Les dernières années de Raphael exposées au Louvre

Pour bien commencer 2013 que je vous souhaite très riche, voici une belle exposition consacrée aux dernières années du prodigieux Raffaello Santi, mieux connu sous le nom de Raphaël.

Raphaël (dit), Sanzio Raffaello (1483-1520)Tête de jeune homme, de profil vers la droite(C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) - @Michèle Bellot
Raphaël (dit), Sanzio Raffaello (1483-1520)
 étude pour la chambre d’Héliodore
(C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – @Michèle Bellot

Avec Léonard de Vinci et Michel Ange, ils forment la géniale triade artistique de la Renaissance italienne. Pour certains il pourrait se trouver dans l’ombre des deux autres, mais il n’en est rien, au contraire. Raphaël est un artiste plus que complet, il met en place des projets décoratifs impressionnants, ses peintures sont toutes des chefs-d’œuvre, il est aussi architecte, archéologue, il recense les antiquités de Rome et est dans l’histoire, le seul peintre à avoir le privilège d’être inhumé au Panthéon.

Voici donc, grâce au Louvre, en collaboration avec Le Prado, l’occasion de découvrir ou redécouvrir ce génie qu’est Raphaël et son évolution stylistique durant les sept dernières années de sa vie.

Raphaël (?) et atelier, Saint Jean Baptiste dans ledésert, vers 1517-1518. Huile sur toile. H. 163 ; l. 147cm. Florence, Galleria degli Uffizi, SoprintendenzaSpeciale per il Polo Museale Fiorentino, inv. 1890,n.o1446 © 2012 Photo Scala, Florence
Raphaël (?) et atelier, Saint Jean Baptiste dans le désert, vers 1517-1518. Florence, Galleria degli Uffizi, Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino
 © 2012 Photo Scala, Florence

Né à Urbino en 1483, il est le fils du peintre et poète officiel de la cour du duc d’Urbino, Giovanni Santi, qui meurt lorsqu’il n’a que 9ans. Il forme son art en parti chez le Pérugin à Pérouse et il rencontre et étudie les deux grands maîtres de son temps, que sont Michel Ange et Leonard de Vinci à Florence. En s’inspirant de leurs arts respectifs, Raphaël façonne le sien. Son art est puissant tant au point de vue dessin que dans l’utilisation des couleurs, ce qui le démarque de la plupart des artistes de son temps qui privilégiaient soit l’un soit l’autre. Tout chez lui est dominé par un souci constant d’équilibre et d’harmonie dans la forme et dans la composition.

L’exposition ne retrace pas toute sa carrière, elle se concentre sur l’apogée de cette dernière, sa période romaine. Raphaël arrive dans la Città Eterna., appelé par le pape Jules II en 1508. A cette époque, Rome est indéniablement la capitale artistique de l’Italie et peut-être même du monde occidental. Cela est le fait d’importants chantiers que sont la reconstruction de la Basilique Saint-Pierre décidée en 1505 par Jules II et la construction et la décoration du palais apostolique.

La Madone au poisson, 1513-1514, Prado
La Madone au poisson, 1513-1514, Prado

Raphaël réalise ainsi la décoration des « stanze » que Jules II dédia à ses appartements privés (1503-1513), ce qu’on appelle en français« les chambres de Raphaël » : la salle des signatures tout d’abord qui impressionne tellement le pape qu’il lui confie les autres, la salle d’Héliodore, la salle de l’incendie du Bourg et la salle de Constantin, effaçant même le travail de ses prédécesseurs. Le nouveau pape Léon X, bien qu’un Médicis, apporte également tout son soutien au peintre, il devient son plus grand mécène et quand 1514, meurt Bramante,  l’architecte de la basilique et soutien de Raphaël, il lui confie le chantier en qualité d’architecte.

Sainte Marguerite, 1518, musée du louvre, photo C2RMF
Sainte Marguerite, 1518, musée du louvre, photo C2RMF

L’intérêt de cette exposition est aussi de mettre en lumière l’atelier du peintre. Pour répondre aux commandes croissantes, Raphaël s’est entouré de nombreux collaborateurs. Vasari en dénombre une cinquantaine mais ils étaient peut-être plus car aux funérailles du maître en 1520, une centaine de peintres portaient des torches sur le cortège funéraire. Pourtant malgré le nombre imposant de disciples, l’unité a toujours régné, les individualités s’effaçaient devant le collectif et c’est là, la force de Raphaël. Un maître talentueux, affectueux et sujet d’admiration, qui donnaient les lignes directrices et faisait régner l’harmonie entre les différents intervenants qu’ils savaient encourager pour qu’ils donnent le meilleur. Seuls des yeux très experts savent parfaitement déceler les interventions extérieures à celles de Raphaël dans ses productions. C’est fascinant en ce sens de lire dans le catalogue d’exposition comment les historiens de l’art réussissent sur une œuvre donnée à dire quelle partie est de la main de Raphaël et quelle partie ne l’est pas, par manque de rigueur, de douceur ou autre. Plusieurs exemples peuvent être donnés, même si elle n’est

