Retour sous le ciel de Venise : Canaletto au musée Maillol

Pour ne pas être trop dépaysée, j’ai décidé de faire tout de suite la seconde exposition consacrée à Canaletto, histoire de bien mettre les deux en perspective. Nous revoici donc dans la Venise du XVIIIème siècle sublimée et à explorée à travers une cinquantaine de toiles, montez sur votre gondole et c’est parti.

L’ingresso al Canal Grande, dalla Piazzetta, 1730
Grande-Bretagne, Knutsford, The Egerton of Tatton Park© NTPL/John Bethell

Cette exposition se veut plus monographique que celle de Jacquemart-André (voir article : https://museis.wordpress.com/2012/09/21/premiere-escale-a-venise-au-musee-jacquemart-andre-canaletto-et-guardi/). Le contexte historique et artistique est un peu mis de côté au profit d’un appondissent de l’œuvre de Canaletto et de sa technique. Ici, la ville de Venise est aussi d’avantage mise en avant par une muséographie très élégante où des pontons de bois clairs longent les murs, des arcades sont recrées sous lesquelles on peut « feuilleter » virtuellement  un carnet de croquis exceptionnel, le nom des places est inscrit aux angles des murs et des petits textes explicatifs sur la ville elle-même en lien avec les œuvres de Canaletto nous permettent de mieux visiter la ville.

Capriccio col Ponte di Rialto secondo il progetto del Palladio, la Basilica di San Marco e uno scorcio di Palazzo Chiericati a Vicenza
V. 1745. Parme, Galleria Nazionale

On découvre donc un peu mieux l’artiste. Notamment sa jeunesse auprès de son père, artiste reconnu de décors de théâtre, ses débuts en tant que védutistes vers 1720, son style qui évolue vers plus de minutie et toujours ses sublimes caprices qui nous montre Venise telle qu’elle aurait pu être. On se rend compte aussi du succès de Canaletto à travers l’Europe, de par ses commandes d’anglais comme celles du Premier Ministre Robert Walpole, ou les ducs de Marlborough et Bedford. Succès concrétisé par un séjour à Londres (1744-1755) où une cinquantaine de vedute sont peintes par cet artiste à la réputation extravagante d’homme avide changeant les prix des commandes selon son bon vouloir grâce à sa célébrité.

La chiesa di San Giovanni dei Battuti a Murano, con Venezia nel fondo, 1724-1725 environ
Saint-Pétersbourg, Musée d’Etat de l’Ermitage
© The State Ermitage Museum/Vladimir Terebenin, Ltonard Kheifets, Yuri Molodkovets

En dehors des collections anglaises, on découvre aussi les collections russes. L’œuvre de Canaletto a su plaire jusqu’aux confins de l’Europe comme en témoignent les prêts consentis par l’Hermitage et le musée Pouchkine. Bien que n’ayant  jamais exercé directement en Russie, le peintre a eu une grande influence au point que la noblesse russe commandait des œuvres « à la manière de », des vues de Venise mais aussi de Saint-Pétersbourg. Il marqua notamment Fedor Alekseev (1753-1824), le “Canaletto russe”.

L’Eglise Santa Marta à l’extrémité de la lagune (recto), vers 1758, plume et encre brune sur des traces de crayon, papier blanc. Crédits Venezia Collezione privata – Courtesy of Damiano Lapiccirella

Dans cette exposition, c’est surtout l’étude pratique du travail de Canaletto qui offre un intérêt inédit , notamment à travers l’exposition du carnet de croquis dont certains feuillets sont visibles et qu’on peut feuilleter virtuellement. Il s’agit d’un objet unique dans l’art vénitien de cette époque qui a été très peu montré jusqu’à présent. Il permet de rentrer dans le travail préparatoire de Canaletto, ses observations, ses dessins à la plume et ses annotations. Mais surtout ce carnet a permis de rentrer contextuellement dans le travail de l’artiste, dans sa méthode, car son étude a permis de voir que Canaletto utilisait une chambre optique (camera obscura), reconstituée dans l’exposition. Alors une chambre optique Quesque c’est ? C’est un instrument qu’il embarquait avec lui sur les barques, on se met dos au sujet, sous un drap noir, comme les vieux appareils photos et par un jeu de miroir, le sujet choisi est capté par une lentille qui le recréé sur un plan de travail dans la chambre et Canaletto n’a qu’a retracé ce qu’il aperçoit sur son carnet. La Camera Obscura permet au peintre de mieux travailler sa perspective en réagençant  l’ensemble pour qu’il semble le plus réel possible et créé de véritables panoramas. Être védutiste c’est être un peu mathématicien !

La Scala dei Giganti in Palazzo Ducale, 1755-1756
Grande Bretagne/ Alnwick, Collection of the Duke of
Northumberland, © Collection of the Duke of Northumberland

En tout cas, encore une fois, je dois admettre avoir été charmée par son oeuvre et le succès de l’artiste en son temps apparait comme tout à fait compréhensible. En dehors du rendu de la ville en elle-même, du tracé des lignes, et du travail sur la lumière et l’atmosphère, qui sont magnifiques en soit, c’est aussi la vie qu’il insuffle à ses toiles qu’il est intéressant de pouvoir approcher. Plein de petits personnages peuplent les toiles de Canaletto. Réduits à de simples touches de peintures colorées, sans plus de détails, ils n’en semblent pas moins vivants. On les entendrait presque parler, chanter, se dire des choses banales de la vie. Ces toiles sont bruyantes de vie.

Il molo dal bacino di San Marco, 1740-1745
Milan, Pinacoteca di Brera
© Su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali

En conclusion, je dirais que les deux expositions sont complémentaires et on ne perd absolument pas son temps à voir les deux, étant donné la qualité des œuvres exposées qui invitent aux voyages et au rêve de lagune. Toutefois, si vraiment vous ne désirez qu’en voir qu’une parce que ça coûte un peu cher tout de même (11€), peut-être alors que celle de J-A serait mon conseil, pour sa rigueur d’une part et parce qu’elle offre un tour d’horizon plus large et permet d’avantage de replacer Canaletto dans son époque et surtout d’appréhender le genre même de la veduta dans un plus vaste ensemble avec la confrontation avec Guardi. Mais si vous êtes un admirateur absolu de Canaletto, alors celle de Maillol est celle qu’il vous faut, ne serait-ce que pour Festa notturna alla chiesa di San Pietro in Castello, une vue de nuit absolument magique et rare, pleine d’étoiles et de la beauté d’une nuit chaude de Vénétie. Cette œuvre en elle seule vaut le déplacement même si la photo ne rend pas du tout, mais alors pas du tout, la beauté de ce tableau.

Festa notturna alla chiesa di San Pietro in
Castello
Fête de nuit à l’église San Pietro in
Castello
1745 environ
Londres, collection Gert-Rudolf Flick

Musée Maillol

Commissaire : Annalisa Scarpa

19 septembre 2012 au 10 février 2013.

61 Rue de Grenelle  75007 Paris. Horaires d’ouverture tous les jours de 10h30 à 19h00 et nocturne le vendredi.

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