L’épiphanie dans l’art!

Et voilà, c’est aujourd’hui que se finit le cycle de Noël avec l’Epiphanie. Dans beaucoup de pays, c’est célébré le 6 janvier, mais pas chez nous. C’est pas qu’on ne veut pas faire comme tout le monde (quoi que) mais étant donné qu’il ne s’agit pas d’un jour férié en France, le clergé a décidé de placer cette fête le deuxième dimanche qui suit la Nativité, pour que tout le monde puisse en profiter (enfin ceux qui ne travaille pas le dimanche…). Pour cet article, il n’est pas question de galette. Elle est dans mon bidon la galette. Je propose de revenir au sens profond de cette fête et surtout de l’illustrer avec quelques œuvres, car c’est l’un des thèmes les plus féconds de l’art occidental.

Adoration des mages. Arc de Triomphe de Sainte-Marie-Majeure. Vème siècle

Le mot « épiphanie » est un mot grec, Epiphaneia, qui renvoie à l’idée d’apparition divine dans la mythologie gréco-romaine. Christianisé il devient  cette fête que l’on connait aujourd’hui : la présentation de Jésus aux mages.
Avant que  Noël soit fêté à partir du IVème siècle, le 25 décembre et devienne la grande fête de la Nativité, celle-ci se confond avec l’Epiphanie le 06 janvier.
La célébration de l’Epiphanie n’est pas qu’un épisode anecdotique dans la liturgie chrétienne, elle renvoie de manière plus profonde à l’Incarnation, à l’humanité de Dieu qui prend chair à travers son fils et se dévoile au monde par la présentation publique de Jésus aux rois mages qui représentent les païens et en même temps les peuples de la terre. Cette fête est aussi associée au baptême dans le Jourdain (surtout dans l’Eglise orthodoxe) et aux noces de Cana, le premier miracle.

Fra Angelico, couvent San Marco, cellule 39. 1438-1445

La jeunesse de Jésus est peu connue ; sur les 4 évangiles canoniques, seuls 2 la mentionnent: Mathieu et  Luc. Si Luc parle de l’adoration des bergers, autre thème très apprécié des artistes, il ne mentionne pas de mages et vice versa pour Mathieu (chap. II) qui lui oublie les bergers.

Aujourd’hui toutes les crèches sont d’accord pour dire que les mages sont des rois et qu’ils sont trois, pourtant, le texte est moins précis.  Il ne fait que mentionner des ‘mages venus d’Orient’, pas de nombre, pas de dignité royale.
Ces mages suivaient  une étoile annonciatrice de la naissance du roi des juifs. Ils s’arrêtèrent à Jérusalem, chez le roi Hérode, fort intéressé par la nouvelle, et pour cause, il espérait bien grâce aux mages dénicher celui qu’il voyait comme un usurpateur de trône. Selon le prophète Michée (5,2 : « Et toi, Bethléem Ephrata, tu es petite entre les mille de Juda; de toi sortira pour Moi Celui qui dominera sur Israël, et dont l’origine est dès le commencement, dès les jours de l’éternité. »), c’est à Bethleem que devait naître le messie, c’est donc là qu’ils se rendirent, continuant de suivre l’étoile et trouvant l’enfant dans une maison avec sa mère. Ils se prosternèrent et lui offrirent trois présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe  puis s’en retournèrent dans leurs pays, sans repasser par Jérusalem, ayant été averti en songe par un ange.

Saint Apollinaire de Ravenne, VIème siècle

Le nombre de trois est d’abord lié aux présents dont la portée symbolique à fait l’objet de différentes hypothèses. Traditionnellement, l’or, renvoie au pouvoir royal, pour le roi des rois ; l’encens, c’est la fonction sacerdotale du Christ à venir, et de la myrrhe pour la valeur spirituelle. La myrrhe a des fonctions thérapeutiques qui  rappellent  l’humanité de l’enfant destiné à souffrir et son sacrifice à venir, car elle est également  utilisée pour l’embaumement des corps.
Pour saint Bernard, l’or vient soulager la pauvreté de Marie et Joseph, l’encens purifie et parfume l’étable et la myrrhe sert à soigner et revigorer le jeune enfant.

Le nombre trois a aussi une portée plus globale. Il renvoie aux trois fils de Noé qui ont repeuplé la Terre, ce qui rappelle l’universalité des mages qui représentent les différentes nations. Ils sont d’ailleurs associés aux 3 parties du monde connu alors : L’Europe, l’Asie et l’Afrique. D’où la représentation de personnages typés dans certaines œuvres surtout à partir du XVIème siècle: Melchior est le roi des Perses, c’est un vieillard et il offre l’or ; Gaspard, est un jeune hindou, il offre l’encens et Balthasar est un prince arabe, représenté avec un visage noir ( à partir de 1460) et il offre la myrrhe. Leurs noms apparaissent plus tard dans la tradition,  au VIème siècle.

