Hopper superstar

L’exposition consacrée à Hopper au Grand Palais est certainement l’un des blockbusters de cette saison culturelle. Elle a déjà battu le record d’entrées pour un premier jour détenu jusqu’alors par Picasso et ses maîtres et elle ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin.

Il faut dire qu’ Hopper incarne une certaine image de l’Amérique, un peu fantasmée et très peu de ses œuvres se trouvent dans les collections européennes, aucune en France. Cela qui explique peut-être en partie le nombre de visiteurs prêts à se serrer pour pouvoir admirer ses toiles dont certaines font partie des icônes de notre société et peuplent notre imaginaire collectif.

Cape Cod Evening 1939
Oil on canvas
30 x 40 in.
National Gallery of Art, Washington

De plus, la France tient une place importante dans la genèse de son art comme l’explique le début du parcours. Hopper est le plus français des peintres américaines. Il a séjourné trois fois en France entre 1906 et 1910 et il y découvrit ou redécouvrit des artistes comme Degas, Albert Marquet, Félix Valloton, Daumier ou encore les photographies de Paris d’Eugène Atget. Tous ces artistes influencèrent son art : la théâtralisation et les points de vus de Degas, la lumière de Valloton ou la brutalité des formes et des couleurs de Marquet. Hopper représente d’ailleurs plusieurs fois Paris durant sa jeunesse, les quais de Seine ou le Louvre et aujourd’hui les parisiens lui rendent cette fascination en se rendant nombreux à sa rétrospective.

Night Shadows, 1921
Gravure, 17,5 x 21 cm
Philadelphia Museum of Art : Purchased with the Thomas Skelton Harrison Fund, 1962 © Philadelphia museum of art

Cette dernière comprend pas moins de 128 toiles et se découpe en deux parties majeures intelligemment conçues: sa formation entre 1900 et 1924 évoquée de manière thématique et enfin sa maturité dont témoignent 55 tableaux qui définissent son art. Ainsi nous pouvons mieux comprendre la façon dont le « style Hopper » s’est peu à peu construit pour devenir celui que nous connaissons tous plus ou moins bien.

Hopper (1882-1967) entre à la New York School of Art en 1900, il y suit les enseignements de Chase et Miller et surtout de l’anticonformiste Robert Henri qui va lui inculquer l’esprit d’un art purement américain, plein d’un réalisme moderne et brut. C’est à son retour de France qu’Hopper se lie d’avantage à l’enseignement de son professeur, surtout à partir des années 20. A cette époque, l’art américain vit une période de renouveau à travers le « groupe des 8 » et de l’Ash can School (l’école poubelle) qui prône une représentation de la vie quotidienne, de la pauvreté, sans embellissement, toute en vérité crue et réaliste. Parmi ces peintres on retrouve Robert Henri et ses anciens élèves, amis de Hopper dont Guy Penne du Bois qui sera son premier défenseur et Georges Bellows, le premier à inclure dans son art cette vigueur réaliste à connotation sociale.

Soir Bleu, 1914
Huile sur toile, 91,4 x 182,9 cm
New York, Whitney Museum of American Art, Josephine N. Hopper Bequest
© Heirs of Josephine N. Hopper, licensed by the Whitney Museum of American Art

En 1914 Hopper peint «Soir bleu » souvent perçu comme un adieu à la peinture Européenne car elle peut faire référence à cette tradition des représentations de fêtes (Watteau, Renoir, Manet) et au statut de l’artiste dans la société bourgeois. L’œuvre est mélancolique, le clown semble dure, personne ne se regarde ni ne communique. Elle ne reçut pas un très bon accueil, mais marque néanmoins une rupture dans l’art d’Hopper qui désormais s’attachera à des scènes plus quotidiennes, plus américaines.

From Williamsburg Bridge, 1928
Huile sur toile, 73.7 x 109.2 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art ; George A. Hearn Fund, 1937
Image © The Metropolitan Museum of Art / Source: Art Resource/Photo RMN

A travers la gravure, bien qu’il n’en fit que 28 que  se forme peu à peu l’art d’Hopper, un croisement entre l’Ash Can School et le formalisme européen dont la rencontre forme un art purement américain. « Ma peinture sembla se cristalliser quand je me mis à la gravure ». Peu à peu le contraste entre l’ombre et la lumière devient plus intense et on entre dans ces atmosphères si caractéristiques.

