série Rome, on peut être remarqué qu’Attia est appelé domina par ses esclaves. Les maisons pompéines sont sur un ou deux étages, mais pas plus, je vous l’ai dit, nous ne sommes pas dans la promiscuité de la capitale. L’intimité n’en est pas pour autant de mise, surtout dans les grandes propriétés où les esclaves sont nombreux. Elle n’a pas de contacts avec la rue, dans le sens où elle est tournée sur elle-même. Les parties tournées sur la rue sont réservées aux échoppes (tabernae). Pour autant la notion de privée, n’est pas tout à fait la même que la nôtre. La maison est en partie publique. La domus doit refléter le statut social et le prestige de son propriétaire qui y reçoit sa clientèle et qui y travaille.

Plan d’une domus type

A l’origine, elles sont ovales, comme la cabane de Romulus, puis avec l’influence étrusque, le plan devient rectangulaire et l’atrium en devient son cœur et le lieu d’accueil. Certains linguistes pensent qu’étymologiquement atrium vient de atrum, noir car c’est là que se situait le foyer et qu’on prenait les repas et que de fait les murs étaient noirs. Une ouverture dans le toit, le compluvium apporte la lumière et la pluie qui est recueillie dans un petit bassin, l’impluvium. Le lararum, le coffre-fort ou le mobilier de marbre sont un symbole du statut social.

coffre de bronze © Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei/Archivio dell’Arte/Luciano Pedicini

Un petit mot sur les divinités domestiques. La religion fait partie intégrante du quotidien d’un romain. Chaque famille en plus des dieux de la ville ou de l’Empire, honore ses propres divinités qui sont les lares, les pénates et les génies.

Laraire de la maison du Poète

Le lare est une divinité protectrice du terroir sur lequel vit la famille. Son culte est donc l’affaire de tous les habitants de la domus, c’est-à-dire la famille et les esclaves. Depuis le début de l’Empire il est représenté en jeune danseur avec une corne d’abondance, un rhyton ou une patera.
Le génie du paterfamilias est lui la personnification de la puissance d’une personne ou d’un lieu représenté souvent en serpent.
Enfin les pénates, les divinités certainement les plus anciennes sont des dieux adorés par la famille comme Mercure, Vesta ou Vénus. Ils sont protecteurs du foyer, des biens et du feu et sont héréditaires A la différence des autres, on peut les emporter avec soi en voyage. Ainsi Enée en quittant Troie a emporté ceux de sa famille et selon la légende c’est là leur origine.

Fresque de laraire (Terzigno) H. 210 ; L. 260 cm Inv. 86755 Fouilles de Pompéi (Antiquarium de Boscoreale)

Le lararium qui les abrite est une niche ou une petite chapelle parfois décorée où se déroule l’essentiel du culte domestique. Il peut y avoir aussi des laraires mineurs, comme dans la cuisine, qui ne sont que des édicules peints.

trois divinités dans des médaillons

Le triclinium, est également un lieu de représentation sociale où la symbolique est très forte. Le mot vient du fait qu’il y avait 3 couchettes (clena) dedans et la façon de s’y installer était liée au statut (épouse, invité, maître..). La décoration peut évoquer la pièce en elle-même, la mythologie et parfois rappeler le cosmos. Une multitude d’objets ont été retrouvés et nous permettent de nous représenter clairement un triclinium pompéien :

OEnochoé . Ier siècle après J.-C. d’Herculanum, réserves archéologiques © Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei

des pieds de lits triclinaires, des tables, de la vaisselle en bronze, argent, terre-cuite et verre. Les « esclaves muets » sont particulièrement représentatifs d’un certain raffinement, ce sont des petites sculptures de bronze, copies de sculpture grecs qui portent la lumière ou des plateaux.
C’est là que se passe la cena, le repas le plus important, qui débute vers 15h et qui est une tradition de partage de nourriture et de boisson héritée des banquets grecs. Cela commence par le gustacio (hors-d’œuvre, souvent des œufs), puis une série de plats (prima mensa) et enfin les desserts (secunda mensa), le tout parfois accompagné de danseurs et musiciens et bien sûr de vin.
En raison du beau temps, on trouve également un triclinium d’été donnant directement sur le péristyle.

Èphèbe © Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei/Archivio dell’Arte/Luciano Pedicini

La cuisine (culina) où ces plats sont préparés est d’ordinaire une petite pièce. Elle consiste le plus généralement en un comptoir maçonné où brulent un ou plusieurs feux avec une niche dans sa partie inférieure pour y stocker le combustible. Les ustensiles qui composent la culina peuvent être d’un grand raffinement comme cette balance à plateau où pendouille une petite tête finement exécutée. Ils sont aussi d’une grande modernité. Ils aiment les aliments bouillis et fritures, le grill ou la poêle à frire rappellent les nôtres et nous rendent leurs utilisateurs d’autant plus proches. Pompéi en ce sens a permis une avancé des connaissances, car même si on connaissait quelques recettes grâce à Pline le Jeune, Sénèque et surtout Apicus, là ce sont les plats eux-mêmes qui prennent forme devant nos yeux, sans parler des mosaïques et des fresques qui représentent les mets préférés des habitants. Ils mangeaient beaucoup de viande, du poulet, de l’oie, de porc et pour les plus riches du flamand rose, par contre pas de bovins réservés au travail des champs. Le pain faisait également partie de l’alimentation et il y en avait de toutes sortes. Ils y avaient également beaucoup de légumes, de fruits, notamment le raisin. Le garum, sauce à base de poisson fermenté, accompagnait la plupart des mets. Le miel était également très apprécié, pour conserver les aliments entre autre.
Ils prenaient 3 repas par jours : le jentuculum, le matin avec pain ou biscuit trempé dans du lait ou de l’eau, du fromage ou les restes de la veille ; le midi, un repas léger souvent pris dans les « bistrots » et le soir la coena.