Madonna dell Impanata, 1513/14 - palais Pitti
Madonna dell Impanata, 1513/14 – palais Pitti

pas exposée, je peux vous citer la Madone de l’impannata dont la facture montre l’intervention d’au moins deux artistes. Raphaël aurait fait l’enfant et les de têtes de saints, mais un autre peintre aurait fait la tête de la vierge, ses vêtements et les draperies de sainte Elisabeth. Toujours sur ce même tableau, il semblerait que le petit saint Jean Baptiste soit également trop maladroitement exécuté pour être de la main de Raphael. Comme autres exemples exposés cette fois-ci, citons La Sainte Margueritte, apparemment été exécutée par Giulo Romano sur un motif de Raphael ou la Vierge au Poisson dont les draperies et les têtes à gauche seraient de Penni.

Ces deux derniers collaborateurs, Giovan Francisco Penni et Giulio Romano, se démarquent suffisamment pour que leurs noms soient connus. La place qui leur est donnée pousse les limites chronologiques de l’exposition jusqu’en 1524-25, après la mort du maître pour appréhender la survie de son atelier et surtout la carrière personnelle de ses deux prestigieux élèves.

Romano et Penni (?), V.1517, la visitation, © Museo nacional del Prado, Madrid
Romano et Penni (?), V.1517, la visitation, © Museo nacional del Prado, Madrid

Les deux ont collaboré à l’exécution de nombreuses œuvres, notamment la Visitation de 1517 commandée par Giovanni Battista Branconio dell’Aquila, un ami de Raphaël. Romano connu pour ses formes dures et denses qui vont donner naissance au maniérisme aurait fait les têtes et peut-être les corps et les draperies, un peu maladroits dans l’exécution (bras trop long, étole qui ne repose pas normalement sur l’épaule, ventre étrangement arrondi), quant à Penni, considéré par Vasari comme un très bon paysagiste, il aurait exécuté le fond où on reconnait sa douceur.

Commençons par Penni, le plus âgé des deux. Malheureusement celui-ci étant mort assez tôt, en 1528, son style personnel caractérisé par une douceur des formes, une homogénéité de l’éclairage et un manque d’attention aux contours, n’ pas eu le temps de s’épanouir et est très difficile à identifier avec certitude. C’est surtout dans son rôle de dessinateur qu’on reconnaît sa main. Il rejoint Raphaël avant son installation à Rome et c’est à lui que le maître confi l’exécution des modelli entre 1511 et 1520, toujours aux pinceaux et aux lavis. Il met au propre les motifs de Raphaël. Vasari le surnomme « il fattore », le recopieur. Il a également certainement joué le rôle d’administrateur et de contrôleur artistique de l’atelier. Une originalité de Penni c’est son intérêt pour la tapisserie, qu’il va développer après la mort de Raphaël.

Giulo Romano est né pour sa part à Rome en 1492 ou en 1499. Si la deuxième date est la bonne, cela voudrait dire qu’il rentre dans l’atelier de Raphaël à seulement 16/17ans et qu’il n’a que 21ans quand il hérite de cet atelier en 1520, ce qui fait de lui un jeune prodige.

Giulio Romano, peut-être avec l’intervention de Raphaël, Portrait de Doña Isabel de Requesens y Enríquezde Cardona-Anglesola, 1518.  musée du Louvre © RMN (Musée duLouvre) / Hervé Lewandowski
Giulio Romano, peut-être avec l’intervention de Raphaël, Portrait de Doña Isabel de Requesens y Enríquez
de Cardona-Anglesola, 1518. musée du Louvre © RMN (Musée du
Louvre) / Hervé Lewandowski

Très tôt d’ailleurs, il va se démarquer de ses congénères, de par sa forte personnalité, son talent et son inventivité. Il gagne ainsi la confiance du maître qui lui confie l’exploitation des cartons où il apporte sa vitalité, c’est lui qui réalise les études de figure et il n’hésite pas à lui confier l’exécutions d’importantes commandes comme le portrait de Doña Isabel de Requesens dont on est certain qu’il est de lui grâce à des documents écrits de la main de Raphael.