Chop Suey, 1929
Huile sur toile, 81.3 x 96.5 cm
Collection de Barney A. Ebsworth
© Collection particulière

Mais le grand tournant de son art, c’est 1924, l’année de la reconnaissance, enfin, car jusque-là il n’avait vendu qu’un seul et unique tableau, Sailing, en 1913. L’artiste gagnait surtout sa vie grâce à l’illustration. On peut voir ses représentations de parisiens, pleines d’humour ou encore les illustrations des Misérables ou de l’Année terrible de Victor Hugo. Mais c’est surtout la vie américaine, la vie de bureau et la vie rurale qu’il représente dans System, The Magazine of Business (1912 -1916), Farmer’s Wife (à partir de 1915), et Country Gentleman.  En 1924 il expose ses aquarelles dans la Galerie Franck Rehn à Brooklin et elles sont toutes vendues. A partir de ce moment sa carrière est lancée.

La deuxième partie débute donc logiquement par une série d’aquarelles et illustre la maturité de l’artiste. Conçue de manière chronologique et thématique, on distingue rapidement ses thèmes de prédilection tels les rails, les gares, les maisons isolées dans de grands paysages, les rues nocturnes, les intérieurs mystérieux.

On retrouve ces grands morceaux mondialement connus, notamment l’affiche de l’exposition Nighthawks (1942) ou encore People in the sun (1960), Office at Nght (1940), Chop Suey (1929) et tant d’autres.

Office at Nght, 1940
Huile sur toile, 56.4 x 63.8 cm
Minneapolis, Collection Walker Art Center ; Gift of the T. B. Walker Foundation, Gilbert M. Walker Fund, 1948, © Walker Art Center, Minneapolis

Chacun trouvera son bonheur. Certains préfèreront les grands espaces américains avec ses grandes maisons typiques, isolées au milieu de nul part, pleine de lumière. D’autres préfèrent la ville, très géométrique, un peu froide et d’autres encore seront plus sensibles aux scènes d’intérieures comme moi. C’est comme rentrer dans l’intimité d’une Amérique un peu imaginaire, celle des films de l’Age d’or et on imagine une petite musique de fond, un standard de jazz. C’est intéressant aussi de regarder de plus près ces scènes car on

Ground Swell; 1939
Huile sur toile, 92,7 x 127,6 cm
Washington D.C., Corcoran Gallery of Art,
Museum Purchase, William A. Clark Fund
© Corcoran Gallery of Art, Washington, DC

constate que les visages des protagonistes sont à peine dessinés, les yeux vides, perdus dans leurs réflexions qu’on aimerait attraper. Hopper disait « Je crois que l’humain m’est étranger. Ce que j’ai cherché à peindre, ce ne sont ni les grimaces ni les gestes des gens ; ce que j’ai vraiment cherché à peindre, c’est la lumière du soleil sur la façade d’une maison. » Et c’est vrai qu’après avoir vu ses œuvres, on retrouve cet esprit-là. La lumière est partout, elle illumine une grande maison blanche, elle plonge sur ces personnages qui la contemplent et elle fait ressortir d’autant mieux les ombres de la nuit et des intérieurs créant cette atmosphère si particulière. La lumière sert à définir son réalisme.

Puis de manière théâtrale l’exposition se clôt sur Two comedians (1966) qui saluent le public que nous sommes dans un dernier au-revoir. D’autant plus fort qu’il est reconnu qu’Hopper s’est représenté lui-même avec son épouse Josephine Verstille Nivison, elle-même peintre et élève de Robert Henri.

Two Comedians, 1966
Huile sur toile, 73.7 x 101.6 cm
Collection particulière
© Collection particulière

Nous quittons donc l’exposition sur ce clin d’œil et au passage, je vous conseille le vendeur de cup-cake spécialement installé pour l’occasion devant la boutique, histoire de garder un peu de rêve américain dans le palais.

Edward Hopper
10 octobre 2012 au 28 janvier 2013
Grand Palais

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