Giotto, Eglise de l'Arena de Padoue, 1303-1306

Leur représentation peut aussi évoquer les différents âges de la vie, on remarque en effet facilement que le mage le plus proche du Christ est souvent le plus âgé des trois. Ce n’est pas anodin, l’enfant Jésus représente lui-même un âge de la vie, le tout début et la prosternation de cet homme, âgé et certainement très sage est une manière de montrer l’humilité de ces mages. C’est aussi le pouvoir qui se soumet à la personne divine aussi humble soit-elle. On a ce même rapport dans l’iconographie même de la scène de l’Adoration : les mages sont toujours richement vêtus, ils portent des tissus richement ouvragés, des bijoux, des ceintures d’or, des couronnes et d’autres objets symboles de prospérité alors qu’en parallèle la crèche et la Saint Famille sont dans un notable dénuement.

N. Poussin, adoration des bergers, 1633, National Gallery

Par ce rapport, il est intéressant de comparer les « Adorations de Bergers » et les « Adorations de Mages » en peinture. Alors que les premières sont souvent des représentations intimes mettant en avant la simplicité des bergers qui sont les premiers prévenus ;  à l’opposé, les « adorations des mages » sont souvent sujettes à des déploiements de luxe et à de longs cortèges où on peut souvent reconnaître des contemporains de l’œuvre. Par ce biais, l’Evangile de Luc rappelle que le Christ vient d’abord pour les plus simples des hommes. Pour autant, les deux scènes ne sont pas incompatibles et peuvent se rejoindre.

Il faut savoir que le thème de « l’adoration des mages » apparait dans l’art dès les premiers temps de l’ère chrétienne et qu’il doit exister facilement des centaines et plus de versions différentes et mon but n’est pas de faire un condensé de thèse sur un sujet si vaste. J’ai juste choisi quelques œuvres sur tout ce qui peut exister, pour montrer à quel point un même thème peut selon l’artiste être vu de manières très variées.

Les Très Riches Heures du Duc de Berry. 1412-1416, terminées entre 1485 et 1489. Folio 52, attribué à Paul de Limbourg, peintre et enlumineur néerlandais.


Nous avons ici, la Vierge et l’enfant Jésus sur la gauche, assis sous un toit de chaume. Ils sont entourés de femmes, dont deux saintes et au-dessus d’eux, dans une alcôve, les anges chantent des cantiques autour de l’étoile dont les rayons descendent sur l’enfant. Les bergers sont retournés dans leurs champs et sur toute la partie droite, s’étend un magnifique cortège. Au premier plan les trois rois qui se sont démis de leurs énormes couronnes et qui s’agenouillent devant l’enfant. Le plus vieux déjà en train d’embrasser les pieds de Jésus, les deux autres derrières. Ce qui est intéressant dans cette représentation, en dehors de l’aspect magnifique et richement coloré des Riches Heures du Duc de Berry, c’est l’accent mis sur l’Orient. En effet, nous pouvons apercevoir plusieurs guépards, un chameau, de nombreux turbans et le magnifique tapis vert sur lequel repose la Vierge, comme si l’artiste malgré des éléments typiquement occidentaux, avait voulu rendre sa représentation, plus réaliste dans sa localisation.

Sandro Botticelli, L’adoration des mages, 1475, galerie des Offices, Florence.
C’est la troisième version de l’adoration des mages de Botticelli. C’est une commande de Giovanni di Zanobi del Lama pour sa chapelle funéraire de Santa Maria Novella. Lama est un courtisan des Médicis, il fait donc appelle à leur protégé, Botticelli. Celui-ci innove totalement dans sa façon de peindre une adoration des mages, car nous ne sommes plus dans la vision linéaire et horizontale traditionnelle. Non, le peintre bascule la scène. Joseph, comme souvent dans son iconographie est endormi et avec Marie et l’enfant ils sont au centre de la composition, légèrement surélevés, ce qui donne un coté triangulaire à la scène. Les mages sont à ses pieds, chacun, selon son âge, à un niveau différent de la composition, et de part et d’autres la foule des observateurs qui regardent dans tous les sens (vers le spectateur, la scène principale ou entres eux), ce qui donne une impression de vie à l’ensemble.
L’autre intérêt de ce tableau, c’est qu’on peut y reconnaître de nombreuses personnes, dont l’artiste lui-même, à droite, avec sa tunique orange. Sans les citer tous, sachez que les trois rois mages ont les traits de Côme de Médicis et de ses fils, Pierre et Jean. Tous les trois morts à la date du tableau. Laurent le Magnifique est facilement identifiable sur le côté gauche avec son épée, et on peut aussi apercevoir le commanditaire sur la droite, les cheveux blancs qui essaye de capter notre regard.

Cette nouvelle composition de la scène va inspirer de nombreux artistes, Ghirlandaio (1485-1488), Leonard de Vinci(1481) ou Filippo Lippi.

L’adoration des mages de F. Lippi, exécutée en 1496 pour le couvent San Donato agli Scopeti, conservée également à la Galerie des Offices est à mettre très clairement en relation avec celle de Botticelli. La composition en est très proche quoi que plus déstructurée et moins rigoureuse, laissant place à plus de mouvement, notamment par l’abondance de personnages qu’on aperçoit dans le fond. Comme chez son prédécesseur, des Médicis sont identifiables : Perfrancesca Médicis (avec le quadrant) et ses fils derrière lui, Giovanni et Lorenzo.