Cette relation de confiances presque filiale mais aussi d’émulations respectives se retrouve dans le fameux autoportrait avec Giulio Romano, l’une des dernières œuvres de Raphael. Romano semble montrer quelque chose à Raphaël qui tempère son ardeur en posant la main sur son épaule.

A la mort de son mentor, Romano vole vite de ses propres ailes, il concrétise les dernières commandes de Raphaël, comme la transfiguration, la chapelle de La Madeleine à la Trinité des Monts, la loggia de la Villa Stati Mattei ou les chantiers de décorations du Vatican avec Gian Francesco Penni, mais ils finissent par se séparer en 1524, suite à une brouille. Puis en 1527, il s’installe à Mantoue sous la protection de la famille Gonzague. Une exposition d’art graphique lui est consacrée dans le pavillon Mollien, ce qui permet de mieux apprécier son talent de dessinateur.

Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, 1519-1520.Paris, musée du Louvre,  photo RMN (Musée du Louvre) / Gérard Blot
Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, 1519-1520.
Paris, musée du Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Gérard Blot

Cette exposition est une plongée dans un art absolument fascinant. On découvre les grands projets décoratifs que sont « les chambres de Raphael » essentiellement représentées par ses dessins, des tapisseries également, de nombreuses études et un grand nombre de toiles. A Rome, la peinture de chevalet n’est pourtant pas sa principale activité, elle arrive derrière les projets architecturaux et de décorations. On retrouve quelques rares grands formats dont les cadeaux diplomatiques (aujourd’hui au Louvre), envoyés par le pape en 1518  à François Ier pour sceller l’union de Laurent de Médicis et Madeleine de la Tour d’Auvergne. Parmi ses dons, le somptueux et le plus important, Saint Michel souvent délaissé dans la Grande Galerie mais qui retrouve ici toute sa force, bien qu’il est certainement perdu une partie de sa splendeur.  En effet, Raphaël l’a exécuté très rapidement, Vasari pense qu’il est entièrement de sa main, mais par manque de temps, il n’a pas peu bien le préparer, ce qui fait qu’en 1540, il doit déjà être restauré par Le Primatice. La radiographie montre d’ailleurs que les défauts actuels et maladresse d’exécution ne sont certainement pas d’origine.

Saint Michel terrassant le démon, dit Le Grand Saint Michel, Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Thierry OllivierSainte Cécile et quatre saints, vers 1515-1516., Pinacothèque Nationale de Bologne, © 2012 Photo Scala, Florence – courtesy of the
Ministero Beni e Att. Culturali
Saint Michel terrassant le démon, dit Le Grand Saint Michel, Louvre, photo RMN (Musée du Louvre) / Thierry Ollivier
Sainte Cécile et quatre saints, vers 1515-1516., Pinacothèque Nationale de Bologne, © 2012 Photo Scala, Florence – courtesy of the
Ministero Beni e Att. Culturali

On reste également en admiration devant l’extase de Sainte Cécile, exposée juste à côté et qui est l’un des rares grands tableaux du dernier tiers de sa carrière, commandé par Elena dall’Olio pour la chapelle de San Giovanni in Monte à Bologne. On découvre y avec joie, l’influence qu’a pu avoir Leonard de Vinci, de séjour à Rome en  1513-1516 dans le choix des coloris et plus loin à travers les différents saint Jean-Baptiste, fortement inspirés de celui du florentin, dans la pose notamment. A partir de cette date, la peinture de Raphael devient également plus sombre et utilise volontiers le sfumato.

La peinture religieuse domine très clairement sa production et le seul genre profane qu’il aborde en matière de peinture de chevalet c’est le portait, qui clôt l’exposition. Et là il faut distinguer deux types de portraits, à savoir les officiels, souvent innovants (Jules II) où le travail de composition formelle est très poussé et les portraits privés, où c’est cette fois ci l’exécution qui tire au génie tant il guide son pinceau avec ses sentiments d’amour et d’amitié. Les deux plus beaux à ce titre sont celui de Bindo Altoviti  dont les cheveux sont peints un à un et surtout cette sublime jeune femme, la Donna velata, probablement Margherita Luti, sa maitresse plus connue sous le surnom de  Fornarina, pleine de douceur et de beauté.

Bindo Altoviti, vers 1516-1518, Washington, National Gallery of art, ©Image courtesy of the National Gallery of Art
La Donna Velata, vers
1512-1518. palazzo pitti, © 2012
Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att.
Culturali
Bindo Altoviti, vers 1516-1518, Washington, National Gallery of art, ©
Image courtesy of the National Gallery of Art
La Donna Velata, vers
1512-1518. palazzo pitti, © 2012
Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att.
Culturali

Un très bel épilogue pour une exposition qui passe très vite, trop vite même.

Laisser un commentaire