Passons maintenant à la partie soins du corps cher à nos petits romains. Il faut savoir que tous les habitants n’ont pas l’eau courante chez eux et qu’ils vont donc dans les thermes publics. De fait avoir son balneum personnel est un atout de plus pour se démarquer de ses voisins. De taille bien plus modeste que les thermes publics, ils sont divisés en deux : le vestiaire et le tépidarium (bain tiède) d’un côté et le bain chaud de l’autre, sont situé près de la culina. Les fouilles ont fait émerger tout un nécessaire d’hygiène et de beauté : les baignoires, les miroirs, les strigiles, les vases à parfums et les bijoux. Par exemple pour se maquiller les femmes pouvaient se mettre de la poudre de cristal pour faire briller leur teint. Pour ce qui est du parfum, il n’y avait pas d’alcool (importé au VIIème seulement par les arabes), il s’agissait d’onguent à base de fleurs, de feuilles ou de résine mélangés à de l’huile et de la graisse animale.
Je ne parle pas de la cubiculum, chambre, car l’exposition ne l’évoque pas vraiment, tout comme le tablinum, le bureau du maître de maison, donnant sur l’atrium et où il reçoit pour affaires.

fontaine en mosaique. © Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei/Fotografica Foglia

Le jardin enfin : il faut savoir que presque toute les domi, ont un plus ou moins petit jardin. La verdure rentre dans cet espace clos, au milieu du péristyle. Si l’atrium est étrusque, le péristyle lui est d’influence hellénistique. C’est une cour non pavée mais un jardin, entouré d’un portique où se trouve également des sculptures, des fontaines, des mosaïques ou des jets d’eau. La muséographie de cette partie de l’exposition est très réussie au passage. Les murs bleus pâles amènent un sentiment de tranquillité agrémenté de petites musiques et la reconstitution de la fontaine en coquillage est superbe. On s’y croirait. Le jardin est un lieu qui évoque le rêve, le voyage et les mythes et l’exposition retranscrit parfaitement cet état. Le propriétaire peut aussi y montrer son érudition par des statues de philosophes ou des scènes historiques. La fameuse mosaïque de la bataille de d’Issos avec Alexandre le grand était située dans l’exèdre entre les deux péristyles de la Maison du Faune.

Murs du triclinium de la villa de Carmiano© Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei/Fotografica Foglia

Pour finir (le meilleur pour la fin ?) une des spécificités découvertes à Pompéi : la présence importance de représentations érotiques. Certes ça fait beaucoup sourire aujourd’hui, mais il faut savoir que pendant des siècles ces images étaient cachées. Certains chercheurs pensaient avoir trouvé une nouvelle Sodome ou Gomorrhe, et Charles III de Bourbon fit mettre sous clefs les images retrouvées. Eux qui pensaient les romains austères et stricts à l’image de Caton, les voilà confrontés à toute une série de représentation charnelle.
Ce qu’il faut savoir c’est que pour les romains il n’y a pas de jugements moraux ou religieux sur le sexe comme cela sera le cas avec l’Eglise chrétienne. Il fait partie de leurs vie quotidienne, est source de plaisir et de vie, ils le montrent donc. Il ne faut pas y voir une perversité accrue. Souvent ce sont des scènes mythologiques, des Vénus et des Mars, Ariane et Dionysos, Léda et le cygne ou encore des satyres et des nymphes. Mais attention, il ne faut pas croire pour autant qu’il n’y avait aucune règle. C’est juste qu’elles étaient plus sociales que morales : Sénèque illustra parfaitement cela par cette phrase: « l’impudicitia (la soumission sexuelle) est un crime pour un homme libre, un devoir moral pour le liberto et le devoir le plus absolu pour un esclave ». L’adultère n’est permis qu’aux hommes. Car la notion de plaisir est surtout masculine. Ces scènes de rapts, de satyres sautant sur les nymphes ont évoqué ce que les savants ont appelé « la sexualité du viol ». De même l’homosexualité est tolérée, mais l’homme libre doit être le dominant.

Phallus ailé avec 4 grelots

La représentation du phallus n’est  pas du tout symbole de perversité. J’ai personnellement adoré le phallus ailé. Ils avaient de l’imagination! Il représente la fécondité, il est ainsi représenté un peu partout, sur les murs des maisons, des échoppes et des boulangeries. C’est un porte-bonheur qui protège la demeure. Priape ou Mutinus Mutunus de son nom latin est un dieu de la fécondité qui protège les jardins et les cultures d’où sa représentation autour du péristyle.

Voilà, notre visite s’arrête ici. J’espère ne pas vous avoir assommé tout de même et vous avoir donné envie de partir à Pompéi, ou au musée Maillol…

PS: N’hésitez pas à suivre le site sur facebook et twitter, merci.

LIENS :

http://cms.museemaillol.com/wpcontent/uploads/2011/07/Dossier_de_Presse_-_Pompei_un_art_de_vivre.pdf
http://www.pompeiisites.org/
http://www.collegedevinci.com/IMG/netquiz/domus/le_triclinium.html
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/pompeii/pompei7f.shtml

RANIERI PANETTA Marisa (dire.), Pompéi, Gründ, 2004.