© The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Mantegna en 1495-1500 adopte lui un cadrage très serré.  L’attention est portée sur les personnages eux-mêmes, leurs visages surtout et pour ce faire, le décor est absent au profit d’un fond sombre. Là encore, les mages représentent à la fois les différents âges mais surtout, ils commencent aussi à représenter plus nettement les différentes parties du monde. Balthasar devient un personnage africain (ce qu’il n’est pas en peinture avant 1460) et Gaspard a un petit côté oriental dans sa tenue mais aussi avec un teint plus mat que ceux de la vierge, l’enfant et même Melchior qui semble comme souvent à genoux, étant le plus bas dans la composition.

Un dernier petit italien pour la route, les trois philosophes de Giorgione (1505-1509, Kunsthistorisches Museum). Giorgione est certainement l’un des peintres vénitiens les plus mystérieux. Ces trois hommes rappellent les mages de manière indéniable, les trois âges, les 3 mondes, les savants, (le plus âgé avec sa carte, le plus jeune avec son équerre), tout y est. Pourtant, chose étrange, pas d’enfant Jésus à adorer, ni de Marie, pas d’étoiles, tout juste une grotte qui prend une bonne part de l’espace à gauche qui peut évoquer une crèche. Même si ce n’est pas une adoration à proprement parlé, je ne pouvais pas, ne pas citer cette œuvre, vu son originalité.

Allons en Allemagne pour changer, et regardons la version de Durer (1505, galerie des Offices).

On retrouve l’iconographie des trois âges et un Balthasar africain. Ici pas de portraits de riches dignitaires, mais celui de l’artiste lui-même facilement reconnaissable à ses longs cheveux ondulés, sous les traits de Gaspard.
Presque dans le même coin, mais chez les flamands, je demande la peinture de Bruegel l’ancien de 1564. Pour le coup, le traitement est assez radical, surtout pour ce qui concerne les personnages. Nous ne sommes plus dans la beauté pure, la Vierge insaisissable, les visages plein de respect. On frôle la caricature, avec des mages aux rides bien visibles, aux cheveux épars mais richement et originalement vêtus. Les couleurs vives de leurs tuniques et de celle de la Vierge, rompent avec l’austérité des tons bruns dominants. Une œuvre assez déconcertante mais finalement très moderne, comme souvent chez l’artiste.

Et pour finir, une œuvre plus proche de nous, qui fera plaisir à une amie, l’Adoration des Mages par Burne-Jones du musée d’Orsay, acquis en 2009 lors de la vente Yves-Saint-Laurent et Pierre Berger.

Histoire de changer de support, ce n’est pas une peinture, mais une tapisserie. Il en existe plusieurs versions, la nôtre date de 1904 et avait été commandée par le banquier Guillaume Maller pour sa propriété de Varengeville-sur-Mer (76). La version initiale est une commande pour la chapelle de l’Exeter College d’Oxford et a été achevée en 1890. On retrouve ici, l’amour pour le Moyen-Age de l’artiste avec des personnages figés, tous debout à l’exception de la Vierge qui de fait, n’a pas sa position traditionnellement dominante. L’enfant est lui aussi, très petit par rapport à l’ensemble et comme apeuré par la scène dans sa position de recroquevillèrent vers sa mère. Le goût de Burne-Jones pour la décoration végétale est aussi indéniable avec cette abondance de fleurs et d’éléments végétaux. Les ailes mêmes de l’ange ont l’air faites de feuilles.

chapiteau, cathédrale d'Autun, XIIeme siècle

Donc voilà pour ce mini tour des représentations de l’adoration des mages, j’aurais bien sûr pu évoquer un nombre incalculable d’autres œuvres, peintures, mosaïques, vitraux, objets d’art et sculptures, et juste pour prouver que la peinture est loin d’être le seul support, voici un magnifique chapiteau polychrome du XIème du chœur de Église Saint-Pierre à Chauvigny (Vienne).

chapiteau de Saint-Pierre de Chauvigny, XIème siècle © Région Poitou-Charentes, Inventaire du patrimoine culturel / R. Jean, 2009.

Bonne galette, n’avalez pas les fèves et n’oubliez pas de me suivre sur Facebook et twister.

Liens :

http://fr.wikipedia.org/wiki/L’Adoration_des_mages
Liste de la plupart des représentations d’adoration de mages. http://elmiradorespagnol.free.fr/3magos/
L’adoration de Bruegel : http://bruegel.pieter.free.fr/mages.htm
http://gybn-histoire.blogspot.com/2010/05/bruegel-ladoration-des-mages.html
L’adoration de Botticelli : http://it.wikipedia.org/wiki/Adorazione_dei_Magi_(Botticelli_Uffizi)
http://catholique-nanterre.cef.fr/faq/fetes_epiphanie_sens.htm#manifestation
Sur le chapiteau de Chauvigny : http://inventaire.poitou-charentes.fr/patroman/themes/notice.php?id=IA86007847

2 commentaires sur « L’épiphanie dans l’art! »

Laisser un commentaire