Une heure au musée Gustave Moreau

Je vous emmène aujourd’hui dans un lieu que j’ai trouvé assez extraordinaire pour vous en parler. Un lieu où je voulais aller depuis longtemps mais faute de temps et d’occasions, jamais jusqu’à il y a 2semaines je n’avais pu m’y rendre et voilà qu’il se trouvait sur le trottoir d’en face de là où je me trouvais alors. Je vous emmène aujourd’hui visiter le musée Gustave Moreau.

salle du 2ème. (c)RMN Stéphane Maréchalle
salle du 2ème. (c)RMN Stéphane Maréchalle

Pour ceux qui ne connaissent pas, nous sommes au 4 rue de la Rochefoucauld, non loin de la Trinité à Paris. Imaginez une étroite façade très néo-classique, trois étages, de lourdes colonnes encadrant les fenêtres du premier, une petite niche vide entre deux fenêtres à fronton au deuxième, des guirlandes sur la corniche etc. Vous y êtes ? Passez maintenant la lourde porte et vous voilà dans la demeure de l’artiste dans l’atelier-musée de Gustave Moreau.

Hélène glorifiée

Ses parents ont acheté la propriété en 1852 pour leur fils qui  aménage dans les combles son atelier. Il vit avec eux jusqu’à leurs morts et y finit ses jours en célibataire.
Très tôt l’idée de conserver une partie de son œuvre dans ces lieux et d’en faire un musée germe dans l’esprit de Moreau. Il décide donc en 1895 de réaménager le 4 rue de la Rochefoucauld en conséquence avec l’aide de l’architecte Albert Lafont. Il fait agrandir la bâtisse, sacrifie le jardin côté rue et  transforme en vastes espaces vitrés pour accueillir ses travaux, son atelier et le 2eme étage. Il désire cependant préserver l’atmosphère familiale des appartements qui bien que réaménagés gardent toute leur authenticité. Dans son testament il manifeste ainsi sa volonté : « je lègue ma maison…avec tout ce qu’elle contient, peintures, dessins, cartons etc. travail de 50 années, comme aussi ce que renferment dans ladite maison les anciens appartements occupés jadis par mon père et ma mère,  à l’Etat, ou à son défaut à l’Ecole des Beaux-Arts, ou à son défaut à l’Institut de France, à cette condition expresse de garder toujours-ce serait mon vœux le plus cher-ou au moins aussi longtemps que possible, cette collection, en lui conservant ce caractère d’ensemble qui permette toujours de constater la somme de travail et d’efforts pendant sa vie »
Gustave Moreau meurt en 1898 et tout de suite son ami et légataire universel Henri Rupp se charge de tout faire pour exhausser les vœux du peintre, à savoir montrer le plus d’œuvres possible. C’est ainsi qu’ouvre officiellement le 14 janvier 1903 cette maison atelier. 20 000 œuvres sont conservées en ces lieux dont 1200 peintures, aquarelles et cartons ainsi que 5000 dessins visibles du public. Le succès met un peu de temps à arriver, les premiers visiteurs étant déçus de ne trouver que des œuvres inachevées. Degas trouve même le lieu si sinistre qu’il renonce à son projet de faire pareil. Il faut attendre 1961 et la grande exposition du Louvre sur Gustave Moreau pour qu’on redécouvre l’artiste et en même temps son musée qui entre temps était devenu surtout un lieu de rencontre pour initiés (Suzanne Valadon, Malraux).

Les chimères
Orphée sur la Tombe d'Eurydice

On découvre ainsi successivement  la salle à manger, rouge et blanche, la petite chambre  où trône les portraits de l’artiste par G. Ricard et Degas ainsi que ceux de ses parents et enfin le boudoir. Celui-ci est décoré de meubles Louis XVI et est largement consacré à Alexandrine Dureux, sa seule et meilleure amie comme il l’appelait. Deux photographies de Nadar de cette jeune femme ornent le mur et elle est également évoquée par le dessus de cheminée qu’elle a sans doute brodée ou encore les journaux qu’elle gardait quand ils parlaient de Moreau. Sa mort en 1890 laisse le peintre dans un grand désarroi qui lui inspire l’une de ses plus belles œuvres : Orphée sur la tombe d’Eurydice (3ème étage du musée).

Sur le palier sont présentés un immense dessin, le poète persan (1890)  ainsi que le carton d’Œdipe et le Sphinx (1854). Ils vous  font immédiatement comprendre que vous êtes dans un lieu où le talent n’a pas chômé et a même plus que brillé. Je connaissais l’œuvre de Moreau mais de loin, j’avais vu peu de ses tableaux « en vrai » hormis à Orsay et là, le spectacle ne m’a pas déçu, au contraire, chaque pas est un émerveillement dans ce musée, une découverte et une série de « oh que c’est beau ». Les deux étages suivants sont ainsi des écrins de merveilles. Si les premiers visiteurs ont été déçus de ne trouver que des œuvres inachevées, moi cela ne m’a pas choqué. Trop occupée à cligner des yeux de ravissement, je n’y ai même pas fait attention pour tout dire. Pour être honnête, j’ai même cru qu’il s’agissait d’un effet de style car cela leurs donne un rendu très poétique et moderne. Donc finie ou pas finie qu’importe, il suffit juste d’observer et de se laisser emporter dans cet univers très personnel à la frontière du mysticisme.

les filles de Thespius (photo rmn)

La grande salle du deuxième étage dans lequel trône ce magnifique escalier hélicoïdal de 1895, a été conçue et aménagée par Moreau Lui-même puis Henri Rupp pour accueillir des peintures d’histoire de grands formats. L’accrochage avec tous ces tableaux les uns sur les autres est aussi très fidèle à l’esprit du XIXème siècle que l’on retrouve à Chantilly, certains trouvent cela fouilli, moi j’y vois un certain charme. Les trois plus grands sont dans le fond : Tyrtée chantant pendant le combat (1860 et après), Les prétendants (1852, 60, 82 et après 1890) et Le retour des Argonautes (1891-1897).  On trouve également à cet étage les très « sexuelles » (selon Moreau) Filles de Thespius qui se languissent devant un Hercule à la peau dorée, ou encore les chimères (1884). Œuvre très personnelle, « cette île des rêves fantastiques renferme toutes les formes de la passion, de la fantaisie, du caprice chez la femme, la femme dans son essence première, l’être inconscient, folle de l’inconnu, du mystère, éprise du mal sous forme de séduction perverse et diabolique. Des femmes enfourchant des chimères qui les emportent dans l’espace, d’où elles retombent éperdues d’horreur et de vertige« .  Son « décaméron satanique » est un mélange entre peinture et dessin où sont représentées tout un panel de femmes fantastiques et chimériques censées représentées les 7 péchés capitaux.
Je pourrais citer également la fleur mystique  de 1890 qui représente une vierge trônant dans un lys au milieu d’un paysage rocheux inspiré de de Vinci, ou encore le sublime et mythologique Léda.

la fleur mystique

Chose géniale qu’un visiteur pressé ne voit pas, sur les côtés, derrière les rideaux marrons, tout un tas de planches sont cachées. Il faut tirer et ouvrir comme une multitude de fenêtres et à chaque fois des dessins (5000 en tout présentés de cette manière) plus énervants les uns que les autres parce qu’on aimerait vraiment dessiner de la même façon.

Le triomphe d'Alexandre. © RMN / René-Gabriel Ojéda

Au troisième étage enfin, des formats plus moyens mais également plus personnels où s’expriment toute l’audace et l’inspiration foisonnante de Gustave Moreau. Ainsi la première chose qui a attiré mon regard c’est le triomphal triomphe d’Alexandre (1875-1890). On est juste devant un paysage immense, une cité indiennisante reposant sur une montagne si haute qu’elle ne tient pas dans le cadre et à ses pieds, sur un trône démesuré, Alexandre qui domine son ennemi vaincu le prince Porus. Ici c’est toute la fantaisie orientale d’un peintre qui ne mit jamais les pieds en Orient qui s’installe. Un mélange entre civilisation grecque et indienne.

Jupiter et Sémélé (image wikipédia)

L’une des toiles les plus impressionnantes de cet étage est le Jupiter et Sémélé de 1895. Il s’agit d’une œuvre bien achevée que Moreau a même vendu avant qu’elle ne revienne dans l’atelier. Sémélé l’une des très nombreuses maitresses de ce cher Zeus demande au dieu de se révéler dans toute sa divinité. C’est Héra qui par un subterfuge lui a demandé de le faire, sachant très bien les conséquences car lorsque Zeus se manifeste dans toute sa gloire et sa puissance, il consume la belle mortelle qui meurt foudroyée. C’est une œuvre hypnotique de par les regards fixes et scrutateurs de Zeus et d’Hécate, déesse de la nuit, en bas du tableau et le foisonnement de détails, des êtres mythologiques, des fleurs, des éléments de décors, des couleurs vives avec lesquelles contraste la pâleur de Sémélé…

Vie de l'Humanité

Je ne vais pas rentrer dans le détail de toutes les œuvres qu’on peut admirer mais il faut citer les deux variations sur le thème de Salomé (Salomé tatouée 1874-1898 et l’apparition 1876-1898) que j’ai déjà présenté sur ce blog (https://museis.wordpress.com/2011/10/22/salome/), la Vie de l’Humanité (1879-1886) qui révèle toute la foi de l’artiste et dans le petit meuble tournant au centre de la pièce 250 aquarelles, lavis et pastels.

Venise

Enfin bref un très beau musée sur un artiste finalement pas si connu du grand public, un peintre symbolique mais qui se plaignit qu’on le trouve trop littéraire et qui a eu comme élève ni plus ni moins que Matisse.
Après tout est une question de goût mais dans le genre voyage artistique et travail de la matière picturale je n’avais pas été autant émerveillée depuis l’exposition Turner du Grand Palais et l’avantage par rapport à une exposition, c’est que le musée ne va pas partir en courant, il n’attend que vous.

http://www.musee-moreau.fr/

Polyphème (photo rmn)